30 août 2018 |
Ponts et routes : le gouvernement sous pression
Depuis des mois, les alertes se multiplient sur l'état du réseau et le coût faramineux de sa remise à niveau
Le viaduc de Gennevilliers va finalement être réparé. Après l'effondrement meurtrier du pont Morandi à Gênes, en Italie, le 14 août, l'ouvrage d'art qui permet à l'autoroute A15 d'enjamber la Seine entre Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et Argenteuil (Val-d'Oise) était devenu le symbole en France de la fragilité des infrastructures routières. Un mur de soutènement de ce pont en béton précontraint s'était partiellement écroulé le 15 mai, entraînant la fermeture de deux voies de circulation.
Depuis, rien n'avait été entrepris, à la colère des élus locaux et des riverains. La catastrophe italienne et une série de reportages télévisés plus tard, le préfet du Val-d'Oise vient d'annoncer que les travaux débuteraient en septembre et dureraient jusqu'à la mi-mars 2019.Le gouvernement, qui doit présenter à l'automne une loi d'orientation sur les mobilités comportant un important volet sur les infrastructures, est sous pression. La ministre des transports, Elisabeth Borne, devait s'entretenir mercredi 29 août avec le président du Conseil d'orientation des infrastructures, Philippe Duron, et le président de la Fédération nationale des travaux publics, Bruno Cavagne. Car les alertes se sont multipliées ces derniers mois sur l'état du réseau routier et le coût faramineux de sa remise à niveau. " Cela fait longtemps qu'on avertit les pouvoirs publics sur cette “dette grise” créée par le manque d'entretien ", soupire Pierre de Thé, le directeur de la communication de Routes de France, l'organisme qui réunit les acteurs de l'industrie routière. Après des années de sous-investissement et plus d'une décennie de décentralisation routière, les voiries et les ponts de l'Etat, des départements et des communes font grise mine. Première inquiétude : les 10 000 kilomètres de routes nationales et leurs 12 000 ponts. Un audit remis en juin au ministère des transports estime que 17 % des chaussées et un tiers des ponts de ce réseau ont besoin de réparations, dont 7 % présentent un " risque d'effondrement "…Lors du conseil des ministres de rentrée, mercredi 22 août, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a assuré qu'" il n'y a aucune situation d'urgence ", évoquant " des légers travaux " sans " le moindre caractère de dangerosité ". Une affirmation trop rapide, pour Christian Tridon, le président du Syndicat national des entrepreneurs spécialistes de travaux de réparation et de renforcement des structures (Strres) : " Si ces ouvrages sont signalés à risque, cela signifie que leur structure présente des pathologies inquiétantes. " Manque de diagnosticLe gouvernement assure avoir pris la mesure des besoins. Les dépenses d'entretien que l'Etat consacre à son réseau routier sont passées de 666 millions d'euros en moyenne sur les dix dernières années à 800 millions d'euros en 2018, atteindront 850 millions entre 2020 et 2022 et " 930 millions à partir de 2023 ", a précisé M. Griveaux. L'audit de juin recommandait de dépenser sans attendre environ un milliard d'euros par an jusqu'en 2037 pour enrayer la dégradation du réseau. " L'effort n'est pas à la hauteur des enjeux, estime Pierre de Thé. Et surtout cela ne concerne que les routes nationales, pas le réseau départemental et communal, qui est un point d'interrogation énorme. " Les collectivités locales gèrent 98 % du réseau routier – 35 % appartiennent aux départements, 63 % aux communes –, soit un million de kilomètres de chaussée et plus de 170 000 ponts, pour lesquels n'existe aucune obligation de suivi. " On est dans des pourcentages de mauvais entretien similaires à ceux des routes nationales ", analyse-t-on à l'Observatoire national de la route. En novembre 2017, un rapport des inspections des finances et de l'administration consacré à ce réseau routier des collectivités estimait que 25 % des routes communales et départementales étaient en mauvais ou très mauvais état. " L'état d'un grand nombre d'ouvrages d'art est préoccupant, au moins à moyen terme ", estiment les inspecteurs, notamment concernant " les ponts en béton armé ou précontraint construits dans le troisième quart du XXe siècle, ou des ouvrages d'art mixtes béton/métal ". Dans un département du centre de la France, 30 % des 400 ouvrages d'art sont signalés en mauvais état, mais plus largement " le constat global est celui d'un manque de diagnostic et d'un entretien hétérogène ". Dans de très nombreux cas, l'état de ces ponts est totalement inconnu. " Les grands ouvrages sont inspectés régulièrement, mais il y a 20 000 ou 30 000 ponts sur lesquels on n'a pas la moindre information ", regrette Christian Tridon. Ce que confirment pudiquement les inspecteurs dans leur rapport : " L'information relative à la voirie des collectivités territoriales apparaît limitée et peu fiable au niveau national ", écrivent-ils, " à la suite du processus de décentralisation du réseau routier ". Entre 2005 et 2007, la suppression des directions départementales de l'équipement (DDE) et le transfert aux conseils généraux de près de 380 000 km de routes départementales ont bouleversé le paysage. " La réforme des DDE a été un vrai traumatisme, raconte Pierre de Thé. Les départements ont sauvé la mise au niveau technique, mais les communes sont très démunies : les DDE effectuaient leurs appels d'offres, le travail d'expertise, et ça ne leur coûtait rien. " Désormais, les maires doivent non seulement penser à effectuer les contrôles mais faire appel à des bureaux d'études par des marchés publics, et dépenser quelque 10 000 euros par pont pour un simple diagnostic. " Pour les communes, c'est la bérézina ", résume Christian Tridon. La réduction des dotations aux collectivités a fait le reste. " A partir de 2013, les dépenses de voirie des collectivités locales ont baissé de 19 % ", estime le rapport des inspections, qui pointe 42 départements avec une chute supérieure à 20 %. Les professionnels de la route estiment quant à eux que leur chiffre d'affaires lié à la maintenance d'infrastructures s'est effondré de 30 % entre 2010 et 2017. " Un nombre important de collectivités n'ont pas les moyens de mener des contrôles sur l'état des ouvrages d'art et des murs de soutènement ",notent les rapporteurs. Les besoins sont énormes : il faudrait 50 milliards d'euros sur plusieurs années pour remettre l'ensemble du réseau en état, puis consacrer chaque année à l'entretien courant de ce patrimoine 1 % de sa valeur, soit 2 milliards d'euros, selon les professionnels. " La route rapporte 43 milliards d'euros par an à l'Etat en taxes diverses, on pourrait affecter 3 ou 4 milliards aux collectivités locales, fléchés vers l'entretien du réseau routier ", plaide Pierre de Thé. Le président du Conseil d'orientation des infrastructures, Philippe Duron, défend la création d'une vignette forfaitaire pour les poids lourds, voire pour les véhicules utilitaires de livraison, dont le produit serait affecté à l'entretien des routes. La loi d'orientation sur les mobilités devra " examiner comment procurer un certain nombre de ressources supplémentaires ", a reconnu le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb. Reste la question de l'expertise. L'Etat a entrepris depuis deux ans une mise en commun de l'état des lieux et de partage des bonnes pratiques, là où chaque collectivité applique sa propre méthode de diagnostic, plus ou moins empirique. Le Strres propose quant à lui que chaque pont fasse l'objet d'un carnet de maintenance, contenant une fiche technique de l'ouvrage, un carnet d'entretien avec tout ce qu'il faut vérifier et à quelle échéance, et un carnet de santé dans lequel soient transcrites toutes les interventions. Grégoire Allix
© Le Monde
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