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lundi 29 octobre 2018

Un tiers des produits chimiques suspects


13 octobre 2018

Un tiers des produits chimiques suspects

Une étude allemande pointe l'insuffisance des données fournies par les industriels

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NOUVELLES NORMES POUR LES TRAVAILLEURS
Le Parlement européen et les Etats membres sont parvenus à un accord, jeudi 11 octobre, pour réduire l'exposition des travailleurs à des substances nocives, dans le cadre de la -révision d'une directive de 2004. Les émanations de diesel seront ajoutées à la liste des substances cancérigènes. Les expositions autorisées ont par ailleurs été limitées à 0,05 mg/m³ pendant huit heures. Cinq autres agents cancérigènes seront soumis à une valeur limite d'exposition. Sont concernés la fabrication de produits en plastique, vinyle, papier, l'industrie chimique, la construction de routes, de tunnels, le ferroviaire.
Un tiers des substances chimiques le plus utilisées en Europe ne respectent pas la réglementation censée protéger la santé et l'environnement. Telle est la conclusion d'une étude sans précédent, menée par l'Institut -fédéral allemand d'évaluation des risques (BfR).
Le BfR, équivalent de l'Agence française de sécurité sanitaire (Anses), est la première autorité nationale à avoir cherché à éprouver l'efficacité du règlement Reach. Entré en vigueur en  2007, ce dernier vise à encadrer la commercialisation des substances chimiques en contraignant les industriels à fournir les informations néces-saires à l'évaluation de leur dangerosité suivant le principe " pas de données, pas de marché ".
Au terme de trois ans d'investigations, les résultats mettent en évidence des trous béants dans la raquette. Le BfR, avec l'appui de l'Agence allemande de l'environnement, a passé au  crible les molécules produites ou importées massivement (plus de 1 000  tonnes par an) en Europe depuis 2010 et soumises au dit règlement. Il en a identifié 1 814. Pour 32  % de ces substances, les données fournies par les industriels sont " non conformes ", concluentles experts de l'Institut, pourtant réputé proche de l'industrie chimique.
Phtalate, bisphénol A, Chrome VI, HAP (hydrocarbure aromatique polycyclique)… ces substances ne sont pas anodines. Elles peuvent être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques et avoir des effets perturbateurs endocriniens. Elles sont pourtant omniprésentes dans notre environnement et les biens de consommation : vêtements, meubles, jouets, peintures, cosmétiques, emballages alimentaires…
" Mesures cœrcitives "Si Reach s'applique avant tout à l'industrie chimique, il concerne toutes les entreprises (manufacturières, artisanales…) qui fabriquent, utilisent ou importent ces substances dans une quantité supérieure à une tonne par an. Les sociétés doivent les " enregistrer " auprès de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Concrètement, elles sont tenues de transmettre des dossiers -comportant des infor-mations sur leurs propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques, mais aussi des études évaluant les risques pour la santé et l'environ-nement, ainsi que les mesures de gestion appropriées.
C'est la qualité de ces informations que le BfR a essayé d'évaluer. Et le bilan n'est pas brillant. " Absences de données ", " évaluation manquante ", " validité scientifique du modèle non documentée "… Les experts allemands sont sévères. Les données sont jugées particulièrement insuffisantes concernant les risques écotoxicologiques (61  % de non-conformité), mutagènes (40  %) et reprotoxiques (34  %).
Le Bureau européen de l'environnement (BEE), qui regroupe plus de 140  organisations environnementales, a pu assister à un atelier organisé fin août à Berlin, où a été présenté le travail du BfR, et en a diffusé les résultats vendredi 12 octobre.
" Ces résultats effarants montrent que les industriels violent les lois européennes en commercialisant des centaines de substances chimiques potentiellement dangereuses et largement répandues dans les produits de grande consommation, commente Tatiana Santos, spécialiste de la question au sein du BEE. Pourtant, la loi est claire : c'est aux industriels de faire la preuve que leurs produits ne sont pas dangereux. La loi dit : “Pas de données, pas de marché.”Cela signifie que ces substances ne devraient pas être utilisées, tant que leur innocuité n'est pas démontrée. "
Contacté par Le Monde, le -Conseil européen de l'industrie chimique (Cefic) dément tout manquement à la législation. " Nous ne nions pas qu'il y a un certain nombre de problèmes et que des améliorations peuvent être apportées, estime Erwin Annys, chargé de la réglementation Reach au sein de Cefic. L'essentiel des non-conformités relevées par le BfR est lié au manque d'études sur les animaux. Or la législation prévoit la possibilité d'utiliser des données alternatives. Nous sommes en pleine discussion avec les autorités pour les faire reconnaître pleinement dans le processus d'évaluation. " Les études animales restent cruciales en toxicologie.
Pour le BEE, l'étude du BfR relève aussi les limites de la réglementation. " Les autorités donnent aveuglément leur feu vert à des substances suspectes, déplore Tatiana Santos. C'est le fondement de Reach qui est attaqué. "
Interrogée par Le Monde, l'ECHA ne conteste pas les résultats de l'agence allemande. " Des efforts accrus des industriels et des autorités sont nécessaires pour atteindre un taux de conformité plus élevé pour les dossiers d'enregistrement dans le cadre de la réglementation Reach ", reconnaît-on à l'Agence européenne des produits chimiques. Basée à Helsinki, l'ECHA croule sous les dossiers d'enregistrement. A ce jour, ils sont plus de 40 000 (sur près de 150 000 molécules en circulation). Mais elle n'a pu " vérifier la conformité " que de 1 780 d'entre eux. L'objectif fixé par la législation est de contrôler " au moins 5  % " de tous les dossiers, précise l'ECHA.
Même sur la base de ce très faible échantillon, " dans la majorité des cas, la non-conformité d'un ou de plusieurs paramètres a été établie ", confirme l'autorité européenne. Elle précise, cependant, avoir formulé " plus de 4 000  demandes de mise en conformité ". Et dans " plus de 85 % " des cas, celles-ci ont été suivies d'effets. Le BEE brandit le rapport du BfR pour réclamer " la fin de l'enregistrement automatique des dossiers non conformes et leur retrait immédiat ". L'organisation demande, en outre, à la Commission européenne d'envisager des " mesures cœrcitives " pour obliger les industriels à  respecter la réglementation.
Le système " se mord la queue "Reach est actuellement en cours de révision. Un document de travail préparatoire de la Commission pointe une" entrave " à la fois à l'identification des substances problématiques et à la capacité des autorités à protéger le public et l'environnement.
" Cinq pour cent de dossiers contrôlés, cela signifie surtout que 95  % ne le sont pas. C'est très inquiétant. Surtout que l'on sait, désormais, que les industriels sont incapables de fournir les informations de base sur des substances pourtant connues depuis très longtemps pour la plupart ", commente le sociologue à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, Henri Boullier.
Il s'est intéressé au cas du DEHP dans le règlement Reach. Phtalate toxique pour la reproduction, le DEHP a été identifié dès 2009 comme " substance extrêmement préoccupante ". Pourtant, près de dix ans plus tard, certains producteurs continuent à bénéficier d'une autorisation pour des usages spécifiques. On retrouve ainsi le DEHP dans les rideaux de douche, les jouets, les câbles électriques, les poches de sang ou encore les sextoys.
Selon M. Boullier, l'explication tient à l'essence même de ce " système qui se mord la queue ". Car l'objectif de Reach est de " mieux protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques… tout en favorisant la compétitivité de l'industrie chimique de l'Union européenne ".
Stéphane Mandard
© Le Monde


13 octobre 2018

Le règlement Reach, une usine à gaz

Le système de contrôle entré en vigueur en 2007 est d'une rare complexité

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Imparfait, fréquemment critiqué par les organisations non gouvernementales, suspendu à la bonne volonté des industriels et à la vigilance des Etats-membres… Le règlement européen Reach (pour Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals en anglais, ou " Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques ") constitue pourtant une avancée dans la régulation des substances de synthèse en Europe, par rapport à la situation qui prévalait auparavant.
Entré en vigueur en juin  2007, Reach " a renversé la charge de la preuve ", résume Henri Bastos, directeur adjoint de l'évaluation des risques à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). En clair : depuis Reach, c'est aux industriels de fournir des données sur les caractéristiques des produits qu'ils fabriquent ou importent (sur leur toxicité, leur écotoxicité, leur devenir dans l'environnement, etc.). Et même, comme le rappelle M. Bastos, " de faire de la veille, c'est-à-dire de mettre à jour ces données en permanence ".
" Avec la précédente réglementation, adoptée au début des années 1990, les Etats qui soupçonnaient des risques associés à telle ou telle substance étaient complètement tributaires des entreprises, raconte M. Bastos. On leur demandait de nouvelles études, mais aucune sanction n'était prévue en cas de manquement et on pouvait attendre les nouvelles données sans limite de temps… " Le règlement 793/93 est rapidement reconnu comme un échec.
Enregistrement des moléculesLe règlement Reach, lui, est d'une complexité à peu près insondable ; il est plausible que nul n'en connaisse réellement tous les recoins. Son premier aspect est l'enregistrement de toutes les molécules en circulation. Chaque entreprise doit rassembler ou produire des données pour chacune des substances qu'il importe ou fabrique, si les tonnages considérés sont supérieurs à une tonne par an.
Auparavant confrontées à un désert d'information, les autorités ont désormais face à elles un océan de données. " Le principe de la réglementation est d'identifier, au sein de toutes les substances en circulation, celles qui sont potentiellement les plus problématiques, explique M.  Bastos. On regarde par exemple le tonnage, en partant du principe que plus ce dernier est important, plus les risques de dispersion sont grands. On regarde également les données toxicologiques du dossier d'enregistrement mais également nouvelles publiées dans la littérature scientifique. " Ce plan de suivi communautaire s'opère en continu et dresse une liste de substances à évaluer en priorité.
Lorsqu'un Etat membre pointe une molécule qu'il considère particulièrement dangereuse (pour sa cancérogénicité, sa reprotoxicité, sa persistance dans l'environnement, etc.) la substance soupçonnée peut être placée, en cas d'accord des autres Etats membres, sur la liste des substances condamnées à sortir du marché à plus ou moins longue échéance. C'est, aussi surprenant que cela paraisse, le processus dit d'autorisation. La subtilité de Reach ne porte en effet pas uniquement sur la complexité administrative de ses processus : elle tient aussi à ses terminologies, dont le sens échappe bien souvent au béotien. Les produits ainsi placés sur la liste des substances " soumises à autorisation " (aussi appelée " annexe XIV " dans le jargon de Reach) sont menacés de devoir être autorisés. Comprendre : d'être interdits, à défaut d'autorisation spécifique.
Car même inscrit sur cette liste infamante, la molécule visée peut être encore maintenue pendant plusieurs années sur le marché, dans certains de ses usages, s'il est démontré que le risque est maîtrisé ou si l'impact économique est supérieur aux risques et qu'il n'existe pas de substitut. " L'objectif de l'autorisation est, à terme, de faire sortir du marché les molécules cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens, même si pour ces derniers c'est encore compliqué puisque leur définition réglementaire n'est pas encore claire, rappelle M. Bastos. La philosophie du texte est cependant d'éliminer ces produits dangereux, mais sur un horizon de temps qui peut aller de trois à douze ans. "
Stéphane Foucart
© Le Monde

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