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mardi 27 mars 2018

La dégradation des terres atteint un stade critique......La déforestation de l'Amérique du Sud nourrit les élevages européens.......


27 mars 2018

La dégradation des terres atteint un stade critique

La détérioration systémique des sols met en péril la sécurité alimentaire, le climat et la stabilité des sociétés

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LES CHIFFRES
700 millions
de réfugiés climatiques
Selon la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques - (IPBES), au rythme actuel de l'activité humaine, seulement 10 % des terres seront épargnées par l'activité humaine d'ici à 2050. Quatre milliards d'êtres humains vivront dans des zones arides, contre 2,7 milliards en 2010. Il y aura alors entre 50 et 700 millions de réfugiés climatiques, selon les scénarios.
36 gigatonnes
de carbone libérées
Les experts mondiaux estiment que si les pratiques ne changent pas, 36 gigatonnes de carbone pourraient être libérées d'ici à 2050 par les sols, soit l'équivalent de près de vingt ans d'émissions liées au transport (aérien, maritime et terrestre). Les rendements agricoles mondiaux pourraient baisser en moyenne de 10 % et, dans certaines régions, de 50 %. Le recours aux pesticides et aux engrais pourrait doubler.
C'est un signal d'alarme que lancent les experts de la biodiversité : l'activité humaine est à l'origine d'une détérioration massive – et lourde de conséquences – des terres à l'échelle planétaire. Les terres, ce sont les sols, mais aussi ce qui les recouvre : les forêts, les prairies ou encore les zones humides.
Leur constat découle d'un travail de longue haleine : pendant trois ans, une centaine d'experts de 45 pays ont décortiqué et analysé plus de 3 000 références sur la dégradation et la restauration des terres – des publications scientifiques, mais aussi des données provenant de sources gouvernementales et de savoirs indigènes et locaux. Leurs observations, qui constituent la première étude mondiale sur l'état des sols, ont été regroupées dans un rapport d'un millier de pages approuvé lors de la 6e session plénière de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui s'est déroulée du 17 au 24  mars à Medellin (Colombie).
Disparition des zones humidesLa plate-forme, souvent qualifiée de " GIEC de la biodiversité ", en référence au Groupe d'experts -intergouvernemental sur l'évolution du climat, a été créée en  2012 sous la tutelle des Nations unies et rassemble actuellement 129 Etats membres. Elle a pour vocation d'éclairer les gouvernements et l'opinion publique sur les enjeux liés aux changements de la biodiversité, et réalise pour cela une synthèse régulière des connaissances scientifiques.
En l'occurrence, les experts alertent sur une situation plus qu'alarmante : nous faisons face à un phénomène systémique et généralisé de dégradation des terres, qui touche l'ensemble des surfaces terrestres de la planète. L'exemple des zones humides est peut-être le plus parlant : plus de la moitié a disparu depuis le début du XXe  siècle. Selon les estimations de l'IPBES, si moins d'un quart des étendues terrestres échappent encore, aujourd'hui, aux effets substantiels de l'activité humaine, cette part tombera à 10  % en  2050. Il s'agira, pour l'essentiel, de zones non adaptées à une exploitation humaine (déserts, régions montagneuses, toundra et territoires polaires).
Mettre en place des mesures visant à réduire – voire à éviter – la dégradation des terres, et à restaurer celles d'ores et déjà dégradées, constitue pour les experts une " priorité d'urgence " pour protéger la biodiversité et les services écosystémiques, vitaux pour la vie sur terre.
Car les retombées négatives sont déjà visibles et multiples : la détérioration des terres constitue la première cause de disparition des espèces animales et végétales, contribuant de fait à la sixième extinction de masse. Elle participe également à l'exacerbation du changement climatique, en raison notamment de la déforestation et de la diminution de la capacité de stockage de carbone des sols. De plus, les terres dégradées concourent à l'altération de la sécurité alimentaire et de la santé des êtres humains, affectant le bien-être de plus de 3,2  milliards d'hommes et de femmes. Les experts entrevoient de surcroît des répercussions lourdes en termes de migrations et de conflits au sein des populations touchées.
Réduire le gaspillage alimentaireQui faut-il blâmer pour ces faits alarmants ? La consommation effrénée de la plupart des pays développés, assortie de celle, en hausse, des pays en développement, estime l'IPBES. Le tout dans un contexte d'augmentation de la population mondiale. L'expansion de l'agriculture est de fait visée – " notamment dans ses formes les plus intensives ", souligne Florent Kohler, qui a participé à l'élaboration du rapport et de son résumé. L'anthropologue pointe la " part de plus en plus insoutenable des cultures fourragères ", notamment celles du maïs et du soja. Mais d'autres facteurs ont également leur part de responsabilité, comme l'exploitation forestière, l'extraction minière et pétrolière, ou encore l'urbanisation excessive et incontrôlée.
" Il faut une prise de conscience massive pour que les terres – et plus spécifiquement les sols – soient enfin considérées à leur juste valeur, et non plus comme un simple substrat sur lequel on bâtit, on cultive, ou dans lequel on creuse pour extraire des matières premières, estime Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, qui fait partie de la délégation française. Nos terres (…)représentent un bien commun extrêmement précieux et l'avenir de l'humanité dépend de leur protection. "
" Il faut que, collectivement, nous construisions une société plus sobre… mais pas seulement du fait d'une certaine élite : il faut que ce soit un mouvement global de nos concitoyens ", ajoute-t-elle, recommandant la mise en place de mesures simples, favorisant la transition. " Il existe déjà des solutions et il suffirait de les mettre en œuvre pour que la situation s'améliore ", note-t-elle, citant pour exemple les pratiques agro-écologiques (qui préconisent l'arrêt des pesticides et des labours profonds), l'incorporation, dans le prix des aliments, du coût écologique de leur production, l'intégration de la valeur des sols dans la planification urbaine, ainsi que le développement d'une économie circulaire.
D'autres leviers d'action ont également été mis en avant dans le rapport de l'IPBES, comme le recours à une alimentation moins carnée et la réduction du gaspillage alimentaire.
Les experts estiment que les bénéfices économiques que l'humanité tirera de la protection et de la restauration des terres seront dix fois supérieurs aux coûts investis. Mais ces bénéfices ne sont pas uniquement d'ordre monétaire, ils " touchent également à l'humanité elle-même, à ses conditions d'existence, à l'épanouissement des individus ", insiste Florent Kohler. Attaché aux dimensions éthiques des questions environnementales, l'anthropologue se réjouit de l'intégration, dans le rapport, du concept de solidarité écologique, qui pose pour principe que les hommes sont solidaires entre eux, avec les générations futures, et avec les écosystèmes dont ils font partie. Cela implique de prendre pleinement conscience de l'impact de la consommation sur les ressources planétaires.
Sauvegardées, ces terres pourraient garantir une absorption et un stockage non négligeable du carbone atmosphérique, et contribuer à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des deux degrés, tel que défini dans l'accord de Paris sur le climat.
Sylvie Burnouf
© Le Monde


27 mars 2018

La déforestation de l'Amérique du Sud nourrit les élevages européens

La monoculture du soja ravage le Brésil, l'Argentine et le Paraguay, détruisant la vie des populations autochtones et des écosystèmes

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Ni les images des immenses terres dénudées et fumantes, ni la démesure des millions d'hectares convertis à la culture du soja et à l'élevage ne peuvent, à elles seules, rendre compte de la dévastation qu'engendre la propagation de l'agriculture industrielle en Amérique du Sud. Alors des membres de l'ONG Mighty Earth ont parcouru plus de 4 000  kilomètres dans le Gran Chaco, vaste région qui s'étend du nord de l'Argentine au sud de la Bolivie, en passant par l'ouest du Paraguay, ils y ont recueilli le témoignage des populations autochtones chassées de leurs forêts autrefois impénétrables, où vivaient tatous, jaguars et fourmiliers géants. Ils ont écouté les riverains régulièrement aspergés de glyphosate – l'herbicide largué par avion au-dessus des parcelles géantes de soja génétiquement modifié, contaminant l'eau et les villages.
Catalina Cendra, par exemple : " Je ne pense pas que le soja soit un aliment. Pour moi, c'est une maladie, a assuré cette agricultrice. La nourriture saine, c'est celle du temps de mes ancêtres : les patates douces, le yucca, les citrouilles. Le soja, c'est pour les gros capitaux, pas pour nous. Ils viennent, ils sèment, ils empoisonnent, ils récoltent et ils s'en vont. "
" Malformations à la naissance "Mardi 27  mars, Mighty Earth devait rendre publique son enquête en compagnie de France Nature Environnement et de Sherpa. Elles en profitent pour interpeller une vingtaine d'entreprises françaises du secteur de la viande sur la présence éventuelle de" soja sale " dans leurs chaînes d'approvisionnement et sur leur responsabilité vis-à-vis des dommages humains et environnementaux que leur activité peut causer outre-Atlantique. Car le soja OGM venu du Chaco pour nourrir les volailles, les porcs, les bœufs et les poissons d'élevage d'Europe finit bel et bien dans nos assiettes.
L'Union européenne est le deuxième importateur mondial de cette légumineuse riche en protéines, aux trois quarts destinée à l'alimentation animale. La France en achète en moyenne 3  millions de tonnes en provenance d'Amérique du Sud chaque année, via plusieurs ports de sa façade ouest ou ceux d'autres Etats-membres, et dispose sur son sol d'usines de trituration qui produisent huiles et tourteaux destinés à l'alimentation animale. C'est ainsi que notre consommation de camembert ou de côtes de porc entretient la " déforestation importée ". Manger local ne règle pas ce problème-là.
" Nous avons suivi la trace des cargos au départ de Rosario en Argentine, nous avons interrogé beaucoup de cultivateurs sur place. Ils nous ont fait part de violences destinées à les faire partir, et de nombreux enfants souffrant de malformations à la naissance. Nous pouvons dire que malgré leurs déclarations publiques, les grandes multinationales de l'industrie agroalimentaire encouragent la déforestation pour élargir leur approvisionnement ", assure Etelle Higonnet, de Mighty Earth. L'ONG a en ligne de mire Cargill et Bunge, contre qui elle avait déjà mené une campagne en  2017. Elle interpellait alors les clients de Burger King, leur révélant les impacts indirects de leur steak haché sur les forêts du Cerrado, une autre région métamorphosée par la monoculture au Brésil, que dominent ces deux géants du secteur. Selon la Banque mondiale, l'utilisation de produits agrochimiques a augmenté de 1 000  % ces vingt dernières années en Argentine, à cause du soja OGM.
Malgré les 650  millions d'hectares déjà brûlés et défrichés en Amérique du Sud, essentiellement pour l'agriculture et l'élevage, la destruction de forêts, de savanes arborées, de zones humides se poursuit. Car la demande explose : environ 120  millions d'hectares de terres sont désormais consacrés au soja, essentiellement aux Etats-Unis, au Brésil et en Argentine. Sa production grimpe de plus de 5  % par an en moyenne depuis quarante ans, pour atteindre 336  millions de tonnes en  2017.
Les ONG tâchent donc d'alerter les consommateurs, faisant au passage pression sur les entreprises situées en bout de chaîne. Ainsi le 21  mars, Journée internationale des forêts, Carrefour a rendu publique sa politique " zéro déforestation " ; celle-ci cible l'huile de palme, le bœuf, le bois et le papier, ainsi que le soja. Sur ce dernier point, le distributeur annonce essayer d'établir une traçabilité de ses approvisionnements au Brésil. Avec L'Oréal, Danone, Casino, le Groupe Bel, mais aussi Unilever, Walmart, McDonald's et d'autres, Carrefour avait déjà signé le Manifeste pour le Cerrado, lancé en  2017 par des ONG pour tenter de sauver les dernières parcelles de nature de cette région. Pour sa part, le gouvernement français vient de lancer des consultations sur sa future " stratégie nationale sur la déforestation importée ".
Martine Valo
© Le Monde

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