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samedi 3 novembre 2018

CLIMAT - A Trèbes, " l'Aude, c'était le Mississippi "....le 17.10.2018


CLIMAT


17 octobre 2018

A Trèbes, " l'Aude, c'était le Mississippi "

Six des onze victimes des inondations sont mortes dans la commune déjà touchée par un attentat en mars

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Il est 20 heures, lundi 15 octobre, lorsque, enfin, l'accès au centre-ville de Trèbes est de nouveau autorisé. Un couple de quinquagénaires s'engage alors dans l'obscurité d'une route où les lampadaires n'ont pas encore été remis en service, et progresse à la lueur faiblarde d'un téléphone portable. La mélasse d'une quinzaine de centimètres qui recouvre le macadam a transformé leurs malheureuses baskets en enclumes de gadoue, et menace de les flanquer par terre à chaque pas.
Le couple est venu de Carcassonne, à dix minutes de là, et madame est inquiète : " Mon frère ne donne plus de nouvelles depuis 8 heures du matin. " Quelques instants plus tard, soulagement : il y a de la lumière chez lui, qui ouvre la porte et tombe dans les bras de sa sœur. Une rare scène de joie au milieu d'un théâtre de détresse.
Car Trèbes a payé très cher les inondations qui ont frappé le département de l'Aude dans la nuit de dimanche à lundi : sur les onze victimes dénombrées mardi matin – on compte par ailleurs huit blessés et deux disparus –, six sont mortes ici. " Ce sont six personnes âgées, toutes surprises dans leur sommeil par la montée des eaux ", explique un gendarme local.Deux vivaient dans le centre-ville, quatre dans la cité de l'Aiguille, de l'autre côté de la rivière, " la zone la plus touchée ", d'après le même gendarme. " Là, l'Aude s'est étalée sur 200 mètres. C'était le Mississippi. "
Trois mois de pluie en une nuitSelon " Nico ", le petit centre-ville coincé entre l'Aude et le canal du Midi ressemblait à un " aquarium géant ". Le patron de l'épicerie a vu son échoppe épargnée de justesse par la crue. Il s'en est aussi fallu de peu que, tentant de sauver l'une de ses deux voitures à 4 heures du matin, il y laisse la vie, à même pas 40 ans.
Emporté par les flots, il s'est agrippé à un poteau en béton. Un ami rugbyman de 130 kilos, plus fort que le courant, est venu le tirer de là. Ses voitures sont bonnes pour la casse, et l'une a carrément disparu – " elle doit se promener entre le stade et la maison de retraite ". Nico trouve l'énergie de sourire, mais ce 15 octobre est " un jour sombre ", dit-il. " Encore un. Deux en un an, c'est beaucoup. "
Caméras, micros et stylos n'ont mis que sept mois à revenir à Trèbes. Le 23 mars, trois personnes y avaient été tuées à l'intérieur d'un supermarché par Radouane Lakdim – qui avait aussi fait une victime à Carcassonne. Le maire Eric Ménassi, " catastrophé ", doit aujourd'hui gérer une nouvelle situation critique. Sa ville est salement amochée. Trois mois de pluie y sont tombés en une nuit. Au plus fort de la crue, à 7 h 30 du matin, l'Aude y est montée jusqu'à 7,68 m – contre une quarantaine de centimètres à minuit –, approchant les 7,95 m atteints lors de la crue record d'octobre 1891.
Le niveau était repassé sous les 2 mètres mardi matin, et le retrait des flots dévoilait un spectacle aussi insolite que décourageant. Les rues transformées en torrents de boue figés ; deux bateaux échoués sur le quai ; un lampadaire à l'horizontale ; une voiture à la verticale le long d'un tronc d'arbre, pare-chocs avant planté dans le sol ; des poussettes à l'abandon. Le tout avec, en fond sonore, l'alarme du distributeur automatique de billets ne s'arrêtant plus de hurler au milieu du silence.
Visages hagardsQue ce soit celle de la laverie, de la rôtisserie, de la pizzeria ou des deux salons de coiffure, les vitrines des artisans avec vue sur la rivière furieuse ont explosé, l'eau s'est engouffrée dans les commerces. Le rideau métallique du Café de l'Aude est enfoncé. Le panneau " A vendre " du Café Pasteur, situé juste à côté, a résisté, mais on voit mal, désormais, comment il trouverait preneur. Tout comme les quinze voitures du garage Stef, qui devaient être bien alignées dimanche soir, et sont à présent encastrées les unes dans les autres, bousillées.
L'électricité est revenue dans la majeure partie de la commune de 5 500 habitants, dont beaucoup ont pu passer la soirée à la maison, et revoir en boucle sur les chaînes d'info en continu la catastrophe survenue en bas de chez eux.
Quelques visages hagards sillonnaient encore les rues désertes, comme celui de Carlo, maçon sexagénaire, parti se coucher à 1 heure du matin dimanche dans une maison sèche, réveillé un quart d'heure plus tard dans une maison inondée. " Tout le rez-de-chaussée est foutu, et à deux marches près, l'étage l'était aussi, lâche-t-il, au bord des larmes. C'est monté si vite… Il me reste mon lit et ma télé, qui étaient là-haut. J'ai perdu tout le reste. Mes deux voitures, le frigo, le micro-ondes. Je ne sais pas quoi faire. "
Un nombre indéterminé – plusieurs dizaines ? deux cents ? – de Trébéens ont trouvé refuge dans deux salles communales transformées en dortoirs de fortune. A la salle Riquet se sont relayés toute la journée de lundi des habitants désemparés, venus manger un bœuf aux carottes servi par d'autres habitants un peu moins désemparés.
La Croix-Rouge, notamment une équipe venue d'Andorre, y a installé une soixantaine de lits de camp. Quelque 3 000 euros de marchandises ont été offerts par un magasin Carrefour de Toulouse : de l'eau, du lait, des œufs, des gâteaux, des couches, des sacs de couchage, des plaids. " Et surtout des chaussettes sèches, sourit une mère de famille venue prêter main-forte. Vous ne vous rendez pas compte, mais ça n'a pas de prix ! "
" Imprévisible "Au choc a vite succédé un début de polémique, et Eric Ménassi a dû faire face à la colère de certains sinistrés de la salle Riquet, qui estimaient ne pas avoir été bien informés de la crue qui arrivait. " La tragédie que nous avons vécue était imprévisible et insurmontable, s'est défendu le maire. C'est une crue centennale ! " La scène se déroulait sous les yeux du premier ministre, Edouard Philippe, venu dans l'après-midi sur la zone sinistrée.
Le chef du gouvernement, lui aussi interpellé par des habitants du village de Villegailhenc où deux personnes sont mortes, a assuré que l'épisode météorologique était " par lui-même imprévisible " et que " faire passer une information en pleine nuit - était - compliqué ". C'est à 6 heures du matin, lundi, que l'Aude a été placée par Météo France en vigilance rouge – elle l'était toujours mardi matin, mais les pluies, plus faibles, se sont décalées vers l'est.
Une " procédure de catastrophe naturelle accélérée "va être mise en œuvre dans le département, a assuré Edouard Philippe, qui a aussi indiqué avoir " pris contact avec la Fédération française des sociétés d'assurances pour indiquer combien il était nécessaire que les indemnisations des particuliers puissent être les plus rapides possibles ".
Depuis Paris, où il tenait une conférence de presse aux côtés du président sud-coréen Moon Jae-in, Emmanuel Macron a, quant à lui, exprimé " l'émotion et la solidarité de toute la nation ". Le président de la République devrait se rendre sur place la semaine prochaine.
Henri Seckel
© Le Monde


17 octobre 2018

Des " épisodes méditerranéens " de plus en plus intenses

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Entre minuit et 6 heures, lundi 15 octobre, il est tombé 140 millimètres (mm) de pluie à  Carcassonne et 295 mm dans la cité voisine de Trèbes, où six personnes ont trouvé la mort cette nuit-là. " A partir de 20 mm de précipitation par heure, il s'agit déjà d'un fort cumul ; là, c'est colossal. Un record ", commente Emmanuel Demaël, prévisionniste à  Météo France, à propos de la " lame d'eau " qui a semé la désolation dans l'Aude, entre Trèbes et Conques-sur-Orbiel.
Des " orages en ligne ", violents, difficilement prévisibles et très localisés qui déversent l'équivalent de plusieurs mois de précipitations en quelques heures, causant des crues éclair sur une étroite bande de territoire : voilà les caractéristiques des épisodes méditerranéens que connaissent en automne le Languedoc, la Provence ou l'Ardèche – improprement appelés " épisodes cévenols " lorsqu'ils ne concernent pas des régions où les nuages sont arrêtés par les hauteurs des Cévennes.
Liés à des remontées d'air chaud humide et instable en provenance de la mer, ils se produisent surtout entre septembre et novembre, quand la température de la mer qui a chauffé tout l'été est la plus élevée, ce qui favorise une forte évaporation. Ces intempéries touchent en fait tout le pourtour méditerranéen : Espagne, Italie, Grèce mais aussi le Maghreb, qui est davantage concerné en décembre et janvier.
Les experts ne laissent aucun doute : ces pluies diluviennes, il y en aura d'autres. Elles risquent de survenir plus souvent, mais surtout elles s'annoncent de plus en plus brutales. Elles sont déjà de plus en plus intenses et devraient se renforcer sous l'effet du changement climatique.
Les scientifiques – notamment Robert Vautard, chercheur (CNRS) au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement – ont fait tourner leurs modèles et rendu compte de certains de leurs résultats dans deux articles publiés dans la revue Climatic Change, en avril et juin.
Ils estiment que, dans le sud de la France, l'intensité des précipitations extrêmes a déjà significativement augmenté de 22  % sur la période 1961-2015 "En outre, à partir d'un ensemble de simulations, leurs travaux montrent que la probabilité de dépasser un épisode de précipitation extrême ne survenant qu'une fois tous les cent ans " a plus que doublé en raison des températures " en hausse. Et de conclure : " Nous soutenons qu'il est difficile d'expliquer les tendances diagnostiquées sans invoquer l'influence humaine sur le climat. "
Orages et sécheresse" Plus l'air est chaud, plus il emmagasine de l'humidité : un degré Celsius en plus se traduit par 7  % d'humidité supplémentaires, expose Yves Tramblay, hydrologue au laboratoire HydroSciences (université de Montpellier, CNRS, Institut de recherche pour le développement). On peut donc dire avec certitude que les épisodes méditerranéens vont devenir plus intenses. "
Coauteur avec Samuel Somot (Centre national de recherches météorologiques) d'un article sur ce sujet, également publié dans Climatic Change, le 25 septembre, Yves Tramblay détaille leurs recherches, qui prennent en compte deux scénarios du Groupe d'experts intergouvernemental sur le climat (GIEC), le plus optimiste tablant sur un réchauffement de plus de 1  °C d'icià 2050. " Dans les deux cas, une intensification des pluies extrêmes se dessine, résume-t-il. Elle n'est pas uniforme : elle varie entre 5  % et 100  % d'augmentation selon les bassins, mais se situe autour de 20  % en moyenne d'ici à la fin de ce siècle et même au-delà dans le sud de la France, le nord de l'Italie et les Balkans. "
Les orages d'automne ne doivent pas faire oublier que  le bassin méditerranéen tout entier souffre désormais de sécheresse. Partout le nombre de jours où il pleut diminue, et partout les orages deviennent plus violents.
Les crues soudaines causées par des pluies diluviennes comme celles du 15  octobre ont fait de nombreux morts ces dernières années. En  1999, trente-cinq personnes étaient mortes dans le sud de la France, dont vingt-six dans l'Aude. En  2001, à Alger, un millier de personnes avaient disparu à la suite d'un épisode méditerranéen.
Martine Valo
© Le Monde



17 octobre 2018

La France s'éloigne de ses objectifs sur le climat

Energie, transports, bâtiment : les émissions de gaz à effet de serre restent trop élevées

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Alors que le gouvernement doit présenter fin octobre sa nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), une étude de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), publiée mardi 16 octobre, sonne l'alarme. Dans tous les secteurs – énergie, transports, bâtiments, agriculture –, l'Hexagone est en retard sur ses objectifs climatiques. Pire, cet écart se creuse.
Pour orienter sa politique sur l'énergie et le climat, la France s'est dotée de deux outils de planification : la PPE, en cours de révision, et la " stratégie nationale bas carbone ", en phase de réécriture. Cette dernière précise, pour les différentes activités économiques, les " budgets carbone ", c'est-à-dire les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser pour rester sur la trajectoire définie à moyen et long termes.
Or, les émissions nationales sont reparties à la hausse depuis 2015, si bien qu'en  2017, elles ont excédé de 7 % le budget imparti. Cela, alors que le plan climat annoncé en juillet  2017 par l'ex-ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a rehaussé l'ambition de la France : elle vise désormais la neutralité carbone en  2050, et non plus seulement la division par quatre de ses émissions, comme le prévoyait la loi de transition énergétique de 2015. Il y a donc, soulignent les auteurs de l'étude, un " écart grandissant " entre les objectifs et la réalité des émissions nationales de gaz à effet de serre.
Ce constat vaut pour tous les secteurs, à commencer par la production d'énergie. Pour ne pas dévier de la trajectoire, calcule l'Iddri, il faudrait " multiplier par quatre le rythme de l'amélioration de l'efficacité énergétique ", et " par trois celui de la baisse de consommation d'énergies primaires fossiles ". Parmi les combustibles fossiles, seul le charbon a enregistré une baisse depuis 2012 (?  22  %), tandis que le pétrole et le gaz se maintenaient à un niveau stable. Les énergies renouvelables restent à la traîne, dans la production d'électricité et plus encore de chaleur.
" Fenêtre à saisir "La décarbonation des transports, responsables de 30 % des émissions françaises, patine elle aussi. En légère augmentation (+ 1  %) entre 2012 et 2017, ces émissions s'écartent chaque année davantage des plafonds prévus : elles les ont dépassés de 6  % en  2016 et de 10  % en  2017. En cause, la hausse du transport routier (+ 6  % environ entre 2016 et 2017), qui annihile les bénéfices de la baisse de consommation des véhicules et du déploiement des motorisations électriques.
Le secteur du bâtiment, qui représente 20  % des émissions nationales, est encore moins vertueux, puisqu'il a surpassé de 11 % son budget carbone en  2016, et de 22  % en  2017. Les derniers chiffres disponibles, portant sur 2014, font état de 288 000 rénovations thermiques de logements " performantes " ou " très performantes ", très en deçà de l'objectif de 500 000 logements rénovés par an que la France s'est fixé dès 2012.
Quant à l'agriculture, source de près de 20 % des rejets carbonés, ses émissions, après quinze années de décrue, sont remontées en  2017, dépassant de 3,2  % le plafond. " La trajectoire du secteur agricole est, sur le long terme, incompatible avec les objectifs climatiques de la France ", note l'étude.
" Aujourd'hui, tous les indicateurs sont au rouge, commente Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Iddri. Notre message est que nous sommes à un moment critique. Il y a une fenêtre à saisir, non pour changer à la marge la politique énergétique et climatique, mais pour la transformer en profondeur. "
Pierre Le Hir
© Le Monde

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