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lundi 29 octobre 2018

Des souris naissent de parents de même sexe


13 octobre 2018

Des souris naissent de parents de même sexe

La technique développée par des chercheurs chinois a mieux fonctionné pour la reproduction à deux mères

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Des chercheurs, membres de l'Académie chinoise des sciences, ont annoncé avoir obtenu des souris en bonne santé à partir de deux souris femelles. Les rongeurs ont non seulement pu se  développer, mais également donner à leur tour naissance à des souris en bonne santé. Zhi-Kun Li et ses collègues ont répété la procédure avec deux souris mâles, mais les souriceaux n'ont pas vécu plus de quarante-huit heures. Ces travaux montrent qu'il serait possible de surmonter les obstacles à la production d'un embryon de souris à partir de deux parents de même sexe au moyen de cellules-souches et d'une édition ciblée du génome. Ils sont publiés, jeudi 11  octobre, en ligne dans la revue Cell Press.
Ce n'est pas la première fois que des scientifiques réussissent à créer des souriceaux à partir du matériel génétique de deux souris femelles. En 2004, Tomohiro Kono (université d'agriculture de Tokyo) et ses collègues avaient été les premiers à le faire. Pour cela, ils avaient utilisé des ovocytes immatures ayant une mutation qui leur faisait perdre une région de leur génome, qui subit normalement ce que l'on appelle une empreinte parentale. Les souris nées par ce biais présentaient toutefois des anomalies, et la technique employée était loin d'être simple à utiliser.
Chez les animaux comme les mammifères héritant une moitié de leur génome de chacun des deux parents, la copie d'origine maternelle d'un gène, et celle d'origine paternelle, ne s'expriment pas de la même façon : l'une sera active alors que son homologue provenant de l'autre parent sera réduite au silence.
Condition nécessaire pour un développement viable de l'embryon sans anomalie, cette " empreinte parentale " résulte d'une modification chimique d'une partie de l'ADN, qui ne sert pas à coder la production d'une protéine, mais qui altère l'expression d'un gène : on parle de modification épigénétique. Chez la souris, cette modification consiste surtout en une méthylation de l'ADN. L'empreinte parentale sur les gènes est un obstacle à la parthénogenèse, qui est le mode de reproduction uniparentale par division d'un ovocyte non fécondé.
" Ciseaux génétiques "Les chercheurs chinois expliquent avoir voulu répondre à la question : pourquoi, à la différence des reptiles, des amphibiens et de certains poissons, qui peuvent recourir à la parthénogenèse, les mammifères passent-ils obligatoirement par la reproduction sexuée ?
Pour cela, ils ont eu recours à un outil : les cellules-souches embryonnaires haploïdes (haESCs selon le sigle anglais). Celles-ci ne disposent que d'un seul jeu de chromosomes, et non d'une paire de chaque chromosome (cellules diploïdes).
Les haESCs sont dérivées le plus souvent d'ovocytes immatures (en cours de division), qui sont eux-mêmes haploïdes, par une combinaison de traitements électrique et chimique. L'intérêt de ces cellules est qu'une modification du génome, telle que le permettent les " ciseaux génétiques " Crispr-cas9, sera apparente et non compensée par l'autre chromosome de la paire concernée, comme cela serait le cas dans une cellule diploïde.
Les chercheurs chinois ont ensuite effectué des modifications génomiques chez les haESCs en supprimant, dans la partie de l'étude sur des souris femelles, trois régions identifiées comme participant à l'empreinte parentale. Ces haESCs modifiées ont été injectées dans des ovocytes provenant d'une autre souris, ce qui reconstitue le total de vingt paires de chromosomes de leur patrimoine génétique (contre vingt-trois paires dans l'espèce humaine).
Les embryons ainsi obtenus ont été ensuite transplantés dans l'utérus d'autres souris où ils se sont développés jusqu'à la naissance. Au total, sur 210 embryons, vingt-neuf souris nées de deux mères sont nées en bonne santé. Elles ont atteint l'âge adulte et ont elles-mêmes donné naissance à des descendants. Les haESCs se sont révélées très proches des précurseurs des gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) et l'empreinte parentale présente dans les gamètes y a été effacée par une déméthylation.
Comme l'on pouvait s'y attendre, l'affaire s'est révélée plus difficile pour la partie de l'étude ayant recours exclusivement à des souris mâles. Il a fallu supprimer l'empreinte génétique en éliminant, cette fois, sept régions.
Les haESCs contenant l'ADN d'une souris mâle ont été injectées en même temps que des spermatozoïdes d'une autre souris mâle dans des ovocytes débarrassés de leur noyau, afin d'exclure l'ADN de la souris femelle. Les embryons ont ensuite été transférés dans l'utérus de souris. Cette fois, douze souris sont nées en bonne santé à partir de deux pères génétiques, mais les souriceaux sont morts quarante-huit heures après leur naissance.
Même s'ils se félicitent d'avoir réussi à franchir des barrières en matière de reproduction, Zhi-Kun Li et ses collègues reconnaissent que " beaucoup des obstacles à la reproduction uniparentale n'ont pas été découverts ". C'est notamment le cas des mécanismes moléculaires contrôlant l'empreinte parentale dans différentes régions du génome.
Ces travaux ne manqueront pas de susciter des débats éthiques, à commencer par celui de la poursuite de ces travaux chez d'autres mammifères, et éventuellement un jour dans l'espèce humaine. Si le débat théorique sera sans doute ouvert, il faut souligner qu'en pratique le passage à d'autres animaux n'est pas aisé. Les régions du génome impliquées dans l'empreinte parentale peuvent être spécifiques d'une espèce, et les scientifiques sont encore loin d'une maîtrise technique permettant d'obtenir des descendants viables et dépourvus d'anomalies.
Paul Benkimoun
© Le Monde

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