En se focalisant sur la question nucléaire, on risque de négliger un facteur appelé à peser dans les négociations futures : le rapprochement entre les deux Corées. Le sommet, à Pyongyang, du 18 au 20 septembre, entre le dirigeant du Nord, Kim Jong-un, et le président du Sud, Moon Jae-in, a donné lieu au grand spectacle de la réconciliation alors que le temps se gâte entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Il y a eu peu de résultats tangibles sur le nucléaire. En revanche, il a marqué une avancée dans les relations entre les deux pays : la signature d'un accord militaire visant à réduire la tension dans la péninsule. Les deux dirigeants ont certes signé un accord prometteur de coopération économique mais sa mise en œuvre dépend de la levée des sanctions onusiennes. Toute avancée de la part de Séoul risquerait d'apparaître comme une -violation de celles-ci. En revanche, dans le -domaine militaire, ils disposent paradoxa-lement d'une certaine marge de manœuvre pour réduire la tension dans la péninsule, de part et d'autre de la zone démilitarisée (DMZ) qui les sépare à hauteur du 38e parallèle.
L'accord militaire est significatif de la volonté des deux dirigeants d'instaurer progressivement un régime de paix dans la péninsule qui devrait conduire à un traité mettant fin à la guerre de Corée, suspendue à un simple armistice en 1953. Un traité de paix semble une demande légitime de la part des Coréens. Mais Washington s'y oppose, estimant que ce serait se priver d'un moyen de pression, tant que les engagements à dénucléariser ne se sont pas concrétisés, et qu'un tel traité ouvrirait la porte à une demande de la RPDC (et vraisemblablement de la Chine et de la Russie) de dissoudre le commandement des Nations unies, chargé de faire respecter l'armistice, voire de retirer les troupes américaines déployées dans le sud, ce qui affaiblirait l'alliance avec les Etats-Unis.
La voie vers un tel traité étant bloquée, Pyongyang et Séoul procèdent par petits pas pour réduire la tension. L'accord militaire a comme objectifs
" la cessation des hostilités militaires dans les régions d'affrontement telles que la zone démilitarisée, la suppression du risque de guerre dans toute la péninsule coréenne et la fin des relations hostiles ". Il prévoit la création de zones tampons sur terre, en mer et dans les airs, la suppression des postes militaires avancés dans la DMZ, dont onze avant la fin 2018, la démilitarisation de la " zone de sécurité commune " à Panmunjom sur la DMZ, seul point de contact entre les deux pays, et l'harmonisation des procédures de sommation. Dès avril 2019, des opérations de déminage doivent commencer dans la DMZ, qui, en dépit de son nom, est truffée de mines.
L'initiative la plus inattendue des deux armées est la mise sur pied d'une unité conjointe chargée de superviser la mise en œuvre de ces mesures et d'assurer la surveillance d'une zone de pêche commune qui sera créée en mer de l'Ouest. Cette aire maritime, à la souveraineté contestée, est le théâtre d'affrontements meurtriers réguliers entre des marines adverses. En mars 2010, le naufrage de la corvette
Cheonan (46 morts), attribué à une torpille nord-coréenne – accusation rejetée par Pyongyang –, avait été le plus grave incident. Lors du sommet intercoréen de 2007, un accord avait été conclu pour faire de cette aire une zone de paix ; il n'a jamais été mis en œuvre par les conservateurs arrivés au pouvoir en 2008.
Priorité de la Maison BleueL'accord militaire concrétise un engagement de la déclaration de Panmunjom signée le 27 avril lors du premier sommet entre M. Moon et M. Kim. La Maison Bleue (présidence sud-coréenne) en avait fait la priorité numéro un de la rencontre de Pyongyang, avant même les initiatives pour relancer des négociations sur la dénucléarisation entre Américains et Coréens du Nord. Pour Séoul, la réduction de la tension favorisera les progrès vers la dénucléarisation. Le processus sera compliqué et de longue haleine, et il faut -entre-temps réduire les risques de conflit.
L'accord est le fruit de laborieuses négociations entre les états-majors des deux Corées dont le contenu est resté secret jusqu'à son annonce officielle. Il n'a pas été facile de convaincre les militaires de négocier. Selon Cheong Seong-chang, de l'institut Sejong de Séoul,
" la popularité élevée du président Moon a empêché toute manifestation hostile de la part d'une armée, bastion du conservatisme ". Dans le nord, à la suite de purges répétées, Kim Jong-un -semble tenir en main son appareil militaire.
Selon Yoon Young-chan, porte-parole de la Maison Bleue,
" par cet accord militaire, les deux dirigeants ont mis fin, de fait, à la guerre de Corée ". Jugement peut-être un peu hâtif. Mais l'accord militaire témoigne de
" la volonté des deux gouvernements de faire dépendre leur avenir des Coréens eux-mêmes ", analyse, dans le
New York Times, Leif-Eric Easley, spécialiste d'études internationales à l'université Ewha, de Séoul. Une ambition d'autonomie déjà exprimée par les gouvernements de Kim Dae-jung (1998-2003) et de Roh Moo-hyun (2003-2008) qui s'affirme avec M. Moon.
Sans écarter une intervention militaire des Etats-Unis, que le retour en force à Washington des " faucons " peut faire craindre, le rapprochement intercoréen en limite le risque. A condition que le processus ne s'enraye pas. Dans le sud, le camp conservateur fulmine, voyant dans l'accord un moyen d'affaiblir la défense nationale. Mais, après le sommet, la cote de popularité de M. Moon a progressé de onze points, passant à 61 %. Cela lui donne une marge de manœuvre pour atteindre, fût-ce à petits pas, son objectif : éviter un -conflit dans la péninsule dont les Coréens -seraient les premières victimes.
Philippe Mesmer et Philippe Pons
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