Emmanuel Macron aime-t-il " nos aînés ", comme il dit ? Les retraités, qui ont largement contribué à sa victoire de mai 2017, ont la réponse dépitée : " Non, le président de la République nous fait payer une partie de ses réformes. "Leur reproche est fondé, mais ils ne devraient pas s'en étonner. Il avait annoncé, durant sa campagne, qu'il ferait le choix de l'activité pour donner leur place aux jeunes et réduire le chômage.
Il l'
" assume " sans honte lors de déplacements ponctués d'échanges impromptus avec des retraités en colère. Comme ce jour de mars 2018, à Tours, où une vieille dame l'interpelle derrière une barrière de sécurité.
" On a travaillé toute notre vie, et vous nous pompez ", se plaint-elle.
" On ne vous a pas pompés,
on a baissé de 30 % les cotisations salariales pour que les gens qui travaillent puissent payer vos retraites, répond-il.
Je vous demande un petit effort pour m'aider à relancer l'économie. " Le débat est un peu simpliste. Comme s'il y avait 25 millions d'actifs d'un côté et 16 millions de retraités identiques de l'autre.
Car le gouvernement opère aussi des transferts insoupçonnés parmi les personnes âgées. On peut faire une lecture moins " sociale " que lui des derniers arbitrages entre générations, comme nous y invite l'économiste Daniel Cohen. La hausse de 1,7 point de la CSG pour 60 % de retraités et la désindexation des pensions sur les prix (+ 0,3 % en 2019 et 2020) couvrent le coût des baisses d'impôt sur le capital (ISF et taxe forfaitaire à 30 %). Ainsi, les pensionnés des classes moyennes propriétaires d'un bien immobilier financent-ils un transfert de 5 milliards d'euros au profit des détenteurs d'un gros capital…
souvent retraités eux-mêmes.
Revenus décentsMais, si on se retourne sur le demi-siècle écoulé, Macron a raison. Le système de retraite, qui absorbe 310 milliards (14 % du PIB), a réparé une injustice : les " vieux " ne sont plus les laissés-pour-compte de la société. Et les 8,8 millions de pauvres sont surtout des enfants, des adolescents, de jeunes adultes et des immigrés, confirme le dernier rapport de l'Observatoire des inégalités. La majorité des retraités a des revenus décents : une pension moyenne de 1 300 euros net par mois, parfois complétée par de petits revenus du patrimoine, et des charges de famille allégées.
" Leur niveau de vie moyen est légèrement supérieur à celui de l'ensemble de la population ", note le Conseil d'orientation des retraites. Une partie d'entre eux peut donc consentir un effort collectif en faveur de jeunes plus pauvres et en mal d'insertion. Mais jusqu'à quand ? A l'aune de l'histoire, on sait aujourd'hui que l'âge d'or des retraités n'aura duré qu'une courte saison. Leur niveau de vie stagne depuis une vingtaine d'années et les projections montrent que le balancier va rebasculer.
En 2040, ils percevront 90 % du revenu de l'ensemble de la population, un décrochage proche de l'écart moyen actuel (– 12 %) constaté au sein des pays riches de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Le différentiel actuel au bénéfice des retraités français s'explique, selon ses experts, par le retard de la France dans l'ajustement de son système aux évolutions démographiques. Ou, pour le dire brutalement, par la lâcheté des gouvernements successifs jusqu'à ce qu'Edouard Balladur, à Matignon, commence le grand ménage, en 1993, pour les salariés du privé. Ce retard à l'allumage politique d'une quinzaine d'années, imputable à la gauche plus qu'à la droite, a profité aux premiers baby-boomeur.
La fête est finie. Il est naïf de penser que la réforme du système de retraite, qui concerne les générations nées à partir de 1963, entraînera une hausse des pensions : l'écart entre retraite et revenu d'activité va se creuser. Le haut-commissaire à la réforme, Jean-Paul Delevoye, a souligné l'impératif de
" respecter les trajectoires de dépenses publiques ". Ce régime unique par points, où un euro cotisé ouvre les mêmes droits à tous, devra être équilibré. Pour éviter d'alourdir le poids des prélèvements, l'Etat n'hésitera pas à jouer sur deux leviers traditionnels, l'âge légal de départ à la retraite (62 ans) et le niveau des pensions.
La demande sociale s'accroît, aux frontières de la vieillesse et de la maladie. Macron vient d'ouvrir un autre chantier, à plusieurs dizaines de milliards d'euros : la prise en charge de la dépendance qu'il s'agit d'améliorer, contrairement aux retraites. Les dépenses sont mal couvertes et il a promis, après d'autres, de créer
un
" cinquième risque " de la Sécurité sociale, en plus de ceux retenus par ses pères fondateurs en 1945 (maladie, vieillesse, famille, accidents du travail).
Qui paiera ?
" Je ne veux pas rentrer tout de suite dans les tuyaux financiers ", a éludé le chef de l'Etat, en mai, au congrès de la Mutualité française. La collectivité ne part pas de rien : 24 milliards d'euros de fonds publics (un point de PIB) sont consacrés chaque année au million de personnes en perte d'autonomie, alors que plus de 6 milliards restent à la charge des familles. Les dépenses n'augmenteront que par étapes jusqu'en 2060, où le pays comptera 2,5 millions de personnes très dépendantes. La seule certitude, c'est que le système financé par les départements est à bout de souffle – comme l'a révélé la crise des Ehpad de l'hiver 2017-2018.
Un scénario court déjà : pourquoi ne pas prolonger la contribution au remboursement de la dette sociale au-delà de 2024, échéance annoncée pour l'apurement de ce passif, et capitaliser pour l'avenir. Cet impôt (0,5 %) à assiette large, payé par tous et assez indolore, financerait un risque dont la prise en charge justifie un effort collectif. Une partie de la droite aura la tentation de plaider pour un recours aux assurances privées. En répondant par la solidarité nationale à cette
" nouvelle vulnérabilité sociale ", Macron donnerait un de ces signaux attendus ses électeurs de gauche. Et les
" aînés " de demain.
par Jean-Michel Bezat
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