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mercredi 24 juillet 2013

Présidentielle de 1995 : M. Balladur soupçonné d'avoir détourné les fonds spéciaux de Matignon

Présidentielle de 1995 : M. Balladur soupçonné d'avoir détourné les fonds spéciaux de Matignon

LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par 
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Pour Edouard Balladur, le spectre de la Cour de justice de la République (CJR) se rapproche inexorablement. En délivrant, le 18 juillet, un réquisitoire supplétif pour "détournement de fonds publics" et "recel" aux juges chargés du volet financier de l'affaire de Karachi, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, le parquet de Paris a conforté les soupçons de malversations entourant le financement, en 1995, de la campagne présidentielle de l'ancien premier ministre. Nicolas Bazire, l'ex-directeur de son cabinet à Matignon, qui dirigea aussi sa campagne, est déjà poursuivi dans ce dossier.
Le délit de "détournement de fonds publics", dont sont désormais saisis les juges, vise le recours, par le premier ministre-candidat, aux fonds secrets, qui auraient abondé de manière illicite sa campagne présidentielle. Le réquisitoire du parquet répondait à une ordonnance du 26 juin des juges. Outre les fonds spéciaux, la campagne de M. Balladur aurait également bénéficié de "rétrocommissions" issues de ventes d'armes fin 1994 au Pakistan et à l'Arabie saoudite.
AVEUX TARDIFS DE L'INTERMÉDIAIRE ZIAD TAKIEDDINE
Homme-clé du dossier, l'intermédiaire Ziad Takieddine, écroué le 31 mai, a réitéré les 5 et 8 juillet ses accusations de financement illicite. Les juges viennent de lui accorder sa remise en liberté contre une caution de 4,3 millions d'euros.
Les aveux – tardifs – de l'intermédiaire Ziad Takieddine, reconnaissant avoir reversé aux proches de M. Balladur une partie des sommes perçues en marge de la vente, fin 1994, de sous-marins au Pakistan et de frégates à l'Arabie saoudite, s'ajoutant aux témoignages attestant le recours illicite aux fonds spéciaux pour subvenir aux dépenses de la campagne du premier ministre en 1995, les magistrats instructeurs ne devraient donc avoir d'autre choix, à la rentrée, que de se dessaisir au profit de la Cour de justice de la République (CJR). Cette juridiction est en effet la seule habilitée à enquêter – puis, le cas échéant, juger et condamner – sur un ministre pour des faits commis dans l'exercice de ses fonctions.
Le cas de M. Balladur pourrait lui être soumis, de même que celui de son ancien ministre de la défense, François Léotard, ouvertement suspecté d'avoir tout fait pour imposer les intermédiaires Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir dans plusieurs contrats d'armement, en contrepartie du versement de rétrocommissions. L'homme-lige de M. Léotard, Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller à la défense entre 1993 et 1995, est déjà poursuivi pour "abus de biens sociaux et recel".
TÉMOIGNAGES ACCRÉDITANT L'UTILISATION DE FONDS "SECRETS"
Depuis son déclenchement, fin 2010, l'enquête des juges Van Ruymbeke et Le Loire a accumulé les documents et témoignages accréditant l'utilisation par l'équipe de M. Balladur, lors de la campagne présidentielle, de ces fameux fonds "secrets" mis à la disposition des ministres, dont le gouvernement de Lionel Jospin décida la suppression en 2001.
Par exemple, en novembre 2011, Frédéric Aucher, un ancien gendarme, militant RPR de longue date, avait expliqué aux policiers de la division nationale d'investigations financières et fiscales (DNIF) dans quelles conditions il était devenu, début 1995, secrétaire général de la campagne de M. Balladur. "Lorsque l'on m'a demandé de venir à la campagne et que M. Pierre Mongin m'a demandé de quitter mon poste du ministère de la coopération, il m'a dit qu'il compenserait ma perte de salaire par une enveloppe de fonds secrets de Matignon, avait-il révélé. En fin de mois, Pierre Mongin me remettait des espèces. Le montant a évolué au fil des mois. Le premier mois, j'ai eu 30 000 francs, puis 50 000 francs à deux reprises."
M. Aucher s'est dit certain qu'il s'agissait des fonds secrets, car cela lui avait"été présenté comme cela par M. Mongin", précisant que " tous les billets étaient d'un montant de 500 francs". En décembre 2012, l'ex-trésorier de la campagne de M. Balladur, René Galy-Dejean, avait été encore plus explicite s'agissant d'un dépôt suspect de plus de 3 millions de francs en liquide, en avril 1995, sur le compte de l'AFICEB (Association de financement de la campagne d'Edouard Balladur). Il avait assuré avoir été convoqué par Pierre Mongin à Matignon en ces termes : "Arrivé dans son bureau, avait rapporté M. Galy-Dejean, il me montre plusieurs boîtes en carton et me dit : 'Voilà 3 millions en petites coupures'. C'est cette somme que j'ai apportée à la cellule trésorerie."
DE FORTES SOMMES EN LIQUIDE SUR LE COMPTE DE CAMPAGNE
Concernant l'origine de ces fonds, l'ancien trésorier avait confié : "Je garde en tête la phrase plusieurs fois publiquement prononcée par M. Balladur : 'J'ai utilisé tous les moyens légaux qui étaient à ma disposition'." En clair, il s'agissait selon M. Galy-Dejean de fonds spéciaux.
La publication de ce témoignage dans Le Monde du 10 janvier avait provoqué une vive réaction de M. Mongin. L'actuel PDG de la RATP avait démenti "vigoureusement" avoir "jamais remis cet argent à M. Galy-Dejean", et annoncé le dépôt d'une plainte contre l'ex-trésorier pour"dénonciation calomnieuse". Les révélations de M. Galy-Dejean avaient toutefois valu à M. Mongin d'être reconvoqué par les juges, le 16 janvier, cette fois en qualité de témoin assisté, statut entre celui de témoin et de mis en examen.
Autre témoignage gênant pour M. Balladur, celui de l'ancien chauffeur de M. Galy-Dejean. Jean-Louis le Guevel a déclaré à la police, le 19 mars, s'être rendu début 1995 à Matignon chercher des fonds secrets. "Nous sommes rentrés par l'accès livraisons de Matignon. J'ai garé la voiture en marche arrière, devant l'entrée de service, à l'abri des regards. M. Galy-Dejean etM. Alexandre Galdin sont restés à Matignon environ une demi-heure. Ils sont sortis et, je m'en souviens précisément, avec quatre sacs en jute provenant de la Banque de France J'ai tout. de suite compris qu'ils venaient de récupérer une somme d'argent à Matignon et que c'était pour la campagne de M. Balladur."
Un récit qualifié de "faux" devant les policiers par M. Galdin, qui a toutefois fait part de ses doutes sur l'arrivée de fortes sommes en liquide sur le compte de campagne. M. Balladur, lui, a toujours nié tout financement illicite : le 28 avril 2010, il avait affirmé devant une mission d'information parlementaire que la plupart des fonds en espèces dont sa campagne bénéficia avaient été recueillis "lors de centaines de meetings", auprès "des militants, des sympathisants", via notamment la vente de pin's et autres t-shirts à sa gloire...

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