Il a ôté le rouge de ses affiches, trop marqué par le communisme, retiré le visage de Lula, l'ancien chef d'Etat emprisonné haï par une partie des Brésiliens, et reconnu les erreurs de son parti, impliqué dans les scandales de corruption. Ce lundi 15 octobre, à Sao Paulo, Fernando Haddad, 55 ans, candidat à la présidence de la République pour le Parti des travailleurs (PT, gauche), se présente aux journalistes devant un drapeau brésilien. Une tactique visant à ôter à son rival d'extrême droite, Jair Bolsonaro, le monopole du patriotisme. Poli et didactique, l'ancien maire de Sao Paulo appelle à la formation d'un " front démocratique ", espérant le " réveil " de la nation face à la menace Bolsonaro. " On se battra jusqu'à la dernière minute ", assure-t-il.
A treize jours du second tour de l'élection, prévu le 28 octobre, l'héritier de Lula se démène avec l'énergie du désespoir dans une atmosphère de défaite. Selon le sondage Ibope du lundi 15 octobre, Jair Bolsonaro, capitaine de réserve de l'armée, nostalgique de la dictature (1964-1985) et admirateur de ses tortionnaires, est donné gagnant avec 59 % des intentions de vote contre 41 % pour le candidat de la gauche.
" L'élection est finie ", tranche le politologue Ruda Ricci. Déjà, Steve Bannon, qui fut le stratège de la campagne de Donald Trump aux Etats-Unis, se réjouit de voir le Brésil prêt à rejoindre son " mouvement " mondial de national-populisme, dans un entretien filmé à l'agence Bloomberg, le 11 octobre.
Sous-estimée avant le premier tour, la vague Bolsonaro a submergé Fernando Haddad, qui entreprend aujourd'hui un virage à 180 degrés de sa campagne. Une manœuvre bien tardive, jugent la plupart des analystes. Le quinquagénaire qui, au lendemain du premier tour, était encore dans la cellule de Lula, prenant conseil auprès du " père des pauvres ", a pris conscience des critiques faisant de lui " la marionnette " de l'ancien chef d'Etat. Il mène désormais le combat seul et nie vouloir gracier l'ex-métallo, condamné à douze ans de réclusion pour corruption. Face à un Jair Bolsonaro qui répète que le PT transformera le Brésil en Venezuela, il rappelle sa répugnance envers le régime de Maduro. Enfin, il reconnaît que le PT a commis des
" erreurs " en laissant la corruption gangrener les entreprises publiques.
" Le professeur (…)
change le dictionnaire brésilien : il transforme le mot “corruption” en “erreur” ", raille sur Twitter Carlos Bolsonaro, fils du candidat de l'extrême droite.
" Ce sera très difficile pour Haddad. Le pays est malade. Bolsonaro est un phénomène sociologique complexe lié aux erreurs du PT, mais aussi à celles des autres partis mouillés dans les affaires de corruption, ainsi qu'à la violence et au poids de l'Eglise ", commente Ruy Fausto, professeur de philosophie à l'université de Sao Paulo.
Imaginant une campagne traditionnelle, le PT et Fernando Haddad ont utilisé des outils classiques de communication – affiches et spots de télévision – quand les équipes de Jair Bolsonaro, avec peu de moyens, envahissaient les réseaux sociaux. L'ancien ministre de l'éducation qui, en 2011, imaginait distribuer dans les écoles des manuels visant à lutter contre l'homophobie, s'est vu accuser de vouloir enseigner l'homosexualité aux écoliers, voire de défendre la pédophilie, s'attirant les foudres de l'électorat évangélique.
" J'ai - entendu -
tant de choses à mon sujet que j'ai failli renoncer à voter pour moi ! Tant de mensonges… ", plaisante le candidat interrogé par le journal espagnol
El Pais, dimanche 14 octobre.
L'agression au couteau qui faillit coûter la vie, le 6 septembre, à Jair Bolsonaro, a achevé de bouleverser une campagne hors normes. Privé de débats télévisés pour cause d'hospitalisation à l'approche du premier tour, l'ancien parachutiste, desservi par ses propos homophobes racistes ou misogynes et le flou de ses idées, a compris qu'il avait tout intérêt à fuir ces confrontations. Avec ou sans avis médical, le militaire a refusé jusqu'à présent de se plier à l'exercice.
" J'ai honte et j'ai peur "Décontenancé, Fernando Haddad espère un ultime sursaut de la gauche comme de la droite, pour former ce " front démocratique " tant espéré. Las, épaulé par Ciro Gomes, candidat de centre gauche, il a dû faire avec la neutralité du Parti social-démocrate brésilien (PSDB, droite) et le silence de l'écologiste Marina Silva.
Soucieux de rassurer les marchés financiers séduits par le conseiller économique libéral de Jair Bolsonaro, Paulo Guedes, le candidat du PT, n'a guère su convaincre une figure respectée d'endosser le rôle de son hypothétique ministère de l'économie. A la justice a été pressenti Joaquim Barbosa, ex- président de la Cour suprême à l'origine de condamnations de figures du PT dans le " mensalao ", l'affaire de corruption de membres du Congrès. Mais si l'intéressé confirme discuter avec le candidat, il nie avoir reçu une proposition.
" J'ai honte et j'ai peur pour le Brésil, admet M. Barbosa.
Je sais ce qui se passe lorsque tout un peuple se lance dans des aventures folles et commet des erreurs graves, irréparables. Sous prétexte de se débarrasser du PT, qui a commis des fautes politiques et juridiques impardonnables, le Brésil et ses élites semblent prêts à plonger le pays, de nouveau, dans le chaos. "
Claire Gatinois
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