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samedi 19 mai 2018

Le Brésil pare au plus pressé face aux Vénézuéliens


18 mai 2018

Le Brésil pare au plus pressé face aux Vénézuéliens

Le gouvernement veut désengorger l'Etat du Roraima, confronté à l'afflux de réfugiés fuyant la misère

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LE CONTEXTE
Exode
Depuis 2017, plus de 92 000 Vénézuéliens se sont rendus au Brésil pour fuir la crise dans leur pays (données officielles du Brésil). -Environ 1 million sont entrés en Colombie depuis mi-2017, selon la Croix-Rouge.
Élection
Les Vénézuéliens sont convoqués dimanche 20 mai à un scrutin présidentiel dont Nicolas -Maduro est favori. Une grande partie des pays du continent et de la communauté internationale a prévenu qu'elle ne reconnaîtrait pas les résultats, estimant, comme l'opposition, que le scrutin n'est ni libre ni transparent.
Dans une autre vie, LuisGeraldo Gil, 24 ans, était guide à Mar-garita, coquette petite station balnéaire du Venezuela, prisée des touristes brésiliens. Père de famille, polyglotte, élégant et éduqué, l'homme s'imaginait un quotidien fait de bonheurs simples dans son île des Caraïbes. Le voici, en ce début mai, lesté de sacs plastique en guise de valises, à l'aéroport de Boa Vista, capitale de l'Etat du Roraima, au Brésil.
Aux côtés de sa femme et de son bébé de 6 mois, le jeune homme attend son vol dans une salle d'embarquement aux allures de camps de réfugiés. Direction : Manaus, au cœur de l'Amazonie. Une ville dont il ignore tout, mais qui doit offrir au couple le Graal : un travail correctement rémunéré. " Au Venezuela, je gagnais plus de dix fois le salaire minimum, soit 14  millions de bolivars par mois. Mais un panier de provisions pour une famille coûte aujourd'hui 70  millions ! ", raconte le jeune homme.
Arrivé fin mars, en autobus, dans la capitale régionale, située à 160  km de la frontière vénézuélienne, Luis a intégré l'opération " Acolhida " (" accueil "). Un programme décidé par le gouvernement fédéral et orchestré par l'armée, qui vise à désengorger le -Roraima d'une partie des migrants vénézuéliens venus fuir la disette dans leur pays. Aux côtés de l'ex-guide touristique, 232 Vénézuéliens s'envoleront ce 4  mai à bord d'un Bœing de l'armée. Anxieux, mais soulagés de quitter ce Venezuela qui les affame. La plupart s'arrêteront, comme Luis Geraldo, à Manaus. D'autres pousseront la route jusqu'à Sao Paulo, aimant économique du Brésil. Sinai Carolina Tovar Montero, 24 ans, a opté, sans enthousiasme, pour la mégalopole. Une " grande ville " éloignée de son village natal et qu'elle espère quitter le plus vite possible – les poches pleines – pour retrouver sa mère et sa petite sœur, restées à Boa Vista.
Catastrophe humanitaireAvec une récession estimée à 15  % par le Fonds monétaire interna-tional et une inflationqui frise 14 000  % par an, la révolution -bolivarienne vire à la catastrophe humanitaire. L'élection présidentielle prévue dimanche 20  mai au Venezuela changera-t-elle les -choses ? N'osant y croire, les Vénézuéliens continuent à quitter le pays à pied, en bus, voire, pour les plus nantis, en avion. Le Brésil et ses frontières poreuses sont l'une des destinations privilégiées. Selon les données officielles, 92 656 Vénézuéliens sont entrés dans le pays depuis 2017 et 48 024 ne sont pas repartis. La plupart erre dans l'Etat du Roraima et en particulier à Boa Vista.
Mais dans la capitale régionale, parmi les plus pauvres du pays, les élans de solidarité ont désormais fait place à l'agacement, aux préjugés et à la xénophobie. Voyant les hôpitaux publics remplis d'immigrés diabétiques, cancéreux ou épileptiques en mal de traitements, les écoles bondées d'élèves hispanophones, les habitants ont commencé à crier à l'invasion, apeurés de voir les Vénézuéliens voler " leurs " emplois. " Il faut comprendre. Boa Vista n'est pas une très grande ville. La population a augmenté de près de 10  %. C'est une violence pour les habitants d'ici ", explique une source du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, présent dans la région depuis 2016.
Après divers appels à l'aide de la part de Suely Campos, la gouverneure du Roraima, le président Michel Temer a fini par faire le déplacement en février. Le chef de l'Etat, jusqu'ici davantage tourné vers sa propre survie politique, menacée par diverses affaires de corruption, s'est dit " préoccupé " par la situation, promettant de débloquer 190  millions de reais (44  millions d'euros), de répartir les immigrés dans d'autres villes du pays et d'installer une équipe chargée de gérer ces opérations.
A la tête de l'opération, le général Eduardo Pazuelo. Efficace, l'homme en treillis s'enorgueillit d'avoir orchestré, en moins de deux mois, la construction de neuf abris entre Boa Vista et la ville frontalière de Pacaraima, capables de loger 4 000 personnes pour supplanter le gymnase de la capitale, où s'entassaient les immigrés dans une odeur mêlée d'urine et de transpiration.
Militaire jouant les cœurs tendres, il assure : " Ici, on est sans arme. " Et ricane quand on évoque le sursaut de délinquance depuis l'arrivée des Vénézuéliens : " On nous parle d'une hausse de 100  %, 200  % des vols et agressions ? Arrêtons d'utiliser les pourcentages, en valeur absolue, on est passé de quasi rien à 40 ! J'arrive de Rio de Janeiro - l'un des Etats les plus meurtriers du pays - et je peux vous dire qu'ici, c'est le paradis ! " Puis, balayant l'idée d'une xénophobie rampante, il conclut : " Ici, on assume, on intègre. On n'exclut pas. "
L'action de l'armée, épaulée par diverses ONG, a permis de loger les indigents, de soigner les malades et de remplumer les corps -dénutris. A en croire les équipes de l'ONU, le traitement des migrants s'est sensiblement amélioré au cours des deux derniers mois. Mais aucune mesure ne peut stopper le flux continu de Vénézuéliens, souvent diplômés, fuyant leur pays. Ni soustraire des yeux des habitants de Boa Vista ces immigrés en haillons réduits à laver les carreaux de voitures aux feux rouges.
Situation explosive" Chaque jour, de 600 à 800 Vénézuéliens traversent la frontière et leur premier arrêt est dans le -Roraima. La première opération de transfert a emmené 265 migrants vers d'autres Etats, la seconde 233. C'est totalement insignifiant ! ", peste une source au sein du gouvernement du Roraima, énumérant les doléances adressées à Brasilia : la hausse des dépenses de santé (6 500  % depuis 2014), d'éducation, les épidémies de rougeole, les crimes impliquant des étrangers ainsi que l'arrivée de drogue et d'armes qui serait facilitée par l'afflux de réfugiés. Une situation explosive qui a incité la gouverneure du Roraima à réclamer, en février, la fermeture pure et simple des frontières. " Je ne veux pas que l'Etat du Roraima se transforme en camp de concentration ", a-t-elle affirmé.
A six mois des élections générales, prévues en octobre, la requête, inapplicable, prend des allures d'opération séduction ciblant les électeurs les plus exaspérés. De fait, le Brésil, qui se disait jusqu'ici prêt à accueillir les étrangers " à bras ouverts ", se referme face à l'afflux de migrants. Avant d'embarquer pour Sao Paulo, Sinai Carolina, s'est fait traiter de " fille de pute " et de " voleuse ". En février, la presse locale relatait l'histoire d'incendies criminels contre des refuges de migrants.
Claire Gatinois
© Le Monde

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