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mercredi 31 juillet 2013

Nous sommes les cobayes d'une loi inventée par la gauche



« Nous sommes les cobayes d'une loi inventée par la gauche »
La loi sur l'emploi qui découle de l'Ani est entrée en vigueur le 1er juillet.
Le lendemain, le groupe Hamelin, 454e fortune de France, a annoncé la fermeture de cinq sites dont trois en France.
Un premier cas d'école pour l'administration de Michel Sapin.
            « Si on m'avait expliqué ce que signifiait l'Ani, j'aurais été de toutes les manifestations comme pour les retraites en 2010. » Marie pleure en se mordant les doigts. Elle ne connaît « rien au droit du travail », n'a pas fait d'études.
Lorsqu'au printemps dernier, les détracteurs de l'accord national interprofessionnel dit de « sécurisation de l'emploi » ont appelé les salariés à manifester dans toute la France contre ce texte qualifié de « casse sociale », cette ouvrière de la papeterie Elba à la Monnerie-Le-Montel dans le Puy-de-Dôme, ne s'est pas sentie « concernée ». Non syndiquée, en CDI depuis trente ans dans une entreprise en bonne santé, elle n'a pas jugé bon d'aller protester contre « ce cadeau de la gauche au Medef ».
Confortée par les médias qui « ne parlaient que de Jérôme Cahuzac et du mariage pour tous », Marie est allée travailler en se disant que « l'Ani ne devait pas être si important », puisque tous les collègues étaient présents.
Même les syndicalistes de la CGT et FO, les deux organisations non signataires, avaient séché les manifestations.
 Ce n'est que ce lundi 8 juillet qu'elle a réalisé « la tragédie » que représente pour elle ce texte devenu loi le 14 juin dernier, après le feu vert du Conseil constitutionnel.
 Et notamment le décret qui bouleverse la donne en matière de licenciements économiques collectifs. Lorsque son patron, le groupe Hamelin, leader de la papeterie de qualité, a annoncé, à quinze jours des vacances, qu'il allait rayer de la carte dès le mois d'octobre leur usine ainsi que deux autres sites en France, à Troyes dans l'Aube et Villeurbanne dans le Rhône, soit deux cents emplois sacrifiés 
Hamelin n'a pas perdu de temps pour profiter des outils que lui confère désormais la nouvelle législation.
Il n'a même pas attendu que les cadres hiérarchiques de l'administration du travail (les Direccte) soient, le 5 juillet, formés par leur ministère à ce Code du travail revisité par pans entiers.
Dès le 2 juillet, soit au lendemain de l'entrée en vigueur de la mesure concernant les licenciements collectifs, il a déroulé en comité européen d'entreprise son plan de restructuration, invoquant la crise du secteur. Le 8, il en informait les salariés. Et la première réunion de négociation du plan social, prévue ce 25 juillet, intervient étonnamment à la veille de la date où l'usine ferme pour congés durant trois semaines, réduisant un peu plus le délai de deux mois déjà très court durant lequel le comité d'entreprise peut se retourner.
S'il voulait tuer toute velléité de lutte, Hamelin ne pouvait pas mieux s'y prendre.
D’autant qu'en supprimant la possibilité d’intervention du juge des référés durant la procédure, la nouvelle loi désarme les représentants des salariés. Exit l'avocat qui pouvait suspendre en amont le plan, jouer la montre, gagner jusqu'à un an de répit. Quant au délai de deux mois, il ne permet plus à l’expert, éventuellement désigné par le comité d’entreprise, d’analyser sérieusement la validité du motif économique des licenciements comme par le passé. Désormais, seule l’administration du travail donnera un avis, lequel se limitera à juger la qualité des reclassements des salariés, sans aucune possibilité de contester le bien-fondé du motif économique. Dans ce cas précis – une décision unilatérale de l'employeur –, elle aura 21 jours à compter du 25 septembre pour homologuer ou non le plan.
En Auvergne, c'est le premier PSE qui découle de l'Ani qui a tant fracturé la gauche. Et c'est aussi un premier cas d'école en France pour l'administration de Michel Sapin.
Jusque dans les étages de la Direccte Auvergne où un proche du dossier reconnaît en “off” « un comportement de voyou où le minimum a été prévu en matière de congés de reclassement (4 mois au lieu de douze mois), d'indemnités supra-légales ». Ira-t-elle jusqu'à l'invalider ?

C'est ce qu'espère André Chassaigne. Le député du Puy-de-Dôme, président du groupe Front de Gauche à l'Assemblée, qui a mené pendant des mois la fronde anti-Ani déposant vainement plus de cinq cents amendements, reprend son bâton de pèlerin. Il entend mettre « au pied du mur Michel Sapin », faire de ce dossier « un exemple emblématique de l'Ani, porte ouverte à tous les abus patronaux » et tient là sa revanche.
L'usine Elba, fleuron familial qui a compté jusqu'à 300 ouvriers avant d'être absorbé inexorablement comme beaucoup de PME par les financiers au fil des restructurations, se trouve sur sa circonscription.

« Cette décision à la veille des vacances frise l’indécence et confirme de façon magistrale les atteintes sans précédent au droit du travail que recèle cette loi », s'emporte le député. Il s'est fendu d'un courrier à Michel Sapin et Arnaud Montebourg.
Remonté comme jamais : « Contrairement aux engagements du candidat François Hollande, aucune mesure législative n’a été prise pour mettre un terme aux licenciements abusifs. Bien au contraire, le 16 mai dernier, lors du débat parlementaire sur la proposition de loi des députés du groupe GDR visant à interdire les licenciements boursiers et les suppressions d’emplois abusives, Sapin s'est réfugié derrière le soi-disant bouclier de la loi de sécurisation de l’emploi pour justifier son refus de faire adopter notre proposition de loi. On voit les dégâts aujourd'hui. 
Pour les 64 salariés de la Monnerie-Le-Montel, petite commune de 2 000 âmes, cette annonce est un « énorme coup de massue ». Rien ne laissait présager une telle nouvelle. « On a travaillé comme des fous pour préparer la rentrée scolaire. Il y avait cinquante intérimaires depuis février. On venait de recevoir des chaussures de sécurité toutes neuves. Le directeur du site nous répétait que nous étions les meilleurs depuis que nous nous sommes recentrés sur la production de classeurs à anneaux, que le groupe allait investir. En 2011, je suis même allée en Angleterre pendant quinze jours pour apprendre à travailler sur de nouvelles machines et ensuite former mes collègues. »
Comme Jean-Luc, 34 ans. « Même si la dernière embauche remonte à dix ans, on avait tout pour y croire. » Alors sa femme et lui ont fait construire il y a un an, emprunté sur 25 ans et mis en route leur deuxième enfant. « Il va naître en août dans ce merdier et c'est comme un rêve qui part en fumée », lâche-t-il. Depuis neuf mois, il était chef d'équipe. Cela ne se voit pas sur sa fiche de paie bloquée à 1 200 euros nets et au grade d'ouvrier qualifié alors qu'il devrait être agent de maîtrise, mais c'était le sacrifice pour accéder à la promotion. « Tout ça pour rien. »
Quel que soit l'âge, la question est sur toutes les lèvres, de la machine à café au mur de palettes érigé à l'extérieur sur lequel les salariés ont déployé une banderole noire où en lettres jaunes, on peut lire « Elba, 64 morts ». Comment se battre dans la torpeur de l'été dans cette usine loin de tout, qui n'est pas un bastion de la lutte, sachant que la nouvelle législation les entrave dans leurs possibilités de recours devant la justice ? Comment faire du bruit, obtenir que les discussions soient repoussées à septembre compte-tenu des vacances ?
Même les syndicalistes, peu habitués à combattre des licenciements de cette taille, sont perdus, surpris. Ils oscillent entre l'envie d'en découdre et le fatalisme, l'envie de se contenter de négocier une bonne prime à la valise et celle d'aller plus loin dans le rapport de forces.
 Ruiz Ribeiro, le délégué CFDT, secrétaire du comité d'entreprise, maudit la nouvelle législation qui fait d'eux « des cobayes » : « C'est de la merde si Laurent Berger (XIe secrétaire général de la CFDT, signataire de l'Ani – ndlr) m'avait demandé mon avis. ».
Avec Bouchaib Zaim-Sassi, le représentant FO et Arnaldo Da Silva pour la CGT, ils sont suspendus au téléphone avec leur avocat, Jean-Louis Borie.
Arnaldo Da Silva, délégué CGT: «Apprendre que ta boîte ferme à 15 jours des congés grâce à la nouvelle loi de la gauche dégoûte».

 Spécialiste du droit social, rôdé aux PSE et au dé tricotage du droit du travail depuis trente ans, il a suivi du début à la fin la naissance de l'Ani puis sa transposition en loi et martèle : « Toutes les batailles que l'on ne mène pas sont perdues. » La nouvelle législation restreint les possibilités de recours en amont ? Il ne s'inquiète pas et fourbit ses armes. « Il est trop tôt pour l'heure tant que la première réunion n'a pas eu lieu pour agir, tant que l'expert n'est pas entré en scène. Cela va se cristalliser en août et en septembre lorsqu'on saura si l'expert mandaté par le CE aura ou non obtenu les informations nécessaires de la part de la direction mais déjà, ouvrir une procédure de ce type pendant les vacances constitue une entrave et nuit à une information de qualité comme ne pas avoir cherché d'accord majoritaire et préféré une décision unilatérale. »

En attendant, les salariés qui pensaient que « les licenciements n'arrivaient qu'aux autres » se sont mis en grève mardi 16 juillet « pour une durée indéterminée », ont annoncé fièrement les syndicats.

 Ce vendredi, ils ont interpellé la ministre de l'Artisanat, Sylvia Pinel, venue visiter une coutellerie dans la montagne thiernoise. À la grande satisfaction de Nicolas, « les collègues commencent à se bouger et à réaliser que c'est pas en pleurant dans son coin qu'on va maintenir nos droits ». Syndiqué à FO, il est le seul ouvrier de l'usine à avoir manifesté deux fois contre l'Ani le printemps dernier. À l’époque, tout le monde l'avait raillé : « Tu as bien du temps et de l'argent à perdre pour aller manifester. »

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