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vendredi 28 septembre 2018

Le défi de l'évaluation à l'école


28 septembre 2018

Le défi de l'évaluation à l'école

Un rapport présenté à l'Assemblée nationale, jeudi, avance quelques pistes " transpartisanes ", alors qu'une instance doit être créée en 2019

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Que vaut notre système scolaire ? La question n'est pas taboue en cette deuxième rentrée de l'ère Macron. Au contraire : c'est une réflexion sur l'évaluation au sens large – des élèves, des pratiques pédagogiques, des établissements – que le ministre Jean-Michel Blanquer entend ouvrir. Avec en ligne de mire, la création au premier trimestre 2019 d'une " instance de l'évaluation " inscrite dans le programme présidentiel du candidat d'En marche !.
Sur les modalités dudiagnosticà établir, sur le tempo auquel les écoles, collèges et lycées devront basculer dans cette " culture de l'évaluation " qui semble se généraliser en Europe mais heurte, en France, la tradition scolaire, M.  Blanquer n'a pas livré de détails. De justification, si : " Ce n'est pas très agréable pour la France d'avoir des évaluations qui ne viennent que de l'extérieur ", a souligné le ministre de l'éducation nationale lors de sa conférence de presse de rentrée, fin août, en référence aux enquêtes internationales (telle PISA) dans lesquelles l'école française ne s'illustre pas. " Briser le thermomètre n'a jamais fait baisser la température ", écrit-il aussi dans son livre Construisons ensemble l'école de la confiance (Odile Jacob, 240 p., 17,90  euros), plaidant pour une évaluation " moteur de progrès ".
Oui, mais comment faire, sans mettre sous pression enfants, parents et enseignants ? Sans " mettre en concurrence " les établissements ni amorcer un " virage libéral " d'ores et déjà dénoncé par les syndicats ? Un rapport du Comité d'évaluation et de contrôle des -politiques publiques (CEC) présenté à l'Assemblée nationale, jeudi 27  septembre, par les députés Régis Juanico (Génération.s, Loire) et Marie Tamarelle-Verhaeghe (LRM, Eure), entend avancer des " pistes transpartisanes ".
Gagner en cohérence" On ne peut qu'être interpellé par le décalage entre le budget de l'éducation nationale et celui consacré à son évaluation, ce dernier représentant moins de 0,1  % des crédits de l'enseignement scolaire ", écrivent les députés en introduction de ce rapport que Le Monde a  pu consulter avant sa diffusion.
Premier budget de la nation, l'éducation nationale est placée dans une " situation paradoxale " décrite avec minutie au fil des pages. Voilà un secteur qui croule sous les évaluations, suit des cohortes d'élèves depuis 1973, a créé une direction spécifique en  1986 et mène des tests standardisés depuis 1989 – autrement dit, qui dispose d'un système d'informations statistiques sans équivalent (ou presque) dans la sphère publique. Mais la centaine de millions d'euros octroyés, chaque année, à cette politique servirait principalement à rémunérer statisticiens, chercheurs et inspecteurs.
Pour redresser la barre, les rapporteurs ne plaident ni en faveur des corps d'inspection (en cours de réforme), ni en faveur de la Direction générale de l'enseignement scolaire (qui selon eux devrait se recentrer sur ses missions pédagogiques), ni même en faveur du " Conseil scientifique " créé début janvier par M. Blanquer (dont ils ne disent mot) : c'est autour du Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco) que le travail de toutes les instances chargées de l'évaluation pourrait, selon eux, gagner en cohérence. " A condition que le positionnement du Cnesco, ses missions et ses moyens soient revus, fait observer Régis Juanico, et que le ministère de l'éducation lui laisse toute sa place. "
Dernier venu dans le paysage institutionnel de l'évaluation, ce Conseil créé par la " loi Peillon " (2013), sur lequel la Cour des comptes – saisie par le CEC – a livré un réquisitoire sévère dans un rapport en février, semble, de fait, fragilisé depuis l'alternance politique. Pour le relégitimer, les rapporteurs préconisent aussi la nomination de son président directement par Matignon.
Côté élèves, la pertinence des évaluations introduites il y a un an en CP et en 6e, puis en CE1 et en 2de en cette rentrée, est clairement posée. Ce n'est pas leur légitimité qui pose question : contrairement au syndicat SNUipp-FSU, majoritaire au primaire, qui a demandé un " moratoire " pour surseoir à leur passation, les rapporteurs se félicitent de l'usage accru des tests standardisés. Mais les niveaux d'évaluation, " en décalage avec l'organisation des cycles ", ne seraient pas les bons : eux préconisent, en plus des tests en CP, des passations en CM1 et en 5e. Avec l'obligation de " contextualiser " les résultats obtenus en fonction de l'origine sociale des élèves.
Le rapport veille à ne pas franchir certaines lignes rouges : il n'est pas question, pour ses auteurs, d'utiliser les données issues des évaluations en classe pour apprécier la valeur des enseignants et des établissements, ou pour réguler l'allocation des moyens – ce qu'a pu préconiser la Cour des comptes.
" Ces démarches, qui mélangent les finalités, ont conduit à des ratages retentissants ", rappellent-ils, citant des exemples au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. De quoi rasséréner les esprits ? Pas sûr : certains enseignants redoutent, déjà, que la réflexion au niveau gouvernemental n'aboutisse au calcul de la " valeur ajoutée " des professeurs, dont une part du salaire serait, demain, soumise au mérite ou aux " bonnes pratiques ".
Mesurer la valeur ajoutée des établissements est, en revanche, une logique que les députés assument, à condition que l'exercice soit collégial (impliquant enseignants, direction, inspection, -parents et anciens élèves) et qu'il associe à l'évaluation externe une part d'auto-évaluation – une voie adoptée par une trentaine de -systèmes européens.
" La réticence actuelle à jouer la transparence entretient la crise de confiance envers notre école, plaide Marie Tamarelle-Verhaeghe ; les effets de réputation, le bouche-à-oreille l'emportent sur la qualité -pédagogique d'un établissement. On ne peut en rester là. "
Mattea Battaglia
© Le Monde


28 septembre 2018

" Que l'élève ait 15 ou 4, il reçoit une donnée brute. Avec une fiche d'analyse, il en sait plus "

Au lycée Louis-le-Grand, à Paris, des élèves de 2de expérimentent un semestre sans notes

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EN CP ET CE1, DES TESTS CONTESTÉS
Les évaluations en CP et CE (1,6  million d'écoliers) devaient se terminer jeudi 28  septembre. Dans quelles conditions ? Le SNUipp-FSU, majoritaire, fait état de " temps de passation  explosés ".Elles " sont mal reçues par les enfants eux-mêmes, qui ont l'impression de rater dès le début d'année ",regrette Francette Popineau, sa porte-parole. Ce syndicat a appelé les enseignants à ne pas faire " remonter " les résultats des tests. Avec le SE-UNSA et le SGEN, il s'est par ailleurs ému qu'un service public confie l'hébergement des évaluations sur Internet à Amazon. " Le ministère nous a rassurés sur la confidentialité des données, mais, s'agissant de mineurs, nous avons préféré saisir la CNIL ", précise Mme Popineau.
Le lycée Louis-le-Grand, sa cour d'honneur arborée, ses arcades baignées de soleil et sa réputation d'excellence. C'est ici que postulent chaque année des centaines de collégiens, désireux d'intégrer l'un des meilleurs établissements du pays. Seuls les tout premiers de leur classe seront -admis. Or, pour ces très bons -élèves, provenant de 180 collèges d'Ile-de-France, l'arrivée à Louis-le-Grand (5e arrondissement de Paris) peut souvent entraîner une chute de leurs résultats.
Alors, pour amortir ce choc, l'équipe pédagogique a imaginé une classe sans notes. A la rentrée 2017-2018, les élèves de la 2de 3 ont découvert qu'ils n'auraient aucun devoir noté jusqu'aux vacances de février. L'année a été organisée en deux semestres et sur les bulletins n'ont figuré que compétences et appréciations.
Pourquoi supprimer les notes dans un lycée réputé aussi -compétitif ? " Les élèves doivent comprendre que l'excellence, ce n'est pas de savoir qui a eu 18. C'est de s'assurer d'avoir compris le cours ", explique le proviseur, Jean Bastianelli. Contrairement à une rumeur semble-t-il tenace, le ministère de l'éducation nationale ne l'a pas mandaté pour mener ce projet. L'idée est venue en réunion avec l'équipe pédagogique, face à un professeur de -mathématiques qui affirmait qu'" une mauvaise note, cela ne veut rien dire "." Si cela ne veut rien dire, pourquoi ne cesserait-on pas d'en mettre ? ", interroge alors le proviseur. L'année de 2de est propice à une telle expérimentation, car elle est dépourvue d'examens et de dossiers à préparer pour entrer dans l'enseignement supérieur. Les notes comptent pour le passage en 1re mais, à Louis-le-Grand, les élèves obtiennent toujours leurs vœux.
Eviter le stressPour les élèves, qu'ils arrivent de Courbevoie (Hauts-de-Seine), de Seine-et-Marne ou du 5e  arrondissement, ce fut d'abord le soulagement, teinté d'un peu de surprise. Un peu stressés avant la rentrée, Noémie, Margot et les autres ont vite compris que " tout allait bien se passer ". Sans les notes, le stress de se retrouver dans ce prestigieux lycée a peu à peu disparu. Le fait de ne pas être noté leur a aussi permis de changer d'approche, y compris après le retour de la notation. " Si ma fille avait une note en dessous de 16 au collège, c'était le drame, raconte Emmanuelle Legrand. Je l'ai vue revenir avec un 11 en maths au deuxième semestre, et elle a complètement relativisé. "
Du côté des parents, la réaction est quasiment unanime. Après un court moment de stupéfaction, tous s'accordent à dire que la classe sans notes leur a probablement, à eux aussi, évité beaucoup de stress. " On regardait les appréciations, mais c'était difficile d'avoir une idée du niveau ", relativise cependant un parent d'élève. Le bulletin trimestriel – qui prend environ deux fois plus de temps à remplir pour l'enseignant – est en effet plus difficile à lire pour un parent qu'un simple relevé de -notes. Evalués par compétences, les élèves n'ont plus une case par matière, mais une case par -compétence transversale.
Les enseignants ont été invités à se départir de tout système de notes, là où d'autres établissements abandonnent les notes sur 20 pour les remplacer par des lettres, des pourcentages ou des codes couleur. Les grilles de compétences dépendent ensuite de l'enseignant. Ainsi, Jean-Luc Perez, professeur de physique, a choisi de faire régulièrement des petits tests pour permettre aux élèves d'assimiler le cours au fur et à mesure. Lorsque le devoir sur table  arrive, il est évalué sur l'analyse de l'énoncé, la restitution des connaissances et la qualité du raisonnement, trois critères qui figureront sur la copie rendue. " Que l'élève ait 15 ou 4, il reçoit une donnée brute. Avec une fiche d'analyse, il en sait beaucoup plus ", conclut l'enseignant.
De même, l'absence de notes permet de mieux connaître les élèves. Avec environ un tiers de temps en plus passé sur chaque copie, la professeure de français dit avoir repéré des difficultés chez ses élèves qu'elle n'aurait pas vu si les copies avaient été notées.
C'est sans doute là que le projet trouve sa limite : évaluer sans notes demande énormément de temps. Les moyens dégagés pour le projet sont restés " symboliques " et l'expérimentation repose sur la bonne volonté des professeurs. C'est pourquoi le proviseur n'envisage pas à ce stade de généraliser la mesure, même s'il n'est pas exclu qu'elle puisse " essaimer " ailleurs. " Si ça ne tenait qu'à moi, l'expérience pourrait durer sur les trois années de lycée, mais c'est impossible pour des raisons institutionnelles ", regrette-t-il. Le bac et les dossiers de candidature dans le supérieur rattraperont bien vite les anciens 2de 3. En attendant, la classe sans notes a été reconduite pour l'année 2018-2019.
Violaine Morin
© Le Monde

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