L'ex-président de Catalogne, Carles Puigdemont, devait être présenté, lundi 26 mars, à un juge en Allemagne après son arrestation la veille. C'est la fin d'une cavale de près de cinq mois, qui a suscité dimanche de nouvelles manifestations indépendantistes à Barcelone. Dimanche, à 11 h 19, le président déchu de la Catalogne a été arrêté par la police allemande dans une station-service située à une vingtaine de kilomètres au sud de la frontière avec le Danemark. Il était sous le coup d'un mandat d'arrêt européen lancé par la justice espagnole, qui l'accuse de rébellion et de détournement de fonds publics pour avoir mené une tentative ratée de sécession en octobre 2017.
M. Puigdemont était suivi par les services de renseignements espagnols (CNI) depuis qu'il avait décidé d'aller en Finlande pour y rencontrer des parlementaires et participer à un séminaire à l'université d'Helsinki. Vendredi, après que la Cour suprême espagnole a émis son mandat d'arrêt, il avait décidé de rentrer incognito en Belgique, où il s'est réfugié en octobre 2017 après la proclamation unilatérale d'indépendance par le Parlement catalan, jugée illégale par la justice espagnole.
D'après les médias espagnols, il aurait pris un ferry pour la Suède, puis traversé le Danemark en direction de Hambourg. L'arrestation a eu lieu sur l'autoroute qui traverse du nord au sud le Schleswig-Holstein, près de la ville de Schuby. M. Puigdemont a peut-être été trop téméraire dans ses déplacements. Il s'était déjà rendu au Danemark, en janvier, ainsi qu'en Suisse, en mars.
Le responsable indépendantiste a été incarcéré à Neumünster, dans le nord de l'Allemagne. Selon son avocat, Jaume Alonso-Cuevillas, qui s'est montré
" modérément optimiste " sur le sort de son client,
" il a été traité correctement ". L'avocat belge du président destitué, Me Paul Bekaert, a dénoncé, lui, une arrestation
" à visée purement politique " et un
" danger de violation des droits de l'homme ". Il estime que le gouvernement espagnol se comporte
" comme à l'époque du général Franco ", niant toute possibilité d'exercice de la démocratie parlementaire en Catalogne.
Le tribunal devra ensuite décider de son placement formel, ou non, en détention en vue d'une remise à l'Espagne, selon le communiqué du parquet. La justice allemande doit se prononcer dans les quarante-huit heures sur sa libération conditionnelle. Elle aura ensuite soixante jours pour se décider.
Affrontements à BarceloneC'est une petite revanche pour les services de renseignement espagnols, qui n'avaient su ni empêcher la distribution des urnes par les militants indépendantistes lors du référendum du 1er octobre 2017, déclaré illégal par Madrid, ni prévoir la fuite de M. Puigdemont en Belgique avec quatre de ses conseillers, trois jours après la mise sous tutelle de la région par le gouvernement de Mariano Rajoy.
Le leader catalan avait décidé de s'enfuir à Bruxelles dans l'espoir – déçu – de recueillir des appuis à travers l'Europe en faveur de la cause indépendantiste, mais aussi parce que le crime de " rébellion " ne figure pas dans le droit belge – ce qui rendait difficile une éventuelle extradition.
En Allemagne, M. Puigdemont pourrait en revanche tomber sous le coup du paragraphe 82 du code pénal, qui définit le crime de " haute trahison envers un Etat ". Ce crime, qui ressemble beaucoup à la " rébellion ", telle que l'entend le droit espagnol, est passible de dix ans d'emprisonnement. Cela pourrait compliquer sérieusement la défense de l'ancien président catalan.
En Belgique, les autorités sont restées discrètes.
" Il n'y a rien à dire sur une décision de l'Allemagne, agissant sur une requête de l'Espagne ", expliquait un membre francophone de la majorité, dimanche soir. Au sein de la coalition au pouvoir, certains pourraient même se réjouir de voir l'embarrassant " dossier Puigdemont " – qui a suscité des tensions entre le premier ministre, Charles Michel, et son homologue espagnol – transféré vers un pays voisin. Il reste à savoir quelle sera l'attitude de l'Alliance néoflamande (N-VA), dont certains ministres se disent très favorables à la cause indépendantiste catalane, dans l'hypothèse où M. Puigdemont serait livré à Madrid. Et si la justice belge se prononçait dans le même sens à l'égard de ses collègues toujours en exil.
Trois des quatre ex-ministres qui avaient suivi M. Puigdemont en Belgique ont fait savoir, dimanche, au procureur du roi, par l'entremise de leurs avocats, qu'ils se tenaient à la disposition de la justice. Ils devraient en principe être à nouveau arrêtés. Une autre conseillère, Clara Ponsati, partie en Ecosse, et poursuivie elle aussi pour rébellion, avait aussi prévu de se livrer aux autorités locales.
Quoi qu'il arrive, la nouvelle de l'arrestation de M. Puigdemont a secoué la Catalogne. Dans une allocution télévisée, le président du Parlement catalan, Roger Torrent, a exprimé son
" indignation " car
" aucun juge n'a la légitimité de s'attaquer au président de tous les Catalans ". A Barcelone, 55 000 sympathisants indépendantistes, selon les estimations de la municipalité, ont manifesté devant les bureaux de la Commission européenne et du consulat allemand, convoqués par les deux puissantes organisations séparatistes, l'Assemblée nationale catalane (ANC) et Omnium. Près de là, à l'appel des Comités de défense de la République (CDR), beaucoup plus radicaux, des manifestants se sont heurtés à la police régionale, les Mossos d'Esquadra, en tentant de s'approcher de la préfecture. Les affrontements ont fait une centaine de blessés, d'après les services de secours.
L'arrestation de M. Puigdemont pourrait à nouveau mobiliser les séparatistes contre Madrid ou au contraire aggraver les dissensions internes au sein du mouvement. Elle est survenue alors que la Cour suprême espagnole a décidé, vendredi 23 mars, de placer en détention provisoire cinq des principaux dirigeants indépendantistes, dont le candidat à la présidence de la région, Jordi Turull.
Dans le camp indépendantiste, M. Puigdemont est loin de faire l'unanimité. Sa décision de s'exiler en Belgique n'a pas été du goût de tous, en particulier de ses alliés de la Gauche républicaine (ERC), dont le chef de file et ancien vice-président catalan, Oriol Junqueras, est en détention provisoire depuis le 2 novembre 2017. Certains lui ont reproché d'avoir monopolisé la cause sécessionniste et lui ont même demandé de renoncer à son siège de député.
La formation Junts per Catalunya (" Ensemble pour la Catalogne "), créée sur mesure pour les élections régionales du 21 décembre 2017, n'avait pour unique slogan que son retour à la présidence de la région. C'est de Bruxelles que M. Puigdemont avait fait campagne, à coup de messages cinglants sur Twitter. Très féru de nouvelles technologies, il affirmait alors vouloir diriger une république virtuelle depuis sa résidence de Waterloo, au sud de Bruxelles. Début mars, il avait dû renoncer à briguer la présidence catalane après que la Cour constitutionnelle espagnole eut décidé qu'une investiture à distance n'était pas légale.
Isabelle Piquer, Jean-Pierre Stroobants, et Thomas Wieder
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire