Mélenchon soumis à l'unité des gauches
Avant la journée de mobilisation du 22 mars, un front commun a été impulsé par Olivier Besancenot
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Parfois les plus vieux adages sont ceux qui résonnent le mieux avec l'actualité. " Marcher séparément, frapper ensemble " : ce slogan qui incarne la stratégie de front unique, souvent utilisé par les militants se réclamant de Léon Trotski, colle parfaitement à l'initiative d'Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), d'appeler à un rassemblement des forces de gauche pour la journée de mobilisation des fonctionnaires et des cheminots du 22 mars.
L'ancien candidat à la présidentielle en 2002 et 2007 a impulsé un " front commun " à gauche. Le but : faire plier le gouvernement en montrant que l'unité syndicale se traduit par une unité politique. " C'est une bataille sociale importante, on est tous concernés. Il y a une pression sur toutes les organisations, cela nous dépasse. Ce serait incompréhensible de ne rien faire. On cherche à donner un cadre à l'unité ", note M. Besancenot.
L'appel de M. Besancenot a reçu des réponses positives des principaux acteurs de la gauche. Une " déclaration unitaire " réunissant un spectre très large d'organisations – d'Alternative libertaire à Nouvelle Donne, en passant par Europe Ecologie-Les Vers, le Parti communiste français (PCF), Génération.s, le NPA, les députés de La France insoumise (LFI), etc. – a été diffusé lundi. Une tribune est en préparation et une conférence de presse devrait avoir lieu jeudi matin, réunissant, entre autres, Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, Benoît Hamon, Olivier Besancenot et… un cadre de LFI . " On n'est pas sûrs de la participation de Jean-Luc Mélenchon ", note-t-on au NPA.
L'union s'arrêtera en revanche aux portes du Parti socialiste, qui n'a pas été convié. " On ne leur a pas proposé, c'est vrai. C'est un parti qui a beaucoup privatisé lorsqu'il était au gouvernement. Ce que l'on veut, c'est montrer l'unité à gauche du PS ", explique Sandra Simplon, membre de la direction du NPA. Olivier Faure, le nouveau premier secrétaire du PS, défilera donc sans les autres leaders de la gauche, jeudi à Paris.
L'initiative de M. Besancenot est maligne a plus d'un titre. Cela lui permet d'abord de remettre en avant son organisation, le NPA, qui est en perte de vitesse. Depuis quelques semaines, le communiste révolutionnaire ne ménage pas ses efforts et court de plateaux télé en studio radio pour appeler à la mobilisation. Ensuite, en proposant l'unité, il oblige chacun de ses homologues à le suivre, car une défection serait incompréhensible aux yeux du " peuple de gauche ". C'est le cas de M. Mélenchon qui se retrouve coincé.
Recomposition des alliancesLe député des Bouches-du-Rhône le répète sans cesse : pour lui et les " insoumis ", le retour aux " cartels " des gauches est une erreur stratégique car c'est une forme de mobilisation qu'ils estiment dépassée. La France insoumise raisonne à l'inverse. Elle veut être hégémonique à gauche, créer les conditions de dépassement des anciennes structures " en fédérant le peuple " autour de son projet politique. C'est ce qui les a poussés, en septembre, lors des mobilisations contre la réforme du code du travail, à organiser leur " marche contre le coup d'Etat social ", se brouillant à la fois avec les autres organisations politiques de gauche et avec des syndicats qui furent échaudés par la manière de faire de Jean-Luc Mélenchon.
Mais cela ne s'est pas avéré payant. La réforme est passée et M. Mélenchon a même concédé " le point " de cette première manche à Emmanuel Macron. Six mois plus tard, M. Mélenchon n'est pas en position de force pour imposer ses vues. Il a donc été contraint d'accepter, avec réticence, l'initiative de M. Besancenot. Le groupe parlementaire de La France insoumise a ainsi affirmé que ses députés " s'associeront à toutes les initiatives d'union pour fortifier la lutte qui s'engage ".
De son côté, Jean-Luc Mélenchon, a écrit sur son blog qu'il " appuie personnellement toutes les initiatives visant à regrouper des forces pour cette bataille ". Le service minimum. Si certains cadres " insoumis ", comme Clémentine Autain se sont tout de suite dits intéressés par la démarche unitaire, d'autres goûtent peu cette manière de leur forcer la main.
" Oui, Besancenot nous oblige à faire l'unité. Mais ça ne compte pas, ça, ce sont des gamineries. Ils veulent une photo avec tout le monde ? Ils l'auront. Et après ? Faire des meetings à la Bellevilloise avec vingt-cinq orateurs, ça va changer les choses ? Besancenot est dans l'union de la gauche, après avoir fait exploser le NPA sur une ligne sectaire. Et là, il répète tout ce que dit Hamon ", fulmine un député LFI avant de conclure : " Ce qui compte, c'est la mobilisation sociale, pas ça. "
Pour La France insoumise, cette unité temporaire de la gauche, relèverait presque d'une conjuration des autres formations pour " casser la dynamique de Jean-Luc Mélenchon ". C'est vrai que les autres organisations politiques se sont vite engouffrées dans la brèche ouverte par M. Besancenot, mettant la pression sur LFI. Pierre Laurent a immédiatement répondu favorablement, affirmant qu'il souhaitait une " expression commune des différents dirigeants ". Benoît Hamon, dans un entretien au Journal du dimanche du 18 mars a appelé M. Mélenchon à " abandonner sa stratégie solitaire " : " Il y a une unité syndicale, il doit y avoir une unité politique. " Guillaume Balas, bras droit de M. Hamon rappelle que leur jeune mouvement " a toujours dit oui à l'unité. C'est une constante. On est ravi de ce que dit Olivier Besancenot ".
Au-delà de l'unité politique autour de la mobilisation du 22 mars, ce qui se joue à moyen terme est la recomposition des alliances à gauche, notamment pour les élections européennes de 2019. Le jeu est encore très ouvert et incertain. Beaucoup craignent, avec la multiplication des listes, une dispersion des voix et cherchent des partenaires ou font monter les enchères.
Les Verts et La France insoumise, veulent partir seuls quand Benoît Hamon tente de convaincre des partenaires de le rejoindre dans sa liste avec Diem25, le mouvement de Yanis Varoufakis, ancien ministre grec des finances. Les communistes, eux, n'ont pas encore pris de décision. Le combat pour l'unité à gauche est donc loin d'être fini. Et il pourrait se résumer à un trait d'esprit de Woody Allen : " Je ne ferai jamais partie d'un club qui m'accepterait pour membre. "
Abel Mestre
© Le Monde
Avec son école, LFI rêve de gagner la " bataille culturelle "
Le dernier cours sur le nucléaire a été suivi par 17 000 personnes, selon le mouvement qui a organisé une votation citoyenne sur le sujet
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Dans un immeuble du 10e arrondissement de Paris, Martine Billard, co-animatrice du livret " planification écologique " du programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon, est venue démontrer, dans le cadre de l'" école de formation insoumise ", qu'il est possible de sortir du nucléaire en 2050, proposition défendue par La France insoumise (LFI).
Face à elle, trois élèves seulement. La faute à un mail d'inscription qui n'a pas été envoyé aux personnes résidant en Ile-de-France, justifient les organisateurs. Les trois auditeurs, chacun à un coin de la salle , écoutent avec attention tout en prenant des notes. Martine Billard, badge antinucléaire épinglé à sa veste, reste concentrée sur la caméra.
L'affluence en classe n'est pas au rendez-vous mais la démonstration est retransmise sur la chaîne YouTube du mouvement, le véritable auditoire de cette leçon. Pendant une heure, Martine Billard contredit d'abord les arguments du camp opposé : " On dit que le nucléaire est important pour notre autonomie énergétique mais nous importons de l'uranium du Kazakhstan ! " L'ex-députée des Verts (2002 à 2009), puis du Parti de gauche (jusqu'à la fin de son mandat en 2012) conclut son discours avec la proposition insoumise : la sortie totale du nucléaire en 2050. Elle propose notamment, pour y arriver, " la sobriété énergétique ", c'est-à-dire consommer moins.
" Martine Billard m'a convaincu, mais pour tout dire je l'étais déjà avant ", confie Virgile Thiévenaz, 24 ans, militant à LFI depuis un peu plus d'un an. Ce doctorant en physique, est ravi d'avoir assisté à la présentation. De quoi " récupérer des arguments ", pour la campagne sur la sortie du nucléaire.
Ce deuxième cours proposé par LFI dans le cadre de son " école de formation insoumise ", lancée en février, précédait la votation citoyenne organisée par le mouvement du 11 du 18 mars. Une réussite puisque 315 000 personnes ont participé à ce scrutin, selon le mouvement. Au terme de cette consultation organisée sur Internet et dans 2 000 lieux physiques, les électeurs ont approuvé la sortie du nucléaire, avec 93,13 % des voix.
Ecole avant tout virtuelleTous réseaux confondus – Facebook, Twitter et YouTube – " ils sont 17 000 personnes à suivre le cours, avance Thomas Guénolé, coresponsable de l'école. 3 000 de moins seulement qu'en février ". Une école avant tout virtuelle, donc. Une façon de proposer à tout le monde, " insoumis " ou non, un cours gratuit. Après sa présentation, Mme Billiard répondra aux questions posées par les internautes sur le chat YouTube.
En réalité, ce dispositif permet, sans engager de frais importants, à LFI de sensibiliser un grand nombre de personnes aux thématiques défendues par le mouvement. Cette étape " d'éducation populaire " est essentielle dans la " bataille culturelle " que les " insoumis " entendent mener pour conquérir le pouvoir. Ainsi, lors d'une réunion devant les collaborateurs parlementaires de LFI, le 14 février, Jean-Luc Mélenchon déclarait : " L'hégémonie culturelle se gagnera par la production d'un imaginaire collectif, s'incarnant par des mots et des personnages dans leur manière d'être. "
" Avec ces cours, tout militant pourra avoir une parole, une analyse ", fait valoir Thomas Guénolé. Officiellement, l'objectif est de casser la structure horizontale. Le coresponsable de l'école explique vouloir dépasser l'opposition entre les " cols blancs "(les responsables des partis) qui exposent les principes, et les " cols bleus " (les militants) qui répètent la doxa du parti et jouent les petits soldats, collant des affiches et distribuant des tracts.
Manon Le Bretton, coresponsable de l'école venue présenter la séance, se défend toutefois de ne mettre en place qu'un organe de formation des " insoumis " : " On veut aussi toucher un plus large public en proposant le cours à tout le monde. Certains vont s'intéresser au thème traité sans forcément être militants. " L'école devient alors un outil pour toucher un plus large public. " Nous sommes dans le souci constant d'élargir la base ", ajoute-t-elle.
Parmi les trois élèves ayant participé au cours sur le nucléaire, figure l'archétype des personnes visées. Présent ce jour-là, un étudiant en master de droit ne s'intéresse au mouvement que " depuis quelques mois ". Il n'a pas encore eu le " déclic " et n'est pas prêt à prendre sa carte pour le mouvement. S'il est venu, c'est surtout pour parler nucléaire. " Je m'interroge sur les modalités de sortie, parce que 75 % de notre énergie provient des centrales. Je ne pense pas que nous devons arrêter du jour au lendemain. La France risquerait un déclassement ", s'inquiète-t-il.
Les thèmes des séances de l'" école insoumise " ont été, en partie, choisis lors de la convention du mouvement à Clermont-Ferrand, en novembre 2017. Viennent s'ajouter des sujets d'actualité jugés incontournables. " Le 31 mars, nous aborderons l'analyse du système médiatique de LFI, car nous estimons que son traitement par les médias est défaillant ", glisse Thomas Guénolé. L'école abordera ensuite la pauvreté, le 21 avril, tout en continuant à mettre en ligne des tutoriels plus pratiques pour apprendre à organiser une manifestation, une " nuit des écoles " ou même à écrire une chanson " insoumise ".
Élisa Centis
© Le Monde
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