Dans la famille orthodoxe, la déchirure est profonde. A l'issue d'un synode organisé, lundi 15 octobre, pour la première fois à Minsk, en Biélorussie, l'Eglise russe orthodoxe a annoncé la rupture totale de ses relations avec le patriarcat de Constantinople. " Nous ne pouvons pas garder le contact avec cette Eglise qui est en situation de schisme ", a affirmé lundi soir le métropolite Hilarion, responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou. Plus de liturgies ni de communions communes pour les fidèles, jugées désormais " impossibles " et qui ne seront donc plus tolérées. Même le lieu saint du mont Athos, en Grèce, où Vladimir Poutine s'est rendu à plusieurs reprises, est concerné par cet interdit.
La rupture du lien eucharistique entérine une crise profonde née avec la décision du patriarcat de Constantinople de reconnaître l'indépendance de l'Eglise ukrainienne placée depuis 332 ans sous la tutelle russe. Le 11 octobre, le patriarcat œcuménique qui siège à Istanbul, avec à sa tête Bartholomée Ier, considéré dans le monde orthodoxe comme le " premier parmi ses pairs ", avait rétabli dans ses fonctions hiérarchiques le patriarche de Kiev Philarète, fondateur d'une Eglise dissidente et pour cela excommunié en 1997 par Moscou. Il avait révoqué du même coup le décret de 1686 qui avait permis à l'Eglise russe orthodoxe d'étendre depuis lors son influence dans toute l'Ukraine, cette dernière représentant aujourd'hui plus d'un tiers de son patrimoine.
" En dehors des canons "
" L'accueil dans la communion des schismatiques et d'une personne frappée d'anathème (…)
, l'empiétement sur des territoires canoniques étrangers, la tentative de renier ses propres décisions historiques et ses obligations, tout cela place le patriarcat de Constantinople en dehors des canons ", a fustigé le métropolite Hilarion dans une déclaration lue à la sortie du synode de Minsk.
" Le 15 octobre 2018 entrera dans l'histoire et, malheureusement, c'est une défaite totale " pour le patriarcat de Moscou, estime Sergueï Chapnine, expert russe sur les questions religieuses.
Le conflit russo-ukrainien, ouvert en 2014 après l'annexion unilatérale de la Crimée en 2014 par la Russie et les affrontements meurtriers entre séparatistes prorusses et forces loyales à Kiev dans le Donbass, à l'est du pays, trouve ici une prolongation sur le terrain de la religion. Pour le président ukrainien, Petro Porochenko, qui avait lui-même transmis la demande de reconnaissance de Philarète à Constantinople, il s'agit ni plus ni moins que d'un
" nouvel acte d'indépendance ".
Vladimir Poutine est resté pour sa part silencieux jusqu'ici. Mais, signe de la nervosité de Moscou, le chef du Kremlin a tenu le 12 octobre, au lendemain de la décision affichée par Constantinople, un conseil de sécurité consacré pour une large part au sujet.
Aux sanctions sur le plan diplomatique et économique s'ajoute ainsi le plus sérieux revers jamais encaissé par une Eglise russe orthodoxe, qui voit son influence contestée et diminuée. Organisé en Biélorussie, le synode de lundi se devait de souligner qu'elle n'est pas isolée.
" En tant que membre de l'Eglise orthodoxe russe ", l'Eglise biélorusse
" s'associe " à la rupture des relations avec Constantinople, a souligné le métropolite Hilarion, tout en prenant soin de préciser que la décision de rompre les liens s'étendait à
" l'ensemble de - son -
territoire canonique ".
Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a apporté son soutien à la démarche.
" La scission est toujours une mauvaise chose ", a-t-il déclaré à l'issue d'un tête-à-tête avec le patriarche de Moscou, Kirill Ier, et a déploré que l'Eglise soit devenue l'
" otage " de relations très dégradées.
Mais la plupart des autres Eglises orthodoxes sont pour l'instant restées muettes, laissant Moscou et Constantinople s'affronter. En coulisse, cependant, l'inquiétude domine. Le 6 septembre, le patriarche serbe Irinej s'était opposé, dans une lettre à Bartholomée Ier, à ce que de
" nouveaux Etats " créent leur propre Eglise.
" Ce principe pourrait menacer l'unité de l'Eglise orthodoxe ", a-t-il fait valoir, cité par le quotidien serbe
Blic.
Le chef de l'Eglise serbe exprimait ainsi sa préoccupation sur une possible extension du conflit et sa crainte que d'autres Eglises considérées comme renégates fassent valoir les mêmes revendications que Kiev. Dans les années 1960, la Serbie avait bloqué la reconnaissance de l'Eglise macédonienne après que celle-ci s'était déclarée indépendante.
Isabelle Mandraud
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