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dimanche 25 mars 2018

Leïla Slimani" La mort de mon père m'a désinhibée "


25 mars 2018

Leïla Slimani" La mort de mon père m'a désinhibée "

Je ne serais pas arrivée là si… " Le Monde " interroge une personnalité avec, comme point de départ, un moment décisif pour la suite de sa vie. Cette semaine, l'écrivaine franco-marocaine lauréate du Goncourt en 2016

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Lauréate du prix Goncourt 2016 pour son deuxième roman, Chanson douce, vendu à 600 000 exemplaires et traduit en 40 langues, l'écrivaine franco-marocaine a été nommée, en novembre  2017, représentante personnelle -d'Emmanuel Macron pour la francophonie, et présidera en juin le prix du Livre Inter.


Je ne serais pas arrivée là si…

Si mon père n'était pas mort quand j'avais 22 ans, dans des circonstances assez -tragiques. Ce qui lui est arrivé nous a prouvé à ma mère, mes sœurs et moi qu'en réalité rien ne protège. Nos parents avaient voulu pour nous de très bonnes études, des métiers sûrs, l'indépendance financière. Mais tout s'est écroulé, on s'est rendu compte qu'un -malheur est toujours possible, qu'il faut donc essayer de faire ce qu'on a envie de faire. Ma mère, qui était très anxieuse, a compris mon envie de faire du théâtre, d'écrire, elle m'a soutenue. Et puis je pense aussi que je n'aurais pas pu écrire ce que j'ai écrit si mon père avait été vivant. Peut-être qu'au fond sa mort m'a désinhibée.


Votre père, Otmane, était banquier, au Maroc. Il a été accusé de détournement de fonds, c'est cela ?

Papa a connu une ascension professionnelle et sociale assez fulgurante. Il venait d'un milieu modeste, à Fès, avec une maman analphabète. Il a fait des études d'économie en France, il est devenu professeur à la fac de Rabat au retour, puis secrétaire d'Etat à -l'économie, dans les années 1970, et président d'une grande banque, le Crédit- -immobilier et hôtelier (CIH). Il a été mis -dehors quand j'avais 13 ans et n'a plus jamais retravaillé. il s'est retrouvé au cœur d'un scandale de détournement de fonds. Ça a été une longue descente aux enfers. Il n'a jamais voulu fuir le Maroc parce qu'il se savait -innocent. Il a été incarcéré alors que j'avais 21 ans. Il est mort en sortant de prison. -Quelques années après, il a été entièrement innocenté, à titre posthume. C'était une -erreur judiciaire, il avait servi de bouc -émissaire. Cela a bouleversé notre vie.


Vous avez vécu une adolescence avec un père à la maison, un père que vous voyiez déchoir ?

Oui, c'était une déchéance, D'un côté, c'était très dur. Je le sentais qui souffrait. Il attendait, je ne sais quoi. Que ça se résolve. Que la vie reprenne. Ma mère devait faire vivre le foyer, payer nos études, s'occuper de tout. Je lui voue une admiration extraordinaire ! Elle a beaucoup contribué à mon envie d'indépendance, à mon féminisme. En même temps, mon père était d'une intelligence et d'une érudition hors du commun, il lisait deux -livres par jour. Le côté positif, c'est que j'ai rencontré ce père. Il ne travaillait plus douze  heures par jour. Les circonstances agissaient comme un filtre, il n'y avait plus d'apparences, juste les amis fidèles, la vie -familiale. Mon père regardait des séries qu'on aimait, il riait avec nous, s'intéressait à notre génération, à notre féminité, on -discutait beaucoup. Ce n'était pas que triste. Il m'a transmis l'amour des livres et son intérêt pour la philosophie et la politique.


Son emprisonnement a dû être un cataclysme…

C'était très, très violent. On l'a vécu à quatre, avec ma mère, encore plus extraordinaire que l'extraordinaire habituel. Ma mère, ce -superhéros. Son soutien à mon père, sa -dignité, son courage, sa force physique, même. Sa façon de nous protéger… Avec mes sœurs, on était d'un milieu bourgeois, très doux, on pensait que ce genre de choses -n'arrivait qu'aux autres. La prison marocaine de droit commun, on n'imagine pas en France ce que c'est, vous entrez dans une autre dimension ! Mon père y a passé quatre mois alors qu'il avait déjà 61 ans… Ça m'a donné très jeune une forme de lucidité sur le statut social, le succès, l'amitié, qui ne me quitte pas même quand je reçois le Goncourt.


Devez-vous votre double nationalité franco-marocaine à vos grands-parents maternels ?

Oui, ma grand-mère était une jeune fille de la bourgeoisie alsacienne. Elle a rencontré mon grand-père quand il a libéré son village, à la fin de la guerre. C'était un officier de -l'armée française, un spahis avec le turban et tout l'apparat, d'une beauté extraordinaire. Elle est tombée sous son charme, lui aussi. Elle l'a suivi, elle avait un tempérament d'aventurière. Elle a débarqué dans une -maison traditionnelle de la médina de Meknès, dans une belle-famille où l'on -parlait à peine le français…


C'est un roman !

Ce sera un roman, bien sûr ! Ma grand-mère a tout de suite appris à lire et écrire l'arabe. C'était la femme blanche mariée à un -indigène… Vous imaginez, dans la société -coloniale raciste de Meknès ! Les Français ne voulaient pas la fréquenter. Elle se battait aussi contre le machisme de la -société -marocaine. Elle n'a jamais négocié avec ses convictions. Le couple a traversé la colonisation, l'indépendance, de grosses -difficultés -financières sur son exploitation d'oliviers… Je viens vraiment d'une lignée de femmes -assez coriaces ! Et extrê-mement bonnes.
Ma grand-mère avait créé un dispensaire. Ma mère a consacré sa vie à la médecine. Elle était ORL et n'a jamais fait payer les pauvres, elle était connue pour ça. Elle nous enseignait ce que c'était de faire face à la grande pauvreté, à la dureté de la société marocaine, à ses inégalités criantes. Nous, on vivait dans une bulle, de manière totalement marginale, selon nos propres codes, valeurs, au milieu des livres et des films.


Avec toute une scolarité effectuée au lycée français de Rabat…

On était très protégées, avec mes sœurs, très loin de la société, dans une bourgeoisie un peu hors sol. Adolescente, j'étais même -révoltée par rapport à ça. J'avais envie d'un destin collectif, d'appartenir à un groupe. Je ne me sentais ni marocaine ni française ? d'ailleurs c'est un peu toujours le cas.
Ce que je retiens de l'enfance, c'est l'ennui. On vivait dans un quartier éloigné du centre-ville où le cinéma et le théâtre n'étaient pas terribles, on se sentait à la périphérie du monde. L'ennui a nourri mon envie de -lecture et d'écriture. J'étais très solitaire. Et travailleuse, mais j'adorais ça ! Ma première prise de conscience sur la société marocaine, ça a été une conscience de la misère. Grâce à ma mère, à ma nounou dont je voyais la vie, à ma grand-mère qui, chaque matin à 7  heures, avec des gestes appris pendant la guerre, -soignait les ouvriers berbères malades, les enfants brûlés parce que leurs parents -faisaient la cuisine par terre…


Et la grande inégalité entre les sexes, à quel âge vous saute-t-elle aux yeux ?

Très jeune, en CE2, on me disait : " Tu ne peux pas faire ça parce que tu es une fille. " Ça me révoltait ! Du coup je voulais être un garçon, faire partie de ceux qui se -bagarrent, qui s'imposent. Je sentais un espace de -liberté.
Au Maroc, les relations sexuelles hors -mariage sont interdites. Un soir de Nouvel An, j'étais dans une voiture stationnée, avec un ami qui n'était pas mon amoureux, on -attendait quelqu'un. J'avais 17 ans. Un flic s'est approché, a demandé au conducteur qui j'étais. Il ne s'est pas adressé à moi, ne m'a pas écoutée, pas répondu, comme si j'étais invisible, puis il a dit en arabe : " Si ce n'est pas ta sœur, pas ta cousine, c'est une pute. " Il savait très bien que je n'étais pas une prostituée. Je me suis rendu compte qu'on était l'objet de possibles grandes humiliations. Ça s'est -arrangé en lui donnant de l'argent. Mais que se passait-il pour toutes les femmes de -milieux plus modestes ?


Est-ce pour vous épargner ces discriminations que vos parents vous envoient faire vos études en France, à l'âge de 18 ans ?

Non, c'était une évidence, dans notre -milieu on faisait tous nos études en France. Arrivée à Paris, en hypokhâgne, j'ai beaucoup travaillé mais j'étais très libre. Et très seule, pendant longtemps. Je ne comprenais pas la ville, les codes, je me sentais hyper-ringarde. Mais j'avais le sentiment que j'allais y arriver, à force de travail, de volonté, ce qu'incarnaient mes parents.


Vous entrez à Sciences Po, puis en école de commerce, quel métier envisagez-vous ?

Petite, je disais que je voulais être payée pour penser. Mon rêve, c'était ça, une vie -entière consacrée à lire des livres ! En France, cela semblait un rêve possible. Ces études devaient forcément m'amener à ça… Mon père est mort le jour où j'ai terminé Sciences Po. Là, les choses se sont arrêtées. J'ai fait du -cinéma avec une amie, j'ai pris des cours de théâtre, même si je ne voulais pas être actrice, attendre et dépendre des autres. J'avais envie d'une vie de troupe, de sorties, de gaieté, de -liberté, d'une forme d'insécurité. Puis j'ai -découvert le journalisme à l'ESCP, et je suis rentrée à Jeune Afrique.


Où vous avez réalisé de nombreux reportages sur le Maghreb…

Finalement, c'est là que j'ai rencontré la -société marocaine. J'avais toutes les raisons d'être en colère, j'aurais pu me détourner, c'était l'inverse, je voulais comprendre, -appartenir, j'en avais marre d'être " la petite Française ". Et je ne voulais pas perdre le lien avec mon père. Parce que le Maroc, il lui avait consacré sa vie. Je suis allée dans les -mines de phosphate, j'ai interviewé des ouvriers, des artistes, j'ai senti ce bouillonnement -culturel, j'ai compris à quel point cette société était complexe, résistait aux schémas manichéens. Et j'ai adoré faire du reportage, cette recherche de l'efficacité, du détail, -recréer une atmosphère. Mais mon fils était petit, j'avais envie de m'occuper plus de lui. Et, -depuis mes 20 ans, je m'entendais dire aux gens : " Tu sais, moi, un jour, j'écrirai un -roman. "


Comment cette vocation est-elle née ?

Toute petite, comme mon monde était un peu ennuyeux, je m'en offrais d'autres, je me réinventais. Mes parents avaient une admiration immense pour les écrivains. Et moi à 12 ans, quand je lisais la vie de Dostoïevski, de Maupassant, de Rimbaud, je me demandais ce qu'il pouvait y avoir de plus fascinant. Ma vie, je la trouvais étriquée, j'avais envie de grandeur, d'émotions fortes, de passion amoureuse, d'aventures, de voyages ! Quand mon père est mort, je me suis dit : " C'est maintenant ou jamais. Sinon, à 50 ans, tu -diras encore qu'un jour tu seras écrivain… " J'ai décidé de prendre deux ans, jour pour jour. Soit je réussissais à écrire un roman, soit je n'en reparlais plus jamais. J'ai démissionné. Mon mari m'a soutenue. Avec mon éducation axée sur le travail, le lendemain à 8 heures je commençais à écrire.


Et vous vous êtes installée devant votre ordinateur, jour après jour ?

Oui, pendant un an j'ai écrit, écrit, écrit, écrit… Un roman de merde que j'ai envoyé à plein de maisons d'édition. Qui a été refusé. Ça se passait au Maghreb, il y avait une sorte de révolution, c'était un peu dans la veine du réalisme magique à la Mario Vargas Llosa. -Enfin c'était nul. A ce moment-là, j'étais totalement déprimée, j'avais envie de baisser les bras. Mais ma mère et mon mari m'ont offert un atelier d'écriture chez Gallimard. " Je ne -serais pas arrivée là si… " je n'avais pas -rencontré Jean-Marie Laclavetine, mon -éditeur. Sans lui je ne serais sans doute -jamais devenue écrivain.


Pourquoi cette rencontre a-t-elle été si déterminante ?

Elle a été immédiate. Merveilleuse. Il a vu en moi ce que personne n'avait vu. Il savait avant moi ce que je devais, ce que j'allais écrire. Et il m'a guidée. Sans lui je n'aurais -jamais pu écrire mon premier roman, ni même mon deuxième, sans lui je ne sais pas si je pourrais écrire. Nous sommes dans un dialogue constant, essentiel, profond, il -connaît des choses de moi que personne d'autre ne connaît. Je ne peux être que vraie.


Vous vous êtes révélée lors de cet atelier d'écriture ?

On était une vingtaine de participants, il nous avait donné comme exercice d'expliquer pourquoi on écrivait. J'avais écrit " pour la gloire et les paillettes, pour les cocktails à Saint-Germain-des-Prés… ", c'était un texte très ironique, évidemment, parce que je ne pouvais pas répondre. Les raisons pour -lesquelles j'écris sont indicibles, si intimes que je préférerais me mettre nue plutôt que de les révéler. J'ai vu que mon texte lui avait plu. Il m'a demandé d'écrire un incipit de-- -roman. Je lui ai montré le début de Dans le jardin de l'ogre. Ça l'a intrigué, cette -histoire de femme souffrant d'addiction sexuelle, il m'a convaincue de continuer. Quatre mois après, c'était terminé. Et Gallimard proposait de le publier.


C'était en  2014, et deux ans plus tard, à 35 ans, vous décrochez le prix Goncourt avec Chanson douce, qui n'est que votre deuxième roman, et se vendra à 600 000 exemplaires… Vous avez vécu un tourbillon ?

La folie ! Le jour du Goncourt, il y avait 350 journalistes qui me bousculaient, je trouvais ça dingue, génial, que les Français témoignent d'un tel intérêt pour la littérature ! J'étais un peu dépassée. Mais j'étais enceinte, d'une petite fille après mon garçon, donc un peu ailleurs, sereine. Et puis j'ai toujours eu cette idée qu'un malheur est non seulement possible mais probable. Quand il arrive des choses bien, il faut recharger ses batteries afin d'être prêt pour le prochain drame.


Ce personnage de nounou qui assassine les enfants qu'elle garde, après celui d'une nymphomane qui s'autodétruit… Vous écrivez pour déranger ?

J'écris pour sortir du langage et des -rap-ports humains du quotidien, conditionnés par la peur, le politiquement correct, une certaine morale, plein de choses qui nous -inhibent. La littérature, c'est un espace de grande liberté, surtout en France. Ce n'est pas fait pour être distrayant. On écrit avec ses hontes, ses peurs, ses pensées mauvaises, pour tout dire, tout montrer, parler de ce dont on ne parle pas dans la vraie vie. Il n'y a aucune limite.


Vous êtes souvent dans le registre de la souffrance, pourtant, quand vous évoquez votre travail d'écriture…

Ecrire, à 80  %, c'est du labeur. Le matin en me levant je ne me dis pas " Ouah, c'est -génial ! Je vais me remettre à cette scène que j'ai déjà tenté 187 fois d'écrire ! " Il y a des jours où j'en ai marre… Ah oui ! Bien sûr ! Il y a des moments de grand plaisir, des moments où l'on sort presque de son corps, dans un état de concentration tellement intense qu'on disparaît, qu'on s'oublie, qu'on se transcende, comme les grands sportifs ou les comédiens. Ça, c'est sublime, c'est magique. Et toujours frustrant parce qu'on n'est -jamais à la -hauteur.


Il est là, le combustible de l'écriture ? Faire mieux que précédemment ?

Eh bien ! oui. Et parce que je suis habitée par des personnages. Ils veulent venir, je ne peux pas les en empêcher, d'une certaine façon, il faut bien leur donner vie. J'ai toujours eu ces voix, ça a comblé ma solitude. En même temps que je vis une expérience, je suis dans la formulation de cette histoire, j'imagine une scène, les mots que j'emploierais, j'écris dans ma tête ce que je vis.


Votre dernier livre, " Sexe et mensonges. La vie sexuelle au Maroc " (Les Arènes), est une enquête journalistique riche de témoignages. Il y avait une urgence, pour vous, à aborder cette question ?

Oui, des femmes marocaines sont venues se confier à moi, pendant ma tournée pourDans le jardin de l'ogre. Mais avant ça, cela -faisait quelques années que j'étais en colère contre la grande hypocrisie de la société dans laquelle j'ai grandi. Les autorités théorisent cette espèce de double jeu, institutionnalisent le mensonge. C'est " Faites ce que vous voulez chez vous mais ne le dites pas en -public ". Moi j'avais envie de dire, même si certains ne supportent pas qu'on tende un miroir dont le reflet n'est pas reluisant, et même si je suis constamment délégitimée, parce que je ne représente rien, que je suis francophone, bourgeoise, libérale…
J'appartiens peut-être à une minorité, mais je veux qu'on me respecte. Je veux libérer la parole. M'inscrire aux côtés des militants qui se battent quotidiennement. Quand -chaque jour, il y a six cents avortements clandestins, qu'on trouve vingt bébés dans les poubelles, quand des femmes se jettent par la fenêtre au soir de leurs noces, quand des homosexuels sont lynchés dans la rue, dans mon pays, et qu'on fait semblant de rien, c'est insupportable !


Parce que vous aimez profondément ce pays ?

Non, parce que j'aime la liberté, la dignité, que je crois dans l'universalité des valeurs, que personne ne mérite de se faire avorter dans une cave sur une chaise en plastique avec de l'eau de Javel. Je ne suis pas " vendue " à l'Occident mais aux droits universels. Avoir à l'esprit la condition de la femme dans beaucoup de pays du monde, les femmes violées, abandonnées, lapidées, enfermées, sans droit de travailler, couvertes des pieds à la tête, mourant en couches, cela m'empêche de dormir. Cela m'oblige, en tant qu'être -humain. Résonne en moi le cri de toutes les femmes. Vous savez, j'ai grandi pendant la décennie noire en Algérie, des femmes étaient égorgées à quelques kilomètres de chez moi parce qu'elles ne voulaient pas -porter le voile, en plein islamisme émergent.


A côté de cela, les discriminations et violences dénoncées en France vous semblent-elles mineures ?

C'est vrai qu'à Casablanca les femmes ont autre chose à penser que de savoir si la -galanterie à la française va disparaître ! Mais, dans ce moment de libération de la parole, il faut écouter toutes les paroles. Il faut briser le silence, faire du bruit. Alors vous faites -passer la honte de l'autre côté. Le silence, c'est un piège pour les femmes, il profite aux -agresseurs, au système patriarcal. Je trouve ce mouvement #metoo extraordinaire ! C'est une révélation pour les femmes, pour les hommes, pour nos enfants. C'est -l'émergence d'une sororité.


Vous êtes musulmane ?

Pour moi, la religion est une affaire privée, il faut la laisser à la maison. Ça ne regarde -personne. Ce que je pense, c'est que toute -religion peut être interprétée de manière à être obscurantiste, ou, à l'inverse, com-porter d'extraordinaires éléments de libération, d'espoir, de rapport à l'amour, de générosité, de densité de vie. Aujourd'hui, la -religion musulmane est enfermée du côté noir, elle est instrumentalisée par des esprits -malveillants, et ce sont eux les plus bruyants, mais c'est une certaine période de l'histoire. Il y a aussi des gens merveilleux qui se -battent pour montrer la lumière dans cette religion.


Vous vous êtes élevée contre la burqa. Mais que pensez-vous du voile ?

La première fois que j'ai vu un voile, j'avais 15 ans. Avant, ça n'existait pas au Maroc. Les premières femmes voilées, on les appelait les " femmes des Frères musulmans ", on était méfiants. Maintenant c'est devenu banal, il y a presque plus de femmes voilées que non voilées.
Chacun fait ce qu'il veut, mais on ne peut pas se mentir, ni lui ôter sa valeur symbo-lique : le voile a d'abord été conçu par le -patriarcat parce qu'il considérait la femme comme une tentatrice, qu'il fallait qu'elle se cache. Après, je connais des femmes qui le portent en liberté, par choix personnel. Mais il ne faut jamais oublier les millions de femmes qui sont obligées de le porter, par leur maris, leur père, leurs frères, par l'Etat. Il faut se battre pour que ces femmes-là aient le choix.


Pourquoi avez-vous accepté de devenir représentante personnelle du président Macron pour la francophonie ?

J'ai accepté quelques mois après la publi-cation de Sexe et mensonges. Au Maroc, comme en France, certaines personnes me -reprochaient d'écrire en français. Me traitant de traître, d'occidentalisée, d'agent de -l'extérieur ou, au mieux, de victime consentante du néocolonialisme. D'autres, en France, allaient jusqu'à considérer que, si j'écrivais sur les Marocaines, je devais le faire en arabe ! Ils occultaient totalement le fait qu'il existe au Maroc une vie culturelle francophone, des émissions, des pièces de -théâtre, des débats en français. Vingt pour cent des -livres publiés au Maroc sont en français.
Je viens d'un pays plurilingue et cette -diversité est une chance qui devrait être -préservée. Mais certains font semblant de l'ignorer, ce qui m'exaspère. Bref, ce rapport idéologique à la langue me paraît à la fois -dépassé et inquiétant. C'est nourrir le -discours des islamistes qui répètent que nous n'avons qu'une langue, qu'un livre, qu'un horizon possible. Moi je crois qu'il faut défendre, pour les générations futures, un rapport libre, joyeux et pluriel aux langues et les désidéologiser.


Etes-vous en train d'écrire un nouveau roman ? Le Goncourt ne fait-il pas peser une pression trop grande ?

Non, il m'a donné une certaine confiance. Je me dis : " Tu dois quand même être un peu écrivain… Peut-être que Jean-Marie - - Laclavetine - a raison, que tu vas en écrire plein d'autres. " Je ne vais pas faire ma -victime. Ce ne serait pas respectueux -vis-à-vis des gens qui ont un immense talent et ne sont pas reconnus. Etre écrivain, c'est très dur, j'ai eu énormément de chance. J'ai deux -projets de roman, je ne sais pas lequel sera le prochain. Jean-Marie a une -préférence. Je vais finir par l'écouter.
Propos recueillis par Pascale Krémer
© Le Monde

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