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mercredi 21 mars 2018

Le flirt des sociaux-démocrates danois avec les populistes


21 mars 2018

Le flirt des sociaux-démocrates danois avec les populistes

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La missive est partie le 13  février, veille de la Saint-Valentin. Kristian Thulesen Dahl, patron des populistes du Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti, DF), y félicite chaudement la leadeuse des sociaux-démocrates, Mette Frederiksen, pour sa nouvelle politique de l'immigration, annoncée début février. " Je suis tout à fait d'accord avec toi sur le fait que l'immigration non occidentale, indépendamment de sa nature et de ses causes, représente le plus grand et le plus sérieux des défis pour le Danemark ", écrit M.  Thulesen Dahl, terminant sa lettre par une invitation à boire un café, " dans mon bureau ou le tien ", pour en discuter.
Le rendez-vous a-t-il eu lieu ? Pour le moment, rien n'a filtré. Editorialiste du quotidienBerlingske, Thomas Larsen y voit la preuve d'un " changement historique " dans les relations entre les deux partis : " Il suffit de se rendre au Parlement : non seulement les leadeurs se rencontrent régulièrement, mais aussi les principaux responsables des deux formations et leurs conseillers, sans qu'il y ait la moindre fuite. " Ce " flirt politique ", selon la terminologie prisée des médias danois, inédit dans le royaume scandinave, porte déjà ses fruits : il est en effet devenu plus facile d'énumérer les points d'accord entre les deux partis que les sujets qui fâchent.
Oubliées, donc, les haines d'antan, quand le premier ministre social-démocrate Poul Nyrup Rasmussen fustigeait en  1999, depuis la tribune du Parlement, la politique " non danoise, inacceptable et xénophobe " deDF, visant à " créer la peur et la haine ". Le même Poul Nyrup Rasmussen, alors président du Parti socialiste européen, récidivait en  2006, mettant en garde ses collègues tentés par une collaboration avec des partis comme DF, " populistes, extrêmes, xénophobes et intolérants ". En septembre  2014, Helle Thorning-Schmidt, chef du gouvernement dirigé par les sociaux-démocrates depuis 2011, accuse à son tour DF d'être l'" ennemi du salarié moyen ". Mais en juin  2015, même arrivé en tête du scrutin (26,3  % des votes), son parti est incapable de rassembler une majorité au Parlement et se retrouve dans l'opposition.
DF, de son côté, décroche la deuxième place, avec 21,1  % des voix, soit 37 sièges au Parlement (sur 179), qui lui permettent de maintenir sa stratégie adoptée pour la première fois en  2001. Déclinant tout portefeuille ministériel, le parti sert de force d'appoint au gouvernement libéral-conservateur minoritaire. Un soutien qu'il monnaie cher : en échange de ses voix lors du vote du budget, DF impose toujours plus de restrictions en matière d'immigration, au point que la politique de ses alliés finit par se calquer sur son programme.
" Pendant près de vingt ans, les sociaux-démocrates ont lutté sur ces questions, avant de parvenir à la conclusion qu'ils ne pouvaient gagner, à moins de s'aligner sur les autres partis, et même d'aller plus loin ", constate le politologue Jorgen Goul Andersen. Dans son programme présenté début février, Mette Frederiksen propose ainsi que les demandes d'asile soient désormais déposées dans des camps créés à cet effet à l'étranger, et non plus sur le sol danois. Elle veut aussi limiter strictement le nombre d'entrées de " non-Occidentaux " au Danemark.
" les voix n'ont pas d'odeur "" C'est un changement complet d'orientation ", analyse l'éditorialiste Thomas Larsen. Mais le rapprochement avec DF n'aurait pas été possible si les populistes n'avaient pas fait le parcours inverse, rejoignant leur ennemi d'hier dans la défense de l'Etat-providence, contre un gouvernement avec lequel ils ont de plus en plus de mal à collaborer, depuis que l'Alliance libérale, une formation libertaire, y a fait son entrée en novembre  2016. L'arrivée d'une nouvelle génération à la tête du Parti social-démocrate, depuis 2015, a accéléré le changement d'attitude, note Kristian Weise, directeur du think tank de centre gauche Cevea : " L'approche presque philosophique est que les voix n'ont pas d'odeur, et refuser de collaborer avec une formation à 17-18  % dans les sondages n'est pas démocratique. "
Le rapprochement est officialisé en février  2017, à l'initiative du syndicat 3F. Dans une interview croisée avec le président de la centrale syndicale, Mette Frederiksen et Kristian Thulesen Dahl, tout sourire, enterrent la réforme des retraites du gouvernement et se félicitent de leur collaboration. " La politique est une question d'influence, observe M.  Thulesen Dahl. Il s'agit d'ouvrir des portes. C'est ce que nous faisons. " Réponse de Mette Frederiksen : " J'ai le sentiment que Kristian et moi travaillons beaucoup de la même façon. Quand un problème doit être résolu, nous faisons en sorte de trouver une réponse adéquate. Et nous avons réussi à y parvenir dans de nombreux domaines en joignant nos forces. "
Si cette alliance n'est pas du goût de l'extrême gauche, elle ne semble pas poser problème aux électeurs sociaux-démocrates. Au contraire même, puisque le parti, donné à près de 30  % dans les sondages, est en train de réussir là où il avait échoué depuis plus de vingt ans, constate l'éditorialiste Thomas Larsen : " Il commence à récupérer des électeurs partis chez DF. " Une tendance qui pourrait poser problème aux populistes, reconnaît le politologue Jorgen Goul Andersen, " si DF n'avait pas déjà atteint son objectif, en devenant le parti faiseur de gouvernement ". Les prochaines élections ne devraient pas avoir lieu avant 2019. Une coalition gouvernementale entre les deux formations semble pour le moment exclue. Mais les deux partis maintiennent le suspense sur une éventuelle alliance. Une façon de " maximiser leur influence ", en faisant savoir à leurs partenaires qu'ils ont des alternatives, résume le politologue.
Anne-Françoise Hivert
© Le Monde

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