Que vaut notre système scolaire ? La question n'est pas taboue en cette deuxième rentrée de l'ère Macron. Au contraire : c'est une réflexion sur l'évaluation au sens large – des élèves, des pratiques pédagogiques, des établissements – que le ministre Jean-Michel Blanquer entend ouvrir. Avec en ligne de mire, la création au premier trimestre 2019 d'une " instance de l'évaluation " inscrite dans le programme présidentiel du candidat d'En marche !.
Sur les modalités du
diagnostic
à établir, sur le tempo auquel les écoles, collèges et lycées devront basculer dans cette
" culture de l'évaluation " qui semble se généraliser en Europe mais heurte, en France, la tradition scolaire, M. Blanquer n'a pas livré de détails. De justification, si :
" Ce n'est pas très agréable pour la France d'avoir des évaluations qui ne viennent que de l'extérieur ", a souligné le ministre de l'éducation nationale lors de sa conférence de presse de rentrée, fin août, en référence aux enquêtes internationales (telle PISA) dans lesquelles l'école française ne s'illustre pas.
" Briser le thermomètre n'a jamais fait baisser la température ", écrit-il aussi dans son livre
Construisons ensemble l'école de la confiance (Odile Jacob, 240 p., 17,90 euros), plaidant pour une évaluation
" moteur de progrès ".
Oui, mais comment faire, sans mettre sous pression enfants, parents et enseignants ? Sans
" mettre en concurrence " les établissements ni amorcer un
" virage libéral " d'ores et déjà dénoncé par les syndicats ? Un rapport du Comité d'évaluation et de contrôle des -politiques publiques (CEC) présenté à l'Assemblée nationale, jeudi 27 septembre, par les députés Régis Juanico (Génération.s, Loire) et Marie Tamarelle-Verhaeghe (LRM, Eure), entend avancer des
" pistes transpartisanes ".
Gagner en cohérence
" On ne peut qu'être interpellé par le décalage entre le budget de l'éducation nationale et celui consacré à son évaluation, ce dernier représentant moins de 0,1 % des crédits de l'enseignement scolaire ", écrivent les députés en introduction de ce rapport que
Le Monde a pu consulter avant sa diffusion.
Premier budget de la nation, l'éducation nationale est placée dans une
" situation paradoxale " décrite avec minutie au fil des pages. Voilà un secteur qui croule sous les évaluations, suit des cohortes d'élèves depuis 1973, a créé une direction spécifique en 1986 et mène des tests standardisés depuis 1989 – autrement dit, qui dispose d'un système d'informations statistiques sans équivalent (ou presque) dans la sphère publique. Mais la centaine de millions d'euros octroyés, chaque année, à cette politique servirait principalement à rémunérer statisticiens, chercheurs et inspecteurs.
Pour redresser la barre, les rapporteurs ne plaident ni en faveur des corps d'inspection (en cours de réforme), ni en faveur de la Direction générale de l'enseignement scolaire (qui selon eux devrait se recentrer sur ses missions pédagogiques), ni même en faveur du " Conseil scientifique " créé début janvier par M. Blanquer (dont ils ne disent mot) : c'est autour du Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) que le travail de toutes les instances chargées de l'évaluation pourrait, selon eux, gagner en cohérence.
" A condition que le positionnement du Cnesco, ses missions et ses moyens soient revus, fait observer Régis Juanico,
et que le ministère de l'éducation lui laisse toute sa place. "
Dernier venu dans le paysage institutionnel de l'évaluation, ce Conseil créé par la " loi Peillon " (2013), sur lequel la Cour des comptes – saisie par le CEC – a livré un réquisitoire sévère dans un rapport en février, semble, de fait, fragilisé depuis l'alternance politique. Pour le relégitimer, les rapporteurs préconisent aussi la nomination de son président directement par Matignon.
Côté élèves, la pertinence des évaluations introduites il y a un an en CP et en 6e, puis en CE1 et en 2de en cette rentrée, est clairement posée. Ce n'est pas leur légitimité qui pose question : contrairement au syndicat SNUipp-FSU, majoritaire au primaire, qui a demandé un " moratoire " pour surseoir à leur passation, les rapporteurs se félicitent de l'usage accru des tests standardisés. Mais les niveaux d'évaluation
, " en décalage avec l'organisation des cycles ", ne seraient pas les bons : eux préconisent, en plus des tests en CP, des passations en CM1 et en 5e. Avec l'obligation de
" contextualiser " les résultats obtenus en fonction de l'origine sociale des élèves.
Le rapport veille à ne pas franchir certaines lignes rouges : il n'est pas question, pour ses auteurs, d'utiliser les données issues des évaluations en classe pour apprécier la valeur des enseignants et des établissements, ou pour réguler l'allocation des moyens – ce qu'a pu préconiser la Cour des comptes.
" Ces démarches, qui mélangent les finalités, ont conduit à des ratages retentissants ", rappellent-ils, citant des exemples au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. De quoi rasséréner les esprits ? Pas sûr : certains enseignants redoutent, déjà, que la réflexion au niveau gouvernemental n'aboutisse au calcul de la
" valeur ajoutée " des professeurs, dont une part du salaire serait, demain, soumise au mérite ou aux
" bonnes pratiques ".
Mesurer la valeur ajoutée des établissements est, en revanche, une logique que les députés assument, à condition que l'exercice soit collégial (impliquant enseignants, direction, inspection, -parents et anciens élèves) et qu'il associe à l'évaluation externe une part d'auto-évaluation – une voie adoptée par une trentaine de -systèmes européens.
" La réticence actuelle à jouer la transparence entretient la crise de confiance envers notre école, plaide Marie Tamarelle-Verhaeghe ;
les effets de réputation, le bouche-à-oreille l'emportent sur la qualité -pédagogique d'un établissement. On ne peut en rester là. "
Mattea Battaglia
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