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dimanche 25 mars 2018

Rony Brauman " La Libye, c'est l'Irak de la France "


25 mars 2018

Rony Brauman " La Libye, c'est l'Irak  de la France "

Pour le cofondateur et ancien président de Médecins sans frontières, l'éventuelle condamnation de Nicolas Sarkozy éclairerait d'un jour nouveau l'intervention militaire française

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Directeur de recherche à la Fondation Médecins sans frontières et professeur à l'IEP de Paris, auteur de Guerres humanitaires ? Mensonges et intox (Textuel, 128 pages, 15,90 €), Rony Brauman revient sur l'intervention militaire française en Libye, à laquelle il était opposé.


Comment considérez-vous la mise en examen de Nicolas Sarkozy ?

Une mise en examen n'est pas une déclaration de culpabilité, donc je me garderai bien de conclure avant que le jugement soit prononcé. Il n'en demeure pas moins que c'est une occasion de revisiter les circonstances dans lesquelles cette guerre a été conduite, car il est manifeste que les présidences libyenne et française ont noué des liens étroits, qui se sont rompus à partir de février 2011. La vérité juridique, qui s'appuie sur des éléments probants, est une chose. La vérité historique et politique, elle, même si elle recoupe la vérité juridique, ne s'y réduit pas. On se souvient que, en janvier 2011, quelques semaines avant que Kadhafi ne devienne ce nouvel ennemi de l'humanité, une entreprise française livrait à son régime un système d'espionnage des communications, prétendument pour traquer les pédophiles – qui, d'un seul coup, semblaient devenir le problème majeur de la Libye –, mais en réalité pour surveiller les opposants et les dissidents au régime. Autrement dit, la France continuait à soutenir Kadhafi, car un tel logiciel ne pouvait être fourni sans l'aval des autorités françaises. On est donc frappé par cette bascule soudaine du président français qui, du jour au lendemain, fait passer Kadhafi d'ami à ennemi, à la suite d'allégations mensongères de massacres.


L'intervention de l'OTAN n'était-elle pas justifiée afin de protéger la population libyenne ?

Les menaces du régime de Kadhafi sur la ville de Benghazi ont été considérablement et opportunément surévaluées. Elles auraient pu être jugulées par la présence militaire navale déjà sur place, annonçant que le bombardement de Benghazi ne resterait pas sans réplique. Or non seulement la France a envoyé ses Rafale sur Benghazi, mais elle a largement débordé la résolution 1973 de l'ONU, arrachée dans l'urgence par Alain Juppé. Or l'urgence disqualifie tout esprit critique. C'est ce qui était sans doute voulu et c'est ce qui arriva. Du bouclier offert à la population de Benghazi, on est passé à l'attaque au sol, jusqu'à aller traquer Kadhafi à Syrte, et à l'abattre au moment où il fuyait dans un convoi non armé. Il a été délibérément éliminé et cette histoire pourrait être éclairée d'un jour nouveau lors de ce procès.


Comment éviter ces erreurs ?

Il faut commencer par établir les faits. Les parlementaires français feraient bien de suivre l'exemple de leurs homologues britanniques, qui ont enquêté sur les circonstances du déclenchement de cette guerre désastreuse, comme ils l'ont fait pour l'Irak. Leurs conclusions sont sans appel : cette guerre a été engagée sur des imputations mensongères et menée pour des raisons sans rapport avec les motifs invoqués. En 1990, la France est intervenue au Rwanda pour sauver un régime qui a dérivé vers le génocide, sans qu'aucun contrôle parlementaire ne soit exercé. Un minimum de sens de la responsabilité politique nous invite à attendre du Parlement qu'il exerce son rôle de contrôle démocratique face à des décisions d'une gravité immense. Une enquête parlementaire sur le déclenchement de cette guerre en Libye est absolument nécessaire.


Emmanuel Macron considère que la France a " eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye ". Est-ce un changement de doctrine salutaire ?

Même si je suis loin d'être macroniste, j'ai été heureux de savoir qu'Emmanuel Macron – dont on qualifie pourtant la présidence de " jupitérienne " – a jugé cette intervention comme une erreur et qu'il soit critique à l'égard de la doctrine des néoconservateurs. L'intervention en Libye, c'est l'Irak de la France. Mais les guerres sont des choses trop importantes pour que leur décision soit laissée aux seules mains des dirigeants. Lorsque Jupiter déclenche la foudre, il faut que le Parlement soit présent.
Propos recueillis par Nicolas Truong
© Le Monde

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