Un secret jalousement gardé. L'exécutif avait espéré que l'avis du Conseil d'Etat portant sur le projet de loi " habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (UE) " ne soit pas rendu public. Sans doute voulait-il éviter de voir éventées les réserves de la juridiction administrative à la lecture d'un projet de loi lui laissant une grande latitude.
Fin août, Edouard Philippe avait demandé à ses ministres de travailler aux mesures à prendre au cas où le Royaume-Uni et l'UE échoueraient à trouver un accord. Des mesures visant à
" atténuer les difficultés liées à ce défi inédit ", avait précisé Matignon. Comme
" faciliter le séjour des ressortissants britanniques déjà présents en France " ou
" assurer la plus grande fluidité possible des contrôles aux frontières lorsque le Royaume-Uni sera devenu un pays tiers ".
" En place pour le pire "Dans l'avis sur ce texte, rendu le 27 septembre et dont
Le Monde a pris connaissance, le Conseil d'Etat considère le recours aux ordonnances comme
" justifié, à la fois, par l'urgence qui s'attache à la préparation de ces mesures mais aussi par le caractère conditionnel de la plupart d'entre elles ". Elles ne trouveraient, en effet, à s'appliquer que dans l'hypothèse d'un retrait du Royaume-Uni sans accord. Le Conseil relève toutefois que
" la compatibilité des mesures envisagées dans le présent projet avec le droit de l'Union devra être appréciée au stade des ordonnances ".
C'est ce qui chagrine le plus le Conseil d'Etat dans ce projet de loi. Il n'énumère que les têtes de chapitre des domaines pouvant donner lieu à ordonnance mais sans préciser, dans la plupart des cas, la portée des mesures envisagées.
" Le gouvernement explique ces choix par le souci de ménager la position de la France dans les négociations en cours, en préservant ses marges de manœuvre, note le Conseil.
Il fait valoir en outre, à juste titre, que la finalité des mesures en cause est susceptible d'être précisée au cours du débat parlementaire au fur et à mesure de l'avancement des négociations. "
Toutefois, le Conseil d'Etat rappelle les
" exigences constitutionnelles " qui imposent au gouvernement d'indiquer au Parlement
" les finalités des mesures envisagées avec un degré de précision suffisant ".
" Tout en admettant que le projet du gouvernement s'inscrit dans un contexte très particulier (…),
le Conseil d'Etat considère, au stade où il est saisi, que le respect de cette exigence constitutionnelle suppose de préciser davantage l'énoncé de la finalité des mesures ", poursuit-il.
Entre les lignes, on devine aisément que cet avis a donné lieu à d'âpres débats au sein de la juridiction administrative, d'ordinaire très sourcilleuse sur son rôle de conseil au gouvernement,
" qui l'invite à donner le maximum de sécurité juridique aux avis qu'il émet sur les projets de loi ". Ce n'est pas de gaieté de cœur que les membres du Conseil ont dû consentir une telle tolérance.
Le projet de loi va être examiné par la commission spéciale du Sénat constituée à cet effet, qui devrait commencer ses auditions le 18 octobre.
" Je demande que tout soit en place pour le pire ", a déclaré Hervé Morin, le président de la région Normandie, lors d'une -conférence de presse en présence des représentants des ports normands et des compagnies maritimes y opérant, le 10 octobre.
" Un Brexit sans accord, le “no deal” comme on le désigne outre-Manche, représente pour notre économie, et plus encore pour notre économie portuaire, une menace majeure si des mesures concrètes et à effet immédiat ne sont pas prises, réclament ceux-ci.
Il est clair que le rétablissement d'une frontière sur les ports de la Manche va coûter cher et que nous aurons besoin de l'aide de l'Etat et de l'Europe. Il faut donc que le gouvernement précise rapidement de quelle manière il contribuera au financement des travaux indispensables. "
Le Conseil européen des 17 et 18 octobre est présenté comme celui de la " dernière chance ". Si un accord est signé et ratifié, il entrera en vigueur le 30 mars 2019. A défaut, le Royaume-Uni deviendrait un Etat tiers, dans lequel cesserait de s'appliquer le droit de l'Union.
Patrick Roger
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