C'était l'une des inconnues contenues dans l'accord conclu le 17 septembre à Sotchi entre le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan : comment allaient réagir les groupes djihadistes qui contrôlent une partie de la province rebelle d'Idlib, dans le nord de la Syrie ?
S'ils ont bien retiré leurs armes lourdes, ils refusent de quitter la zone démilitarisée russo-turque, censée séparer les forces de l'opposition de celles du régime aux abords de l'enclave. Mais Damas et Moscou devraient fermer les yeux et concéder un répit à Ankara, garante de l'application de l'accord.
Alors qu'ils étaient censés quitter une bande de 15 à 20 km de profondeur, à la date du 15 octobre, les djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), l'ex-branche syrienne d'Al-Qaida – l'une des plus im-portantes factions armées de l'enclave –, ont fait savoir qu'ils comptaient poursuivre le combat contre le régime, et qu'il était hors de question qu'ils rendent les armes.
" Nous n'abandonnerons pas le choix du djihad et du combat pour réaliser les objectifs de notre révolution bénie : en premier lieu, faire tomber le régime criminel.
Nous n'abandonnerons pas nos armes ", a déclaré HTS le 14 octobre, sans toutefoi
s indiquer
clairement s'il rejetait le traité du 17 septembre.
Mais dans ce qui apparaît comme une volonté de ménager Ankara, qui s'est engagée auprès de Moscou à faire respecter les termes de l'accord de Sotchi, le groupe djihadiste s'est bien gardé d'évoquer toute reprise des hostilités. Dans une référence implicite à la Turquie, HTS précise
" apprécier les efforts de tous ceux qui luttent à l'intérieur et à l'extérieur de la Syrie pour protéger les zones libérées - du régime -
et empêcher leur destruction ou des massacres ".
" Il s'agit de sauver la face "Ce communiqué ambigu vaudrait même acceptation tacite du résultat des négociations russo-turques, analyse Aron Lund, chercheur attaché à la Century Foundation :
" Cette déclaration est essentiellement une invective adressée à la Russie et au gouvernement syrien. Tahrir Al-Cham affirme, certes, qu'il ne rendra pas ses armes et que lui-même ne se rendra pas, mais ce n'est pas ce qu'on lui a demandé de faire. Le ton belliqueux de cette déclaration masque le fait qu'il ne rejette jamais explicitement l'accord de Sotchi, pas plus qu'il ne rejette explicitement l'idée de se retirer de la zone tampon pour placer des forces ailleurs.
Il s'agit de sauver la face, HTS ne dira jamais qu'ils se conforment à ce que les Russes et les Turcs leur disent de faire. "
Le mouvement djihadiste reste secoué par de fortes divisions internes. Dès la fin du mois de septembre, plusieurs factions de HTS ont déjà indiqué qu'elles étaient -prêtes à se retirer de la zone tampon, malgré les objections d'une aile rivale plus intransigeante, selon le journal pro-opposition
Enab Baladi.
Principale alliance rebelle non djihadiste, le Front national de libération – parrainé par la Turquie pour empêcher les djihadistes de prendre le contrôle d'Idlib – a officiellement soutenu l'accord de Sotchi et a affirmé avoir totalement retiré ses armes lourdes. Un retrait confirmé par l'armée turque.
Du côté de Damas, le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, affirmé lundi que son pays avait besoin d
e " temps " pour vérifier la mise en œuvre du compromis :
" Nos amis russes doivent juger si l'accord a été appliqué ou pas. "
Flexibilité russe
La Russie a déjà laissé entendre de son côté qu'elle pourrait faire preuve de flexibilité et qu'un non-retrait des djihadistes n'entraînerait pas de représailles militaires immédiates :
" Nous soutenons fermement les efforts de nos partenaires turcs. Et c'est la qualité de ces efforts qui est la plus importante ", avait ainsi déclaré le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, le 10 octobre.
La Turquie, qui a déployé plus de 3 000 soldats dans la province rebelle, a pour l'instant remporté une partie de son pari : globalement, le calme règne le long des lignes de front. Et le principal groupe djihadiste fait profil bas.
Madjid Zerrouky
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