Prévue début mai, l'investiture officielle de Vladimir Poutine donnera le coup d'envoi de son nouveau bail de six ans à la présidence de la Russie. A l'approche de cette date, Moscou bruisse de rumeurs sur d'éventuels changements au sein du gouvernement. " Ce n'est que maintenant que j'y pense vraiment ", avait assuré le chef du Kremlin au soir de sa réélection avec 76,69 % des voix, selon les résultats définitifs annoncés vendredi 23 mars par la Commission centrale électorale. Le sort du chef du gouvernement Dmitri Medvedev est désormais scruté. Il se dit aussi que Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères depuis quatorze ans, serait " fatigué ". Mais remaniement ou pas, la question demeure : un nouveau mandat pour faire quoi ?
Sans aucune discussion sur son bilan après dix-huit ans au pouvoir, ni même la présentation d'un programme économique et social, la campagne présidentielle – pour laquelle a été dépensée la bagatelle de 18 milliards de roubles (257 millions d'euros) – n'a guère permis de lever le voile sur les intentions de M. Poutine. Vendredi, ce dernier a remercié ses compatriotes dans une courte allocution télévisée tout en les appelant de nouveau à l'unité
" face au défi historique auquel nous sommes confrontés ". Sans doute, le chef du Kremlin voulait-il parler de la nouvelle dégradation des relations avec l'Occident, après l'attaque chimique sur le sol britannique imputée à la Russie contre un ex-agent double et sa fille.
Mais il a plutôt choisi de mettre l'accent sur la politique intérieure en promettant
" des changements profonds " pour accroître l'efficacité de l'économie et réduire la pauvreté,
" sur la base d'une percée technologique " annoncée sans plus de précision.
" Toutes les décisions futures sont dictées par un seul objectif, la nécessité de surmonter le retard encore existant dans certains domaines ", a-t-il promis. Masquées par les crises successives sur la scène internationale, les questions sociales et économiques resurgissent, sans réponse concrète.
" Eternel dilemme "
" Le 18 mars n'était pas une élection, plutôt un référendum pour Poutine, présenté comme le seul capable de défendre la patrie, mais la société russe est fatiguée de la politique extérieure, et le Kremlin a bien conscience qu'il lui faut maintenant se concentrer sur les questions intérieures ", souligne le politologue Valeri Soloveï, professeur à l'université Mgimo à Moscou.
La flambée de colère des habitants de Volokolamsk, à cent kilomètres à peine de la capitale russe, qui ont pris à partie le maire le 21 mars, furieux de l'inanité des pouvoirs publics contre l'élargissement d'une décharge toxique responsable de l'hospitalisation d'une cinquantaine d'enfants, est là pour rappeler les impatiences. Chacun garde bien en mémoire, aussi, les onze décrets parus au lendemain de la précédente élection de M. Poutine, le 7 mai 2012, dans lesquels les objectifs, notamment en matière d'augmentations de salaire dans le public – en majorité à la charge des régions – avaient été fixés, sans rien changer aux difficultés du quotidien.
Depuis 2014, la situation économique s'est encore dégradée. Les revenus de la population ont baissé. Et les réformes jugées nécessaires pour relancer la croissance et sortir le pays de sa dépendance aux hydrocarbures ont été sans cesse reportées.
" C'est l'éternel dilemme russe, il faut des réformes mais il est dangereux de les lancer, souligne M. Soloveï.
Poutine se souvient de Gorbatchev. "
A l'origine d'un mouvement de transformations sans précédent, le dernier dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, avait été emporté par la chute de l'URSS. Pour renforcer sa position et celle de la Russie sur la scène internationale, le chef actuel du Kremlin a choisi le chemin opposé : statu quo dans les réformes et remilitarisation du pays.
Au lendemain de sa victoire, recevant les sept autres candidats qui se sont partagé les miettes du scrutin présidentiel, M. Poutine a paru donner un premier signe d'inflexion en mettant en avant une réduction des dépenses militaires.
" D'ici à cinq ans, nous avons l'intention de dépenser moins de 3 % du PIB pour la défense, c'est incomparable avec les dépenses des Etats-Unis ", a assuré vendredi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Jusqu'au sommet de l'Etat, nombreux sont ceux qui tirent en effet la sonnette d'alarme sur le coût de la confrontation orchestrée avec l'Occident. En janvier, le premier vice-premier ministre, Anatoli Tchoubaïs, avait ainsi estimé
" incompatible " la priorité donnée à la politique extérieure par rapport aux besoins intérieurs.
" La Russie ne peut pas s'attendre à préserver sur le long terme sa position sur la scène -internationale en gardant sa -politique économique actuelle ", avait-il prévenu.
Les débats dans l'entourage de M. Poutine n'en sont que plus vifs.
" Le conflit qui dominera - son nouveau -
mandat ne se situe pas entre les colombes et les faucons mais entre les industrialistes et les libéraux ", pronostique l'analyste Konstantin Gaaze dans une note de la Fondation Carnegie de Moscou. Il sera d'autant plus animé que la succession de M. Poutine, en théorie contraint par la limite de deux mandats successifs, est déjà dans toutes les têtes.
Isabelle Mandraud
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