Paris n'a jamais cessé de grandir. De l'île de la Cité à l'enceinte de Thiers, la ville s'est élargie, par cercles concentriques, faisant tomber, siècle après siècle, les -murailles qui l'enserraient. Le mur des -Fermiers généraux, construit avant la Révo-lution française, fut détruit en 1860 quand fut érigée l'enceinte de Thiers, qui permit l'absorption par Paris de ces communes voisines, La Villette, Belleville, Auteuil, Batignolles ou encore Montmartre. Abattue à son tour au -début du XXe siècle, l'enceinte de Thiers céda la place à la " zone ", avant la construction du boulevard périphérique, quelques centaines de mètres plus loin, en 1974.
Nous sommes en 2018, et le moment est venu d'abattre ce nouveau " mur murant -Paris " qu'est le boulevard périphérique. Le moment est venu de le remplacer par un projet majeur de développement urbain, reliant le " Vieux Paris " au " Nouveau Paris ". Car il nous faut -renouer avec le sens de l'histoire et de la géographie de Paris. Et il y a urgence à le faire.
Disons-le : le périphérique ne résout aucun problème. Il ne fait qu'en poser. Cette barrière de béton, longue de 35 km, est aujourd'hui la principale source de pollution à Paris, ne fluidifie même pas le trafic tant le périphérique est congestionné du matin au soir et, pour couronner le tout, coupe le Grand Paris en deux, érigeant cette distinction hors du temps entre Parisiens du centre et de banlieue.
Arrêtons de tergiverser, de lancer des missions d'information et d'évaluation. Cessons de remettre à plus tard ce qui devrait être fait depuis longtemps. Ne nous cachons pas derrière des demi-mesures, des aménagements contre-productifs ou des couvertures partielles qui ne résoudront jamais rien, mais coûteraient assurément beaucoup.
Le moment est venu d'agir : détruisons le périphérique.
Avec qui détruire le périphérique ? De nombreuses métropoles ont franchi le pas sans ciller. Séoul, à partir de 2002, a -commencé à détruire les autoroutes urbaines construites par " Bulldozer Kim ", le maire de la ville entre 1966 et 1970. Boston a emboîté le pas en 2004, comme Barcelone à partir de 2005, Birmingham, Madrid (avec l'enfouis-sement de la M30), Vienne avec le Ring, ou encore Montréal… Autant de -métropoles qui se défont de leurs balafres internes à la -recherche des mêmes objectifs : recoudre une ville déchirée, recentrer la -périphérie, -aérer l'espace, rationaliser les transports.
Dès lors, trois questions se posent : avec qui, comment, et avec quels moyens, supprimer ce que les Anglais appelaient, en 2015, le " Dirty Boulevard " ? Rien ne doit se faire sans les communes et les départements qui -bordent le périphérique, la région et, surtout, les Grands Parisiens eux-mêmes. Paris -partage son périphérique avec plusieurs communes (Charenton, le Kremlin-Bicêtre, Gentilly…) et subit les pollutions sonores et atmosphériques avec toutes les communes limitrophes, soit 200 000 habitants à moins de 200 mètres, 396 000 à moins de -400 mètres, exposés à trois fois plus de ----pol-lution que tous les autres habitants de -l'agglomération, sans compter les 28 % d'asthmatiques en plus chez les jeunes et les- -50 crèches, écoles et maternelles parisiennes qui jouxtent cette voie rapide.
C'est avec tous ceux-là qu'il faudra définir le calendrier et la méthode de la destruction du périphérique. C'est avec eux que nous -devrons réfléchir à l'utilisation des hectares récupérés. L'aménagement de l'ancien boulevard circulaire sera le premier grand chantier du Grand Paris.
A quel coût détruire le périphérique ? Non seulement la destruction du périphérique ne coûtera rien aux Parisiens, mais, à l'inverse, cela rapportera de l'argent. Mieux encore : dynamiter le périphérique coûte moins cher que d'acheter des logements privés pour les transformer en logements sociaux.
Dès lors qu'on ne recouvre pas l'espace du périphérique, mais qu'on le supprime, on revient sur un coût standard d'un hectare aménagé à Paris, soit entre 50 euros et 200 euros le m² pour un terrain viabilisé et jusqu'à 500 euros le m² s'il est mis en paysage, avec un foncier presque gratuit – il est déjà majoritairement propriété de la mairie – et, surtout, une valorisation extrême de la surface du fait de l'embellissement de la zone.
Reprendre ces droits sur le périphérique, qui appartient à la ville, permet d'économiser une majorité de cette somme pour la mobiliser au profit de nombreux projets qui accompagneront la suppression du périphérique : des logements (avec presque 200 hectares à bâtir), une rationalisation des services (comme les zones sportives, les écoles, les universités, les transports avec des gares multimodales) et des projets d'équipement sur presque 350 autres hectares aux abords du périphérique, des espaces verts et des cours d'eau pour des noyaux de fraîcheur urbains.
A titre d'exemple,
l'aménagement de 6 kilomètres d'autoroute à Séoul en zone en eau a fait baisser la température de la ville de 3,6 °C ! Voilà qui doit aussi nous faire réfléchir.
Comment détruire le périphérique ?Enfin, comment le détruire ? Tout démarrera dès mars 2020, avec des objectifs et des -projets clairement définis : logements, -bureaux, -espaces verts, équipements sportifs et -culturels.
La suppression puis l'aménagement du -périphérique reviennent à rebâtir 5 % de la superficie de la capitale. C'est l'équivalent d'un arrondissement !
S'agissant du déport du million de véhicules qui empruntent le périphérique chaque jour, il faut suivre les études des flux qui ont été menées à Paris ou dans d'autres grandes métropoles, avec notamment les équipes qui ont proposé des schémas de transports régionaux en 2009 et 2010 : RSHP, Castro, Grumbach, Studio09, Portzamparc, Descartes…
Les solutions ne manquent pas : Grand -Paris Express, prolongement de la ligne 10 du métro jusqu'à Ivry, bouclage du tramway, auto-partage efficace et mobilité électrique, renforcement de l'A86 et utilisation de la Seine comme mode de transport à l'échelle du Grand Paris. Toutes ces propositions reflètent l'équilibre que nous cherchons entre les aménagements périphériques à l'échelle de l'agglomération, la mise en place du Grand Paris Express et la nécessaire transformation de nos pratiques de mobilités.
Ainsi faudra-t-il penser une rocade, éloignée du centre, qui prendra en compte une partie de l'A86. Nous réfléchirons d'ailleurs à l'opportunité d'y inclure une voie rapide pour véhicules électriques autonomes, comme le propose Roland Castro.
En somme, la réorganisation des transports reposera sur deux piliers : la mise en service du Grand Paris Express, hélas reportée par le gouvernement à 2024-2030, et l'évolution des pratiques de transport de -demain : covoiturage, transports doux, véhicules autonomes.
Prévoir aujourd'hui la réorganisation des transports, c'est prévoir l'avenir. N'attendons pas vingt ans dans l'inertie pour réaliser que le monde et ses pratiques ont évolué sans nous. Pensons ces changements dès maintenant.
Mais faisons-le dans l'ordre : études spécifiques, concertation avec les élus, consultation de la population dès 2020, mise en place d'un réseau de transport alternatif entre 2020 et 2030, couplé avec l'aide à l'évolution des pratiques de mobilités déjà citées. Puis, seulement, la fermeture de certains tronçons et le lancement des premières opérations de démolition en 2022-2024 pour viser un remplacement définitif de l'ensemble à horizon 2035.
Il a fallu dix-huit ans pour créer le périphérique, ne craignons pas de mettre quinze ans à en faire un espace cœur de ville, une vitrine parisienne d'un Grand Paris réinventé. Entre 1845 et 1890, il a fallu près de cinquante ans de débats et de conflits pour savoir s'il fallait un métro enterré électrifié à Paris. Qui pourrait s'en passer aujourd'hui ? Nous sommes dans la même configuration politique qu'à l'époque, avec des solutions techniques bien supérieures.
Le Grand Paris de nos rêves est à notre -portée. Ne nous arrêtons pas à 35 km du -bonheur.
Gaspard Gantzer
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