En avril, le ministère des finances s'en prenait à un monument de l'épargne populaire, le Livret A, en annonçant qu'à partir de 2020, son taux de rendement n'aura plus vocation à couvrir l'inflation. Mais, les équipes de Bruno Le Maire avaient aussitôt assuré, qu'en contrepartie il sera " demandé aux banques d'accentuer la promotion du Livret d'épargne populaire (LEP) ". Bercy, a ainsi maintenu les avantages de ce produit d'épargne méconnu : un demi-point de rému-nération de plus que le Livret A et son caractère protecteur vis-à-vis du pouvoir d'achat.
Un effort de promotion s'impose en effet pour le LEP, qui offre pourtant le rendement le plus intéressant de tous les produits d'épargne, à 1,25 %. Les sommes placées sur ce produit ont fondu de plus de 30 % en dix ans, à 44 milliards d'euros d'encours fin 2017. La souscription n'est pas ouverte à tous, puisqu'il s'adresse aux foyers modestes et à une partie de la classe moyenne. Mais, alors que 40 % de la population est éligible, seuls 13 % des Français en détenaient un en 2017. Alors que ce placement cumule, comme le Livret A, l'avantage d'être défiscalisé et liquide (on peut retirer son argent à tout moment), il est devenu un produit du passé, une petite moitié de ses détenteurs étant désormais âgés de 65 ans ou plus.
Pour réparer l'injustice faite à l'épargne populaire, la Banque de France, impliquée dans la lutte pour l'inclusion bancaire, a été chargée de mener une concertation avec les banques et Bercy, par le biais de son Observatoire de l'épargne réglementée (ŒR). Son président, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, devrait faire ses recommandations lors de la prochaine réunion de l'Observatoire, prévue le 27 novembre.
Les causes de la relégation du LEP sont déjà identifiées.
" Le processus est très lourd, déplore le porte-parole d'un grand groupe bancaire, qui souhaite conserver l'anonymat.
Le client doit amener son avis d'imposition chaque année pour que la banque vérifie son revenu fiscal de référence, qu'il faut recalculer en fonction du nombre de parts. Puis vérifier qu'il est -inférieur au plafond. Tout ce bazar pour, au mieux, 96 euros d'intérêt par an – soit 8 euros par mois – si le livret est au plafond - fixé à 7 700 euros -
". Un autre établis-sement fait valoir qu'il a dû
" fermer 8 000 LEP en 2017 pour non-présentation de l'avis d'imposition ou parce que les clients n'étaient plus éligibles ".
" Name and shame "Cette complexité date de la fin 2013. Auparavant, un client savait s'il pouvait ou non ouvrir un livret en vérifiant que son impôt sur le revenu ne dépassait pas un seuil très peu élevé (769 euros en 2013). Avec le souci d'élargir l'accès à ce placement populaire, la loi de finances rectificative pour 2013 a changé les règles, en prenant pour jauge le revenu fiscal de référence. Le gouvernement avait estimé que 3 millions de nouveaux ménages pourraient ouvrir un LEP ; mais le nombre de souscripteur a continué de s'étioler.
Les banques proposent donc aujourd'hui de
" simplifier " ses conditions d'éligibilité.
" Il faudrait que la direction générale des finances publiques, qui gère le “Ficoba”, le fichier des comptes bancaires, dise qui peut ou ne peut pas ouvrir un LEP ", avance un banquier.
" Nous pourrions imaginer de ne plus avoir à demander l'avis d'imposition aux clients bénéficiaires de l'offre spécifique pour les personnes en situation de fragilité financière ", ajoute un concurrent.
Bercy ne ferme pas la porte à des évolutions.
" Mais la réalité, c'est que les banques n'ont pas envie de proposer le LEP à leurs clients, et ils veulent faire porter le chapeau au gouvernement ", s'agace un observateur. Certaines institutions ne cachent pas, en effet, que la vente de ce produit représente une charge.
" Pour nous, avec les taux très bas, il est beaucoup plus intéressant d'aller chercher de l'argent sur les marchés que de rémunérer les livrets d'épargne populaire à 1,25 % ", confie l'une d'elles.
Un proche du dossier a fait ses calculs et estime que le doublement des fonds placés au sein des Livrets d'épargne populaire représenterait un coût de quelque 150 millions d'euros par an, à répartir entre l'ensemble des banques de la place. Une charge jugée largement absorbable.
La pression sur les banques sera-t-elle suffisante ? Du côté des pouvoirs publics, on affirme que
" s'il est demandé aux banques de faire un effort, elles le feront. La Banque de France a prévenu qu'elle ferait part publiquement des mauvaises pratiques individuelles des banques à l'égard des clients en situation de fragilité financière et qu'elle citerait les établissements concernés ". Un
name and shame (" nommer et faire honte ") qui serait coûteux pour l'image de ces institutions financières.
Véronique Chocron
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