Pascal Pavageau peut-il encore rester à la tête de Force ouvrière ? Lundi 15 octobre, le bureau confédéral de FO s'est tenu en l'absence du secrétaire général et de quatre autres de ses membres. Cette réunion, qui avait été annulée par M. Pavageau, s'est déroulée après les révélations du Canard enchaîné, le 10 octobre, sur l'existence d'un fichier réalisé par l'entourage du numéro un de FO et listant les préférences politiques ou la vie privée de 127 respon-sables de fédérations et unions départementales, assortis de qualificatifs injurieux.
Après avoir cité à la fois la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Déclaration universelle des droits de l'homme, les neuf dirigeants présents ont jugé que tout devait
" être mis en œuvre pour condamner et sanctionner en conséquence toute pratique incompatible avec ces principes fondamentaux et les valeurs et statuts de Force ouvrière ".
" Des dispositions claires et incontestables en termes d'organisations et de fonctionnement doivent être prises corrigeant les dérives qui ont pu conduire à cette situation et faisant en sorte qu'elles ne puissent plus se reproduire ", ajoutent-ils dans ce texte, que
Le Monde a pu consulter et qui constitue un acte de rébellion inédit contre leur numéro un.
En conséquence, ils concluent que la réunion de la commission exécutive, prévue mercredi 17 octobre, mais reportée par M. Pavageau au 29 octobre, est
" légitime et indispensable ". Composée de 35 membres, cette instance constitue la direction élargie de l'organisation. Si la majorité le décide, cette commission pourrait -décider de la convocation du comité confédéral national – le " parlement " de FO qui regroupe les représentants des fédérations et des unions départementales –, seul à même, selon l'article 9 des statuts, de révoquer le secrétaire général.
" Un vrai scandale "Depuis le congrès de Lille, en avril, les " réformistes ", proches de l'ex-secrétaire général de FO Jean-Claude Mailly, ne sont plus majoritaires à la commission exécutive. Mais lundi, leur représentant, Frédéric Homez, à la tête de la métallurgie – la seconde fédération en nombre d'adhérents de FO –, a affiché sa proximité avec le chef de file des trotskistes, Hubert -Raguin, secrétaire général de la fédération nationale de l'enseignement, de la culture et de la formation professionnelle. Une alliance improbable qui s'est matérialisée par une déclaration commune pour réclamer le maintien de la tenue de cette réunion.
" Quoi qu'il en soit, nous y serons le 17 ! ", affirment-ils dans ce document. Ils y critiquent
" une conception étrangère à nos règles et nos traditions ". Pour eux, face
" à une intense campagne contre FO ", c'est
" la force de la démocratie, de la discussion dans les instances régulièrement élues qui peuvent permettre de surmonter ces problèmes qui n'ont rien à voir avec les orientations issues du congrès confédéral et mises en œuvre depuis ".
Une façon de répondre aux soutiens de M. Pavageau, notamment des anarchistes, qui minimisent la gravité de ce fichier, évoquant un complot politique.
" Ça fait beaucoup de mousse, jugeait vendredi 12 octobre Marc Hébert, ex-secrétaire général de l'union départementale
du Finistère.
Ceux qui veulent demander la tête de Pavageau font la même chose et pire. " En dehors de ce cercle, les langues se délient le plus souvent de façon anonyme
. " C'est une belle saloperie, un vrai scandale ", s'insurge un responsable.
" C'est immoral, honteux ", ajoute l'un de ses camarades.
" C'est d'une gravité extrême, souligne un dirigeant
, un tel fichier c'est intolérable, inadmissible. "
D'autres expriment ouvertement leur réprobation
. "
C'est une procédure inacceptable qu'on condamne régulièrement syndicalement dans les entreprises quand ça existe ", a affirmé mercredi sur RTL Jean-Claude Mailly
. " Je suis tombé sur le cul quand j'ai appris son existence, confie Patrick Hébert,
membre influent du Parti ouvrier indépendant et ancien patron de l'union départementale de Loire-Atlantique
, c'est plus qu'une débilité, c'est une erreur magistrale. " Contacté à plusieurs reprises, M. Pavageau – qui a reconnu dans
Le Canard enchaîné l'existence de ce fichier – n'a pas donné suite. Vendredi, sur France inter, M. Homez avait réclamé sa démission. Jugeant ce fichier
" impardonnable ", il avait fait part de son
" impression d'être dans un système stalinien ". Le même jour, dans une vidéo sur le site du
Dauphiné libéré, le leader de la
centrale avait affirmé qu'il ne se sentait
" pas du tout " déstabilisé, n'ayant
" pas le sentiment que ça perturbe quoi que ce soit auprès des militants de FO ".
La plus grave criseAvant les révélations sur ce fichier, le climat était déjà lourd en interne, où Pascal Pavageau est surnommé par certains " PP le sulfateur ". A l'origine, la commission exécutive
de mercredi avait été saisie par deux secrétaires confédéraux, Nathalie Homand et Cyrille Lama, qui s'estimaient mal traités par leur numéro un. Autre indice des troubles qui traversent l'organisation, ses salariés avaient exprimé, lors d'une assemblée générale le 29 juin, leurs inquiétudes. Une liste de 52 questions avait été adressée au secrétaire général lui demandant d'entendre leur
" souffrance " et leur
" mal-être ".
FO traverse sa plus grave crise depuis sa création en 1948. Mais si M. Pavageau était poussé à démissionner, la difficulté resterait de lui trouver un successeur.
" Il n'y a pas de plan B, c'est tout le problème, on n'a personne pour prendre sa place ", observe un cadre de premier rang. A l'extérieur, ces événements font des vagues. Lundi, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a incité son homologue à quitter ses fonctions.
" Je crois qu'il y a un malaise avec le secrétaire général de FO mais ça lui appartient (…)
. Lorsqu'on n'est pas conforme à l'éthique qu'on s'est fixée, il faut partir ", a-t-il déclaré sur Franceinfo.
Ce mauvais feuilleton tombe au plus mal pour la centrale de l'avenue du Maine. A l'approche des élections dans les trois fonctions publiques, le 6 décembre, où FO joue sa première place chez les agents de l'Etat, les autres syndicats ne se priveront sans doute pas d'exploiter les déboires de leur rivale.
Raphaëlle Besse Desmoulières, et Michel Noblecourt
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