Emmanuel Macron a été élu, notamment, sur la promesse de gouverner autrement. Depuis deux semaines, il en a fait une démonstration remarquable : il est en effet inédit, sauf à remonter aux crises à rallonge de la IVe République, qu'un remaniement gouvernemental ait nécessité une quinzaine de jours de cogitations, tractations et tergiversations.
La belle affaire !, dira-t-on. A l'Elysée, à Matignon et dans la majorité, l'on a mobilisé toutes les ressources de la rhétorique pour en minimiser l'importance.
" Péripéties du quotidien ", a balayé le chef de l'Etat, avant de revendiquer de procéder
" dans le calme, dans le respect des personnes, de manière professionnelle ".
" Ecume des choses ", a fustigé le premier ministre, Edouard Philippe, démentant toute
" fébrilité " au sommet de l'Etat. Quant au porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, il a ajouté que les ministres ne sont pas
" des objets sur des étagères " que l'on pourrait déplacer en quelques heures. On l'espère, pour lui-même comme pour ses collègues. D'ailleurs, le remaniement a finalement été annoncé mardi 16 octobre dans la matinée.
Il reste que cette séquence, qui prolonge la mauvaise passe traversée par le pouvoir exécutif depuis trois mois, va laisser des traces.
Il suffit de se reporter au printemps 2017 pour mesurer le contraste. Entré en fonctions le 14 mai, Emmanuel Macron avait nommé Edouard Philippe premier ministre le lendemain et son gouvernement deux jours plus tard. Vite fait, bien fait, avaient commenté, assez bluffés, la plupart des acteurs de la scène politique. Parité entre hommes et femmes, équilibre entre techniciens et politiques, association de responsables de droite, de gauche, du centre et du mouvement présidentiel : cette équipe validait et incarnait tous les credo du candidat Macron – transgression, renouvellement et expertise.
Dix-sept mois plus tard, cette belle mécanique semble s'être déréglée. Ce qui était pensé hier semble ne pas l'avoir été aujourd'hui. Ce qui était voulu paraît désormais subi. Ce qui était soigneusement mis en scène apparaît improvisé. Dans tous les sens de l'expression, le président de la République a perdu la main, au moins momentanément.
C'est d'abord son autorité, jusque-là impérieuse, qui s'en trouve écornée. En un mois, deux de ses ministres, qui plus est ministres d'Etat et emblématiques de la dynamique qui l'avait porté au pouvoir, lui ont imposé leur démission de manière intempestive, en le mettant devant le fait accompli par voie de presse. Dans les deux cas, il a paru pris au dépourvu, incapable d'éviter ces défections ou de les anticiper.
Pis, chacun à sa manière, Nicolas Hulot et Gérard Collomb ont expliqué que, pour eux, le charme de 2017 était rompu et que le jeu n'en valait donc plus la chandelle. Le premier, dont le ralliement spectaculaire avait marqué les esprits, a assorti son départ d'un réquisitoire contre le manque d'ambition ou de conviction du président face aux défis de la transition écologique. Le second, pourtant soutien de la première heure, a justifié sa sortie en expliquant benoîtement que le sort de son fief lyonnais lui importait davantage que celui du quinquennat, voire du pays. Rudes camouflets.
Ce n'est pas tout. Quoi qu'il en dise, l'interminable feuilleton du remaniement a mis à mal une autre qualité jusque-là reconnue à Emmanuel Macron – fût-ce pour en critiquer la vigueur : sa détermination, sa capacité à trancher et à mener sa politique sans se laisser perturber par les accidents de parcours. Déjà, en septembre, son hésitation devant la réforme annoncée, pour janvier 2019, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu avait semé le trouble jusque dans les rangs du gouvernement.
Des doutes à leverLa difficulté éprouvée pour choisir un nouveau ministre de l'intérieur et réorganiser au passage l'équipe gouvernementale a accentué un sentiment de flottement d'autant plus pernicieux qu'il aura attisé bien des supputations.
Les uns y auront vu la preuve que, après le grand chamboule-tout de 2017, le vivier de talents dont disposent le président et le premier ministre est dangereusement étriqué : ils manqueraient de politiques chevronnés, ayant suffisamment le sens de l'Etat pour se consacrer à son service sans barguigner et assez de poids pour exister face à un pouvoir présidentiel trop exclusif.
D'autres, y compris dans les entourages des deux hommes et en dépit des vigoureuses dénégations du premier ministre, ont cru déceler, au fil de cette séquence, de sérieuses divergences d'appréciation entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Les frictions et tensions entre le chef de l'Etat et celui du gouvernement sont aussi anciennes que la Ve République. Mais l'actuel couple exécutif avait jusqu'à présent réussi à les éviter.
D'autres encore n'ont pas tardé à souligner que la force d'attraction initialement exercée par le chef de l'Etat sur des personnalités d'horizons variés s'est singulièrement émoussée. Autrement dit, que son ambition de dépasser le vieux clivage droite-gauche et de recomposer à sa main le paysage politique atteint désormais ses limites.
Bref, quel qu'en soit l'épilogue, l'épisode du remaniement aura nourri des doutes que le président va devoir lever sans tarder. Il y va de la suite de son quinquennat.
Non seulement les turbulences de ces dernières semaines ont éclipsé les réformes engagées (telle la loi Pacte sur les entreprises) ou les initiatives présidentielles (sur la lutte contre la pauvreté ou la refonte du système de santé). Mais elles n'ont pu qu'attiser la défiance ou l'exaspération des Français à l'encontre de leurs gouvernants, jugés trop occupés à leurs jeux de pouvoir pour s'attaquer sérieusement aux problèmes du pays.
par Gérard Courtois
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire