S'agit-il de méchantes turbulences dans le ciel présidentiel ou d'une dépression plus profonde ? On sera fixé d'ici à quelques semaines. Mais, dès à présent, chacun le constate : alors que le président de la République était à l'offensive depuis son élection, imposant son rythme, bousculant les obstacles et enchaînant les réformes comme à la parade, le voilà placé sur la défensive, chahuté par les événements, entravé dans sa démarche. Il avait la main, il semble l'avoir perdue
Les enquêtes d'opinion, en effet, sont unanimes. Selon les cinq baromètres réalisés depuis début septembre, la chute de la cote de popularité ou de confiance d'Emmanuel Macron par rapport à son niveau du mois de juillet est brutale : avec 29 % de bonnes opinions, il est en baisse de 10 points pour l'IFOP et Odoxa, OpinionWay le crédite de 28 % de satisfaction, en baisse de 7 points, et Ipsos de 25 %, en baisse de 7 points également. Seul Elabe le maintient au-dessus de la barre des 30 % (31 %), en baisse de 3 points.
En deux mois, le trou d'air est donc violent. La dernière enquête, celle de l'IFOP pour
Le Journal du dimanche du 23 septembre, permet d'affiner le constat. Parmi les 70 % de Français qui sont mécontents du chef de l'Etat, la moitié se disent désormais très mécontents, soit davantage que le total des très ou plutôt satisfaits.
Jusque-là indulgente ou attentiste, une partie de l'opinion a basculé dans le rejet. Aucune catégorie socioprofessionnelle ni aucune composante politique (à l'exception des sympathisants de La République en marche, satisfaits à 87 %) n'échappent à ce reflux.
Bref, seize mois après son élection, le chef de l'Etat paraît brusquement ramené à l'étiage de son score du premier tour de l'élection présidentielle (24 %). Reste à comprendre les causes de cette désaffection. A l'évidence, l'affaire Benalla et le parfum d'embrouille au sommet de l'Etat qu'elle charrie depuis deux mois y ont eu leur part. Le début du décrochage sondagier est concomitant.
La situation économique décevante n'a pas arrangé les choses. Une croissance qui patine, un pouvoir d'achat en berne et un chômage incompressible ont inévitablement entamé le crédit dont disposait le président. Bon nombre de Français étaient prêts – ou résignés – à admettre les réformes annoncées, à condition que les résultats soient à la hauteur de la promesse et que chacun puisse en mesurer effectivement les bénéfices. Dès lors que ce n'est pas le cas, le scepticisme national a repris le dessus.
Mais accident de parcours et panne de résultats ne suffisent pas à expliquer le désamour actuel. Tout se passe comme si le président et les Français ne se comprenaient plus. Pour les uns, c'est affaire de personnalité : Emmanuel Macron serait trop brillant, trop intelligent, trop donneur de leçons, trop impérieux voire arrogant dans sa démarche pour ne pas susciter de l'agacement, de l'irritation et désormais de l'exaspération. Les mêmes lui conseillent donc d'en rabattre, d'endosser sa canadienne et de chausser ses croquenots pour faire plus " peuple " et renouer derechef avec la popularité. C'est prendre les Français pour des benêts. En son temps, Valéry Giscard d'Estaing avait tenté l'expérience en s'invitant à dîner chez des Français ordinaires ; il n'y avait gagné que des moqueries.
Pour les autres, François Bayrou par exemple, l'affaire est plus sérieuse. Dimanche 23 septembre, le président du MoDem a livré son diagnostic et son conseil :
" Les Français n'ont pas seulement besoin de l'énoncé des réformes, mais du plan d'ensemble. Ils ne veulent pas savoir seulement les pas qui sont faits, mais savoir où l'on va. " Et d'exhorter le chef de l'Etat à livrer au pays sa
" vision de la France ". La recommandation paraît de bon sens. Elle n'en est pas moins surprenante.
Non sans raison, l'on a pu reprocher à Nicolas Sarkozy de changer de cap au gré des événements ou à François Hollande de n'en avoir pas de suffisamment assumé. L'actuel président, au contraire, n'a cessé, durant sa campagne et depuis, d'exposer sa vision et d'y inscrire son action. Depuis un mois encore, il s'y est employé à trois reprises, devant les ambassadeurs le 27 août, lors de la présentation du plan de lutte contre la pauvreté le 13 septembre, puis du projet de réforme du système de santé le 18 septembre.
Faiblesse congénitaleQu'il s'agisse du rôle de la France dans un monde chamboulé et une Europe déboussolée, du combat pour
" l'émancipation de chacun " contre la fatalité de la pauvreté ou du
" changement de paradigme " nécessaire pour transformer notre système médical, on peut discuter les analyses présidentielles. Mais l'on ne peut guère contester qu'elles reposent sur une solide réflexion, tracent des propositions ambitieuses et dessinent, pour le coup, une vision du pays et de son avenir.
Or, ces trois discours, destinés à scander fortement la rentrée, n'ont pas " imprimé " ou si peu. Faute d'un relais puissant du gouvernement et de la majorité, c'est une évidence – et une faiblesse en quelque sorte congénitale du dispositif politique macronien. Mais aussi par la faute du président lui-même : deux petites phrases intempestives (les Gaulois
" réfractaires au changement " et les chômeurs à qui il suffirait de
" traverser la rue " pour trouver du travail) ont éclipsé le reste. Fâcheuse propension à alimenter le " buzz " médiatique pour en fustiger ensuite la futilité.
Entre le discours de haute volée et la brève de comptoir, Emmanuel Macron n'a pas trouvé, jusqu'à présent, le registre qui est précisément celui de la politique : c'est-à-dire la capacité à traduire efficacement et à vulgariser intelligemment une " vision " pour la faire comprendre et partager. S'il y parvient, le président pourra retrouver l'oreille des Français. Sinon, le divorce risque de devenir irrémédiable.
par Gérard Courtois, Gérard Courtois
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