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mercredi 21 mars 2018

Sébastien Carassou, des ovnis à l'astrophysique

21 mars 2018

Sébastien Carassou, des ovnis à l'astrophysique

Portrait Cet ancien adepte de paranormal s'est intéressé aux sciences après un long cheminement vers l'esprit critique, jusqu'à soutenir sa thèse sur la simulation de l'Univers

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Sébastien Carassou, le 17 mars, à Paris.
KAMIL ZIHNIOGLU/SIPA POUR " LE MONDE "
Chez un scientifique, c'est l'équivalent d'un coming out, en plus sulfureux. " Pendant une bonne partie de mon adolescence, j'ai gobé toutes les pseudo-sciences : les ovnis, les extraterrestres construisant les pyramides, les complots du 11-Septembre, les phénomènes magiques, les anges, les fantômes, les machines à énergie libre… Il n'y avait pas encore la théorie de la Terre plate, mais j'y aurais sûrement cru aussi. " Celui qui s'exprime ainsi, Sébastien -Carassou, est pourtant aujourd'hui docteur en astrophysique. Il a soutenu en novembre à l'Institut d'astrophysique de Paris sa thèse sur la simulation de l'Univers pour mieux comprendre l'évolution des galaxies. Cette soutenance s'est d'ailleurs retrouvée au premier rang des tendances en Europe sur Twitter – du jamais-vu pour une thèse ! Sébastien Carassou est aussi un vulgarisateur acharné, lui qui doit tant aux grands passeurs de science comme Carl Sagan (1934-1996) – son modèle – ou -André Brahic (1942-2016), dont il loue l'humanisme, l'optimisme et la passion.
Son parcours est précieux pour comprendre comment une personne intelligente et -curieuse peut croire en tout un fatras de théories paranormales, mais aussi comment il est possible de s'en sortir. Important à l'heure où la théorie du complot n'épargne pas les sciences !
Né à La Réunion dans un milieu assez catholique et superstitieux éloigné des sciences, où l'on croit volontiers aux miracles, Sébastien Carassou se définit lui-même comme un rat de bibliothèque, avide de comprendre le monde. Il dévore indistinctement les rayons science et ésotérisme, et il ne voit aucune -contradiction entre les deux, aucune frontière. Tout ce qu'il lit est au même niveau de crédibilité. " Je cherchais à engranger le plus de connaissances possible, et je me suis enfermé dans une bulle ésotérique à travers les forums, et Internet en général. " Sa première vocation est de devenir parapsychologue : étudier " scientifiquement " les phénomènes psychologiques paranormaux comme la télépathie ou les expériences de mort imminente.
Premier déclicQu'est-ce qui l'a fait évoluer ? Son cheminement vers l'esprit critique a été très progressif. Le premier déclic est venu des adeptes des pseudosciences eux-mêmes. "Lorsque j'étais en classe préparatoire à Strasbourg, j'ai assisté à un congrès d'ufologie- l'étude des ovnis - , -indique le jeune homme de 26 ans. J'étais très motivé pour y aller : cela coûtait 80  euros -l'entrée ! J'y ai rencontré beaucoup de personnes sincères, mais aussi des charlatans qui transpiraient la malhonnêteté. Ça a été ma première graine de doute. "
Mais il lui faut encore une année et de nombreuses lectures pour abandonner ces idées. Bien sûr, ses études scientifiques y contribuent, lui donnant un regard analytique sur le monde. Mais il regrette l'absence de cours d'épistémologie (analyser comment on crée des connaissances, et comment on sait si elles sont fiables) et d'éducation aux médias, qui auraient probablement aidé à sa prise de conscience. C'est surtout le blog de l'astronome et sceptique américain Phil Plait qui le " convertit ". Ce blog, qui traite beaucoup de films de science-fiction (l'une des passions de Sébastien Carassou), parle aussi de scepticisme. " Il a été ma porte d'entrée vers les sceptiques américains. Il appliquait la méthode scientifique à des affirmations sur l'astrologie, les ovnis… Il apportait les informations pour se poser les bonnes questions. "
Grâce à ce blog, Sébastien Carassou découvre l'astronome américain Carl Sagan, spécialiste de la recherche d'intelligence extraterrestre à travers le programme " SETI " (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). Et surtout son émission de vulgarisation, " Cosmos ". C'est le déclic. " Cela me parlait intimement : c'était scientifique, mais aussi quasi spirituel, avec des métaphores très symboliques. Sa sincérité m'a plu : c'était quelqu'un de passionné qui avait gardé son âme d'enfant. " D'après lui, l'émotion, souvent refusée par les chercheurs au nom de la rationalité, est au contraire un -ingrédient indispensable pour s'adresser au grand public, notamment aux plus réfractaires à la science. Sans pour autant tomber dans le sensationnalisme.
Sébastien Carassou n'est ni moqueur ni -méprisant envers les adeptes d'opinions les plus farfelues. On ressent même une certaine tendresse à leur égard. " La plupart des gens qui croient aux théories du complot ne sont pas de mauvaise foi. Ces doctrines sont des -visions simples et rassurantes. Quelqu'un qui croit aux Illuminatis peut tout expliquer à travers ce filtre. C'est normal que ça plaise ! Ces personnes cherchent une vision du monde qui leur corresponde. "
Son expérience d'ex-adepte montre aussi la voie à suivre pour lutter contre ces théories : " Il ne faut pas considérer les ésotériques comme des idiots, ça les braque et ce n'est pas constructif. On peut tous changer d'avis, mais ça prend du temps et de l'énergie. Les mots sont d'une importance capitale, ils peuvent changer une vie, mais il faut les utiliser avec beaucoup de responsabilité, de tact et d'empathie. Et -enfin, la forme importe autant que le fond : ce n'est pas parce qu'on a raison qu'on va convaincre. " Il conseille aussi de se renseigner sur les sciences humaines, qui ont étudié comment mieux communiquer les sciences.
Un travail de longue haleineCar beaucoup de scientifiques croient encore au " modèle du déficit ", selon lequel le seul obstacle pour que les gens admettent des -vérités scientifiques, c'est leur manque de connaissance. Il suffirait donc de combler ce déficit. Or, plusieurs études montrent que ce -modèle est faux. Dès lors, que faire ? D'abord, connaître son public, comprendre ce à quoi il croit, et pourquoi il le croit. Rester humble : abandonner l'idée de convaincre quelqu'un en une conversation, se contenter de semer quelques graines de doute, des questionnements. Proposer des alternatives sans les -imposer. " Créer de la confiance, respecter le public, c'est -indispensable ", rappelle Sébastien Carassou, qui reproche aux zététiciens français, ces défenseurs de la pensée critique, leur agressivité vis-à-vis des adeptes des pseudo-sciences (contrairement à leurs -homologues américains).
Aujourd'hui, Sébastien Carassou ne souhaite pas continuer la recherche en astrophysique. Pas envie de tous les sacrifices que cela implique. " J'ai lancé plein de projets, je me sens au bon endroit. " L'un de ces projets est né d'un coup de déprime, après avoir regardé une émission de divertissement sur la sonde -Rosetta, présentée par Laurent Ruquier et qu'il trouve affligeante. " J'ai ressenti un vrai sentiment d'urgence : comment voulait-on résoudre ensemble les problèmes de notre siècle si des millions de gens restaient apathiques à regarder des émissions de ce type à la télé, où la science et la technologie sont piétinées régulièrement ? "
Son réflexe : trouver d'autres personnes -motivées pour proposer autre chose. Ce sera le Collectif Conscience pour la diffusion de la -culture scientifique. Il vise à partager des expériences et des ressources pour aider à lancer des projets de communication scientifique. Il est notamment à l'origine d'un webzine de -vulgarisation, céphalusmag.fr, et de comptes Twitter partagés : @endirectdulabo et @comscicomca, tenus chaque semaine par des chercheurs et des communicants différents, qui -racontent leur quotidien. Pour certains, c'est leur première expérience de vulgarisation.
Il y a aussi YouTube, incontournable pour vulgariser après du plus grand nombre. Sébastien Carassou s'y est plongé avec enthousiasme, et comme toujours en équipe, avec Le Sens of Wonder et la chaîne collective String Theory.
Mais toutes ces initiatives se heurtent aux -limites du bénévolat : difficile de faire des choses ambitieuses sans moyens, en comptant uniquement sur les bonnes volontés. Or, -Sébastien Carassou veut non seulement vivre de la communication scientifique, mais surtout agir en grand, partager son émerveillement avec le plus grand nombre. " J'aimerais maximiser le bien que je peux faire, toucher les gens de manière positive. "Ça pourrait sembler naïf, c'est juste enthousiasmant.
Cécile Michaut

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