Translate

dimanche 25 mars 2018

Union autour du " rêve chinois "

 
25 mars 2018

Union autour du " rêve chinois "

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Le spectacle de l'unanimité quasi absolue avec laquelle les " députés " du Parlement chinois ont, le 17  mars, élu ou réélu les principaux dirigeants communistes à la tête du pays – 100  % pour Xi Jinping, une voix contre pour son nouveau vice-président, Wang Qishan – et entériné des amendements à la Constitution qui suppriment, pour ces deux postes, la limite des deux mandats en dit long sur le pouvoir accumulé par M.  Xi en cinq ans. Face à une telle " assemblée d'hommes constamment d'accord, soyez sûr qu'il y a despotisme ou que le despotisme sera le résultat de l'unanimité, s'il n'en est pas la cause ", aurait dit Germaine de Staël.
M.  Xi et ses compagnons d'armes, comme Wang Qishan, Li Zhanshu, son ex-bras droit, et Wang Huning, le théoricien du " rêve chinois ", ont consolidé leurs positions une à une, en muselant l'opposition libérale, en purgeant le Parti communiste chinois (PCC) de tout opposant et en parachevant leur conquête par un véritable coup constitutionnel lors de cette session parlementaire. La nouvelle Constitution a inscrit dans le marbre la prééminence absolue du parti, et l'a doté, dans la nouvelle commission nationale de supervision, d'une arme de soumission massive envers des dizaines de millions d'agents de l'Etat.
Le phénomène politique qu'est Xi Jinping n'est pas complètement déconnecté des aspirations de la société chinoise. Il représente un " pouvoir fort et incarné - … - face à un monde dorénavant dangereux et perçu comme de plus en plus instable ", rappelle le sociologue Jean-Louis Rocca dans L'Humanité. La prestance du chef d'Etat chinois, sa confiance en lui, la succession d'événements prestigieux qu'il organise flattent l'orgueil des Chinois.
Son irrésistible ascension est aussi le produit d'une biographie particulière, celle d'un " prince rouge " franc-tireur animé d'un sentiment de revanche par procuration pour un père grand révolutionnaire qui n'a pas eu la carrière qu'il mérite. Celle d'un ancien " jeune instruit " endurci par les multiples épreuves traversées par sa famille au nom du PCC pendant la révolution culturelle, et qui justifieraient de défendre celui-ci sans états d'âme. Enfin, celle d'un politicien matois doté d'une conscience aiguë du caractère implacable des luttes de pouvoir au sein du PCC.
Le phénomène Xi reflète aussi une forme d'union sacrée derrière un " guide et timonier " – deux des cinq qualificatifs suprêmes prononcés les uns après les autres sur un ton martial, mardi 20  mars, par Li Zhanshu, le président de l'Assemblée populaire, lors d'un discours de clôture, pour désigner Xi Jinping – au nom d'un projet partout claironné de " grande renaissance " de la nation chinoise. Auteur de CEO, China : The Rise of Xi Jinping (I.B.  Tauris, 2016, non traduit), le sinologue britannique Kerry Brown, dont les nouvelles recherches interrogent le " centre réel " du pouvoir en Chine, tend à penser que celui-ci n'a pas tant son origine dans la personne du secrétaire général, mais dans le " récit de la mission moralisatrice et rédemptrice " dont le PCC serait investi.
Un Parti communiste, expliquait-il à Pékin lors d'une conférence le 16  mars, " abîmé par les souffrances et les malencontreuses expériences du passé, mais près enfin de livrer le grand résultat attendu " : le rêve d'un retour de la Chine à la place qu'elle mérite. M.  Xi et ses disciples sont des communistes " born again ", nés de nouveau, estime-t-il. " Des miracles surgissent sur la terre chinoise, et nous avons confiance dans l'avenir ", a déclaré le président chinois lors de son allocution farouchement nationaliste du 20  mars. Avant de marteler plusieurs fois comme message central : " Seul le Parti communiste peut sauver la Chine. "
" fenêtre d'opportunité unique "Cette promesse de renaissance " émotionnellement très puissante " explique en partie, selon M.  Brown, l'absence d'opposition au sein du parti, alors qu'il y en avait même sous Mao. Et l'adhésion d'une population à qui l'on annonce le Graal. " Il y a une utilité stratégique à cette union, poursuit le sinologue. C'est l'idée que la Chine est dans un moment parfait de chance, d'opportunité, que c'est un pays chanceux et que son dirigeant l'est. Et que personne ne doit mettre cela en danger. "
La direction chinoise est tout entière mobilisée par l'idée que la Chine doit profiter d'une " fenêtre d'opportunité stratégique unique ", selon les termes des médias officiels, ouverte par la crise financière de 2008 et qu'ont élargie les ennuis du projet européen et le chaos trumpien. Même si la Chine n'est pas en lice pour remplacer les Etats-Unis comme gendarme du monde, mais est plutôt dans une quête, mercantile, de statut et d'influence. Pour M.  Brown, le centenaire du PCC, en  2021, " donne une qualité visionnaire et fervente à l'équipe de direction qui sera au pouvoir à ce moment ".
C'est dans ce contexte que prend toute sa signification la consécration de Wang Qishan, désigné vice-président faute de pouvoir rester au comité permanent à cause de son âge. La passion de M.  Wang pour l'histoire fait de lui un éclaireur de cette voie unique que prêche le numéro un chinois : sans le PCC, point de salut. La dernière lecture que l'on prête à Wang Qishan, connu pour recommander les livres qui l'inspirent, ne serait autre que Les  Très Riches Heures de l'humanité, de Stefan Zweig (1927). L'auteur autrichien y évoque l'alignement d'étoiles qui fait que se réalisent des moments historiques d'une " grande concentration dramatique porteurs de destin, où une décision capitale se condense en un seul jour, une seule heure et souvent une seule minute ". Comme celui dont rêvent Xi Jinping et ses apôtres.
Brice Pedroletti
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire