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vendredi 20 juillet 2018

HISTOIRE et MEMOIRE - L'" affaire Lip " remonte le temps


HISTOIRE et MEMOIRE


19 juillet 2018

L'" affaire Lip " remonte le temps

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Que reste-t-il de l'" affaire Lip " aujourd'hui ? Quelques slogans ? " Lip, l'imagination au pouvoir ", " Pas de licenciement, pas de démantèlement, maintien des acquis sociaux ", " On fabrique, on vend, on se paie ", ont été scandés bien au-delà des années 1970 et de la ville de Besançon, berceau du fleuron français de l'industrie horlogère jusqu'au choc pétrolier des années 1970. Pour mémoire, l'entreprise, fondée en  1867 par Emmanuel Lipmann, est, à partir de 1973, le théâtre d'un conflit social sans précédent – l'usine horlogère de Palente est occupée par un millier d'ouvriers –, qui finira par une liquidation, dont le PDG, Claude Neu-schwander, est alors désigné comme le coupable. Dans Pourquoi ont-ils tué Lip ?, qu'il vient de cosigner avec le politologue Guillaume Gourgues, Claude Neusch-wander rouvre aujourd'hui les coulisses de ce qui est devenu un mythe de la lutte ouvrière.
Pour l'ancien patron de Lip, c'est une certitude, " les actionnaires de Lip ont bel et bien souhaité sa mort, en choisissant délibérément de ne plus financer sa relance, avant et après mon départ ", écrit-il. L'essai expose, dans leur contexte, les déclarations et les actes des protagonistes industriels, économiques et politiques, qui révèlent " des éléments précieux, jusque-là peu exploités ". Mais, plus qu'une énième recherche de responsabilité d'un gigantesque gâchis social et industriel, l'objectif de cet ouvrage est de démontrer qu'il s'agissait avant tout de " discréditer le côté social de l'expérience " de relance de Lip au nom de l'emploi, afin de rétablir un certain ordre économique libéral.
" Tournant politique "Pour les auteurs, " l'affaire Lip " marque " un tournant politique ", celui d'" un changement de posture de l'Etat et du patronat face au chômage de masse ". Lip serait le " dommage collatéral " d'une reconfiguration en cours du capitalisme français, dans laquelle le PDG de BSN (devenu Danone) Antoine Riboud et l'Elysée auraient joué un rôle-clé.
L'originalité de cet essai est sa base documentaire : le récit originel du présumé coupable de l'échec. Claude Neusch-wander, patron de Lip de mars  1974 à février  1976, avait en effet rédigé, en  1976, un ouvrage d'entretiens destiné à " rétablir la vérité " : Ils ont tué Lip, coécrit avec Jean Mauduit, mais qui n'a jamais été publié. A l'époque, le manuscrit avait été considéré comme " un brûlot de plus dans la poudrière " par le responsable de la Fédération de la métallurgie de la CFDT, Jacques Chérèque, qui, en  1976, l'année de la liquidation, l'avait qualifié de" dangereux ".
Alors, dissuadé de le publier, Claude Neuschwander attendra quarante ans pour se décider enfin à délivrer sa version des faits, analysée à la lumière des documents d'archives par Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique et spécialiste des résistances syndicales. Au-delà de la réhabilitation de Claude Neuschwander, cette reconstitution des événements tend à prouver que la liquidation de Lip a servi d'exemple pour faire admettre la pratique des licenciements collectifs.
Anne Rodier
© Le Monde

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