L'ordre protocolaire étant toujours le même, Emmanuel Macron est monté à la tribune moins d'une heure après Donald Trump pour un discours aux tons tour à tour lyriques et dramatiques, pour dénoncer la " loi du plus fort " et l'unilatéralisme qui conduisent, selon lui, directement " au repli et au conflit ". Deux visions diamétralement opposées réaffirmées mardi 25 septembre devant l'Assemblée générale des Nations unies (ONU) par les deux dirigeants avec encore de plus force qu'en 2017.
Donald Trump avait à peine commencé son discours qu'il vantait déjà à gros traits son bilan, comparable
" presque à aucun autre " par le passé. Un rire a alors parcouru l'assistance, qui a forcé le président des Etats-Unis à s'interrompre.
" Je ne m'attendais pas à cette réaction, mais ça va ", a-t-il reconnu avec un sourire. Pendant la campagne présidentielle, il avait souvent déploré que son pays soit devenu, selon lui, la risée du monde du fait de ses faiblesses…
Ce bref instant de détente a précédé un rappel impitoyable des fondamentaux du " trumpisme " en matière de politique étrangère. A commencer par une charge virulente contre toute forme de multilatéralisme associée systématiquement au
" globalisme ", qui ne pourrait être que la négation de la
" souveraineté " des Etats.
Donald Trump avait défendu la centralité de cette dernière lors de sa première intervention dans le saint des saints de la coopération internationale. La présence à ses côtés d'un contempteur assumé de l'ONU, John Bolton, désormais conseiller à la sécurité nationale à la Maison Blanche, n'a pu que renforcer sa défiance, manifeste dans le procès dressé contre la Cour pénale internationale, jugée dépourvue de
" légitimité " et d'
" autorité ".
Téhéran a pris la place de Pyongyang dans la ligne de mire de Donald Trump.
" Les dirigeants iraniens sèment le chaos, la mort et la destruction ",
" ils ne respectent ni leurs voisins, ni les frontières, ni les droits souverains des nations ", a assuré le président des Etats-Unis. Il a invité ses pairs à
" isoler le régime iranien tant que son agression se poursuit ", promettant des sanctions renforcées pour faire plier Téhéran.
" Il est paradoxal que les Etats-Unis ne cherchent même pas à cacher leur plan visant à renverser le gouvernement alors même qu'ils invitent à des pourparlers ", a rétorqué Hassan Rohani, le président iranien, parlant peu après.
Défense des intérêts américainsLimitant la coopération internationale à la défense des intérêts américains, M. Trump a averti que son pays entendait limiter ses aides aux pays
" qui ont - leurs -
intérêts à cœur " et à leurs
" amis ". Dans le même mouvement, il s'en est pris avec virulence aux dysfonctionnements de l'Organisation mondiale du commerce comme au cartel des pays exportateurs de pétrole qu'il a accusé de faire monter artificiellement les prix.
" Les Etats-Unis choisiront toujours l'indépendance et la coopération contre la gouvernance mondiale, le contrôle et la domination, a-t-il dit.
Je respecte le droit de chaque nation dans cette salle de poursuivre ses propres coutumes, croyances et traditions. Les Etats-Unis ne vous diront pas comment vivre, travailler ou prier. Nous vous demandons seulement d'honorer nos droits souverains en retour. "
Les menaces de sanctions secondaires contre des alliés de Washington à propos de leurs liens commerciaux avec l'Iran, celles récemment appliquées à la Chine après des achats d'armes en Russie, attestent pourtant du caractère particulièrement extensif de la souveraineté américaine défendue mardi par M. Trump.
Les propos d'Emmanuel Macron étaient aussi bien dans la forme que sur le fond aux antipodes de ceux du locataire de la Maison Blanche. Son constat est le même que celui du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, qui, en ouvrant les travaux de l'Assemblée générale, déplorait que
" le multilatéralisme soit autant critiqué au moment où il est le plus nécessaire ". Ce discours sur la marche du monde, la montée des périls, la crise du multilatéralisme et leurs causes profondes, ainsi que sur les manières d'y faire face, le président français l'a travaillé et retravaillé jusqu'au dernier moment.
" Nous vivons une crise profonde de l'ordre international libéral westphalien que nous avons connu parce qu'il a échoué pour partie à réguler ses propres dérives financières, sociales, climatiques ", a expliqué le président français sur un ton grave. C'est tout un système qui montre ses limites.
" L'ONU pourrait finir comme la SDN - Société des nations, créée en 1920, au lendemain de la première guerre mondiale -
qui l'avait précédée, c'est-à-dire comme un symbole d'impuissance ", a-t-il insisté. Puis, s'adressant à la salle, il a déclaré :
" Les responsables sont ici, les responsables sont les dirigeants que nous sommes. "
Pour le président français, il ne fait guère de doute que cette crise est durable, car elle se nourrit des insuffisances passées. Sa crainte, c'est le retour des nationalismes comme de
" la loi du plus fort et de la tentation pour chacun de suivre sa propre loi ".
" Cette voie, celle de l'unilatéralisme, nous conduits directement au repli et au conflit, à la confrontation généralisée de tous contre tous, au détriment de chacun ", a insisté Emmanuel Macron qui n'a jamais cité le président américain, même si ce discours était presque point par point une réponse à ses affirmations.
Ovation pour MacronSur l'Iran, le président français, qui a rencontré en fin de journée son homologue iranien, a rappelé que ce n'est pas
" la loi du plus fort ou la pression d'un seul qui a stoppé la route de l'Iran vers le nucléaire, mais l'accord de Vienne de juillet 2015 ".
" Concernant le conflit israélo-palestinien, la loi du plus fort ne fera que renforcer les frustrations et les violences ",a-t-il poursuivi, visant implicitement la décision unilatérale des Etats-Unis de reconnaître Jérusalem comme capitale de l'Etat hébreu.
Pour Emmanuel Macron, le
" cœur du problème " est la montée des
" inégalités profondes "ces dernières décennies. Alors que la France assurera la présidence tournante du G7 en 2019, le chef de l'Etat veut en faire la priorité du sommet qui se tiendra à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) fin août.
" Nous sommes en train de voir aujourd'hui se déliter le droit international, toutes les formes de coopération comme si de rien n'était, par peur, par complicité. Moi je ne m'y résous pas ", a-t-il conclu d'une voix prise d'émotion, tapant sur le pupitre et salué par une ovation. Un peu plus tard, lors de sa conférence de presse, le président français a reconnu
" s'être un peu emporté ". Mais d'ajouter aussitôt :
" Le risque, c'est le cynisme. Ou même simplement de s'habituer au cynisme. "
Gilles Paris et Marc Semo
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