Un tiers des substances chimiques le plus utilisées en Europe ne respectent pas la réglementation censée protéger la santé et l'environnement. Telle est la conclusion d'une étude sans précédent, menée par l'Institut -fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR).
Le BfR, équivalent de l'Agence française de sécurité sanitaire (Anses), est la première autorité nationale à avoir cherché à éprouver l'efficacité du règlement Reach. Entré en vigueur en 2007, ce dernier vise à encadrer la commercialisation des substances chimiques en contraignant les industriels à fournir les informations néces-saires à l'évaluation de leur dangerosité suivant le principe " pas de données, pas de marché ".
Au terme de trois ans d'investigations, les résultats mettent en évidence des trous béants dans la raquette. Le BfR, avec l'appui de l'Agence allemande de l'environnement, a passé au crible les molécules produites ou importées massivement (plus de 1 000 tonnes par an) en Europe depuis 2010 et soumises au dit règlement. Il en a identifié 1 814. Pour 32 % de ces substances, les données fournies par les industriels sont
" non conformes ", concluent
les experts de l'Institut, pourtant réputé proche de l'industrie chimique.
Phtalate, bisphénol A, Chrome VI, HAP (hydrocarbure aromatique polycyclique)… ces substances ne sont pas anodines. Elles peuvent être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques et avoir des effets perturbateurs endocriniens. Elles sont pourtant omniprésentes dans notre environnement et les biens de consommation : vêtements, meubles, jouets, peintures, cosmétiques, emballages alimentaires…
" Mesures cœrcitives "Si Reach s'applique avant tout à l'industrie chimique, il concerne toutes les entreprises (manufacturières, artisanales…) qui fabriquent, utilisent ou importent ces substances dans une quantité supérieure à une tonne par an. Les sociétés doivent les
" enregistrer " auprès de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Concrètement, elles sont tenues de transmettre des dossiers -comportant des infor-mations sur leurs propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques, mais aussi des études évaluant les risques pour la santé et l'environ-nement, ainsi que les mesures de gestion appropriées.
C'est la qualité de ces informations que le BfR a essayé d'évaluer. Et le bilan n'est pas brillant.
" Absences de données ", " évaluation manquante ", " validité scientifique du modèle non documentée "… Les experts allemands sont sévères. Les données sont jugées particulièrement insuffisantes concernant les risques écotoxicologiques (61 % de non-conformité), mutagènes (40 %) et reprotoxiques (34 %).
Le Bureau européen de l'environnement (BEE), qui regroupe plus de 140 organisations environnementales, a pu assister à un atelier organisé fin août à Berlin, où a été présenté le travail du BfR, et en a diffusé les résultats vendredi 12 octobre.
" Ces résultats effarants montrent que les industriels violent les lois européennes en commercialisant des centaines de substances chimiques potentiellement dangereuses et largement répandues dans les produits de grande consommation, commente Tatiana Santos, spécialiste de la question au sein du BEE.
Pourtant, la loi est claire : c'est aux industriels de faire la preuve que leurs produits ne sont pas dangereux. La loi dit : “Pas de données, pas de marché.”Cela signifie que ces substances ne devraient pas être utilisées, tant que leur innocuité n'est pas démontrée. "
Contacté par
Le Monde, le -Conseil européen de l'industrie chimique (Cefic) dément tout manquement à la législation
. " Nous ne nions pas qu'il y a un certain nombre de problèmes et que des améliorations peuvent être apportées, estime Erwin Annys, chargé de la réglementation Reach au sein de Cefic.
L'essentiel des non-conformités relevées par le BfR est lié au manque d'études sur les animaux. Or la législation prévoit la possibilité d'utiliser des données alternatives. Nous sommes en pleine discussion avec les autorités pour les faire reconnaître pleinement dans le processus d'évaluation. " Les études animales restent cruciales en toxicologie.
Pour le BEE, l'étude du BfR relève aussi les limites de la réglementation.
" Les autorités donnent aveuglément leur feu vert à des substances suspectes, déplore Tatiana Santos
. C'est le fondement de Reach qui est attaqué. "
Interrogée par
Le Monde, l'ECHA ne conteste pas les résultats de l'agence allemande.
" Des efforts accrus des industriels et des autorités sont nécessaires pour atteindre un taux de conformité plus élevé pour les dossiers d'enregistrement dans le cadre de la réglementation Reach ", reconnaît-on à l'Agence européenne des produits chimiques. Basée à Helsinki, l'ECHA croule sous les dossiers d'enregistrement. A ce jour, ils sont plus de 40 000 (sur près de 150 000 molécules en circulation). Mais elle n'a pu
" vérifier la conformité " que de 1 780 d'entre eux. L'objectif fixé par la législation est de contrôler
" au moins 5 % " de tous les dossiers, précise l'ECHA.
Même sur la base de ce très faible échantillon,
" dans la majorité des cas, la non-conformité d'un ou de plusieurs paramètres a été établie ", confirme l'autorité européenne. Elle précise, cependant, avoir formulé
" plus de 4 000 demandes de mise en conformité ". Et dans
" plus de 85 % " des cas, celles-ci ont été suivies d'effets. Le BEE brandit le rapport du BfR pour réclamer
" la fin de l'enregistrement automatique des dossiers non conformes et leur retrait immédiat ". L'organisation demande, en outre, à la Commission européenne d'envisager des
" mesures cœrcitives " pour obliger les industriels à respecter la réglementation.
Le système " se mord la queue "Reach est actuellement en cours de révision. Un document de travail préparatoire de la Commission pointe une
" entrave " à la fois à l'identification des substances problématiques et à la capacité des autorités à protéger le public et l'environnement.
" Cinq pour cent de dossiers contrôlés, cela signifie surtout que 95 % ne le sont pas. C'est très inquiétant. Surtout que l'on sait, désormais, que les industriels sont incapables de fournir les informations de base sur des substances pourtant connues depuis très longtemps pour la plupart ", commente le sociologue à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, Henri Boullier.
Il s'est intéressé au cas du DEHP dans le règlement Reach. Phtalate toxique pour la reproduction, le DEHP a été identifié dès 2009 comme
" substance extrêmement préoccupante ". Pourtant, près de dix ans plus tard, certains producteurs continuent à bénéficier d'une autorisation pour des usages spécifiques. On retrouve ainsi le DEHP dans les rideaux de douche, les jouets, les câbles électriques, les poches de sang ou encore les sextoys.
Selon M. Boullier, l'explication tient à l'essence même de ce
" système qui se mord la queue ". Car l'objectif de Reach est de
" mieux protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques…
tout en favorisant la compétitivité de l'industrie chimique de l'Union européenne ".
Stéphane Mandard
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