L'affaire Michel Platini connaît un nouveau -rebondissement. Suspendu pour quatre ans par les instances disciplinaires de la Fédération internationale de football (FIFA), en 2015, l'ex-président de l'Union des associations européennes de football (UEFA) veut faire la lumière sur les conditions dans lesquelles l'information relative au paiement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d'euros) que lui a fait, en 2011, l'ex-patron de la FIFA Sepp Blatter, a été transmise au ministère public de la Confédération helvétique (MPC). Somme correspondant à des travaux réalisés par Platini lorsqu'il officiait comme conseiller du Suisse entre 1999 et 2002.
L'ouverture de l'enquête du parquet suisse, le 24 septembre 2015, fait, selon toute vraisemblance, suite à une fuite interne. Contrairement à M. Blatter, qui fait l'objet d'une procédure pénale, Platini -a été entendu comme témoin -assisté et a été mis hors de cause, en mai.
L'ex-numéro 10 des Bleus a déposé une plainte contre X pour
" dénonciation calomnieuse " et
" association de malfaiteurs en vue de commettre le délit de dénonciation calomnieuse ". La plainte est arrivée, le 14 septembre, sur le bureau du procureur de la République adjoint près du tribunal de grande instance de Paris.
Ce dernier a ouvert une enquête préliminaire afin de déterminer les rôles et niveaux de responsabilités de trois anciens dirigeants de la FIFA, visés par le camp Platini : Sepp Blatter, Domenico Scala, ex-président du comité d'audit et de conformité et du comité électoral et Marco Villiger, ex-directeur juridique.
" D'évidence, cette stratégie de discrédit de M. Platini a impliqué une action de concert, c'est-à-dire des exécutants et des donneurs d'ordre unis par un même dessein : porter atteinte durement à l'image de M. Platini, à son intégrité et à sa réputation, développent William Bourdon et Bertrand Repolt, les avocats de l'ex-patron de l'UEFA.
L'ouverture de cette enquête permettra de tirer tous les fils menant aux responsabilités individuelles, celles qui ont ourdi un véritable complot pour discréditer M. Platini et le criminaliser artificiellement, et finalement avec un seul objectif, lui interdire de prendre les rênes de la FIFA. " Radié par le comité d'éthique de la Fédération, Platini n'avait pu briguer la présidence de l'organisation en février 2016.
Réquisitoire suspectM. Scala est suspecté par les défenseurs du Français d'avoir eu un rôle actif dans sa chute. Le 20 octobre 2015, lors d'une réunion du comité exécutif (gouvernement) de la FIFA, le dirigeant a présenté un tableau des sanctions pénales et éthiques susceptibles de frapper M. Platini. Son intervention est consignée dans un compte rendu que
Le Monde s'est procuré.
Les avocats de l'ex-capitaine des Bleus reprochent également à Scala d'avoir mis en place un plan de communication pour enterrer les ambitions de leur client : ils pointent un entretien accordé au
Financial Times, la veille de cette réunion, dans lequel M. Scala accuse M. Platini de
" falsification des comptes ". Contacté, M. Scala n'a pas donné suite.
Andreas Bantel, ex-porte-parole de M. Scala et de la chambre d'instruction du comité d'éthique, fait aussi, depuis 2016, l'objet d'une plainte pénale de M. Platini, devant le parquet de Zurich, pour
" diffamation " ou
" subsidiairement calomnie ".
En décembre 2015, avant l'audition du Français par la chambre de jugement du comité d'éthique, M. Bantel aurait glissé à
L'Equipe que
" la question de la corruption est bien fondée " et que
" Platini sera certainement suspendu plusieurs années ". M. Bantel a toujours nié avoir prononcé ces mots, même " off the record ", et avoir demandé au journal de corriger ses propos après publication.
" Je n'ai pas de commentaire ", a-t-il répondu au
Monde.
" Ligne directe pour la justice "Le patronyme de Marco Villiger renvoie à la fuite auprès du MPC, alors en quête d'informateurs puisqu'il disposait d'une masse de données colossale (18 térabytes) saisies à la FIFA. Dans une enquête parue en 2016, la chaîne sportive américaine ESPN racontait la rencontre, incognito, entre un
" Blatter insider " et un haut responsable du parquet suisse, dans un parc zurichois. Cette " taupe " a révélé le paiement fait à M. Platini et où en trouver la trace. Cette dénonciation a entraîné une perquisition du siège de la Fédération, le 25 septembre 2015, à Zurich. Ce jour-là, les officiers fédéraux ont trouvé le récépissé du versement dans le bureau de M. Blatter.
Différentes sources, internes comme externes à la FIFA, interrogées par
Le Monde,soupçonnent M. Villiger, ex " avocat " de M. Blatter, d'être cette gorge profonde. La FIFA a toujours assuré que M. Villiger n'était pas au courant du paiement fait à M. Platini avant la perquisition. Cette version a été contestée devant le Tribunal arbitral du sport par Markus Kattner, ex-directeur financier de la FIFA.
" Villiger savait tout, c'était la ligne directe pour la justice de par sa fonction ", souffle un ancien collègue qui requiert l'anonymat.
" Il avait un rôle pivot ", insiste un deuxième. Contacté, M. Villiger n'a pas donné suite.
" Ces soupçons sont faux ", avait-il répondu à
l'Equipe, en janvier, sans développer.
" Le comité d'éthique est parfaitement au courant que c'est dans l'intérêt de tout le monde que l'enquête - sur M. Platini -
soit menée aussi rapidement que possible ", a déclaré M. Villiger, qui tenait le secrétariat dudit comité et avait accès aux avancées de la procédure, le 20 octobre 2015, lors de -la réunion du comité exécutif de la FIFA.
Dans son livre
Ma vérité (éditions Héloïse d'Ormesson, 240 pages), paru en mai, M. Blatter accuse M. Villiger d'avoir révélé ce paiement à la justice.
" Celui qui a dénoncé cette affaire au parquet suisse est l'incontournable Marco Villiger, mon directeur juridique. Il avait les relations directes avec le parquet ", confiait-il déjà au
Monde en mai. Un an auparavant, il assurait que le paiement avait été identifié grâce au
" système d'alerte des banques ".
Blatter, " l'arroseur arrosé " ?Plusieurs sources soupçonnent le Suisse (82 ans) d'avoir été
" l'arroseur arrosé ", en ayant commandité ou encouragé la fuite.
" Jamais Platini. " Tel est le mot d'ordre que M. Blatter a fait passer aux membres de sa direction, dont l'ex-secrétaire général français de la FIFA Jérôme Valcke, à l'été 2015, selon plusieurs témoins. Il a un temps poussé son lieutenant à briguer sa succession pour barrer la route à M. Platini.
" Je trouve très bien que M. Platini fasse la lumière là-dedans car il y a eu dénonciation. Lui et moi sommes sur le même bateau, répond au
Monde M. Blatter, suspendu six ans dans cette affaire.
Je suis fou parfois, comme peut l'être M. Platini, mais pas assez imbécile pour me dénoncer moi-même. " Il se dit disposé à répondre à la justice française.
Un élément éclaire le contexte qui prévalait alors. En août 2015, à Monaco, en marge du tirage au sort de la Ligue des champions, M. Platini croise Walter de Gregorio, ex-directeur de la communication de la FIFA, qui a quitté son poste en juin. Le Français lui propose de travailler avec lui quand il sera élu à la tête de la FIFA.
" Oui, Michel, mais tu dois être élu avant ", répond M. Gregorio.
Confiant, M. Platini évoque la centaine de lettres de parrainage de fédérations nationales.
" Fais attention, ils ont quelque chose contre toi à la FIFA ", l'alerte M. Gregorio, pointant le paiement des 2 millions. Le communicant lui fait part du
" secret ouvert " qui monopolise les conversations au sein de la haute administration de la FIFA. L'ex-capitaine des Bleus le rassure, disant avoir effectué ses démarches administratives et fiscales.
Après la perquisition menée au siège de la FIFA, M. Platini envoie un SMS à M. Gregorio :
" Tu avais raison. " Le communicant en est persuadé : le versement de 2011 était connu par un peu moins d'une dizaine de personnes au sein de la Fédération et a servi d'arme pour
" tuer "le Français, perçu à Zurich comme un adversaire en tant que patron de l'UEFA.
" Platini ne sera pas élu. Il y a quelque chose contre lui ici : ce paiement de 2 millions ", a un jour confié M. Valcke à un collègue.
A la justice française de reconstituer l'engrenage qui a conduit à la chute de l'ex-numéro 10.
Rémi Dupré
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