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samedi 6 décembre 2025

VU DU DROIT : - Affaire Sophie Binet : les « procédures bâillon » pour faire taire - Samedi 6 décembre 2025

 

Beaucoup de bruit autour de la mise en examen de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. L’ignorance habituelle dans les matières juridiques et judiciaires, permet d’alimenter un débat où fleurissent âneries et inconséquences. La présentation selon laquelle cette mise en examen serait le symbole de la criminalisation de l’action syndicale est ridicule. D’abord, la CGT devenue centrale de collaboration de classe et ralliée avec armes et bagages à l’UE néolibérale, ne fait plus peur à personne. Nul besoin de la criminaliser.

Le caractère harassant des « procédures bâillon »

En revanche on est en présence une fois de plus d’une « procédure bâillon » visant à instrumentaliser la justice pour faire taire. L’intervention de Sophie Binet dans le débat sur l’élaboration du budget avait au moins le mérite de tenter de clarifier les enjeux. Ces procédures bâillon, et l’auteur de ces lignes en est régulièrement victime, sont à la fois intimidantes (pour les profanes qui sont les plus nombreux…), chronophages et coûteuses. Même L’Union Européenne s’en est inquiétée puisque la Commission a adopté adopté le 27 avril 2022 une « Recommandation (EU) 2022/758 » dans le cadre de la lutte contre les SLAPP (poursuites stratégiques contre la participation publique). Cette recommandation vise à protéger les « journalistes et défenseurs des droits de l’homme » qui participent au débat public, contre des poursuites judiciaires « manifestement infondées ou abusives ». Et en ce qui concerne celle intentée contre Sophie Binet, nous sommes bien dans ce cas.

Sophie de Menthon, « dirige » le « Mouvement ETHIC », un groupuscule patronal entièrement à sa main dont elle est manifestement présidente à vie… À la suite d’une interview de la secrétaire générale de la CGT à l’occasion de laquelle celle-ci critiquait le chantage à la délocalisation, opposé aux revendications d’accroissement de la fiscalité des entreprises. En utilisant la vieille expression française : « les rats quittent le navire ». De sa propre initiative ou peut-être téléguidée, Sophie de Menthon a déposé une plainte pour « injure publique à l’encontre des patrons français présentés comme des rats ». C’est une procédure prévue par la loi sur la presse de 1881, dont il faut rappeler que si elle a un caractère pénal, celui-ci est complètement spécifique. Parce qu’en fait c’est ce que l’on appelle une « affaire entre parties », mais qui va se passer sous le regard du juge pénal. Par conséquent, l’examen par celui-ci est obligatoire, et la « mise en examen » n’est qu’une mesure technique préalable elle aussi obligatoire. On n’est pas là en présence « d’indice graves et concordants », la plainte suffit.

Pourquoi tout ceci ne devrait aller nulle part

D’abord concernant l’intérêt pour agir, en France une association n’est recevable en matière d’injure ou diffamation publique que si elle est personnellement visée par les propos, ou bien si elle dispose d’un intérêt à agir reconnu par la loi. Le mouvement de Madame de Menthon ne remplit aucune de ces deux conditions. Ensuite, l’expression « les rats quittent le navire » ne visent pas une personne, ni même un groupe suffisamment déterminé. Les propos pour être sanctionnables doivent viser une personne identifiable, physique ou morale, ou un groupe précis de personnes. L’expression est générale, ne désigne personne nommément, et aucun groupe précis n’est identifiable, comme par exemple « les membres de l’association ETHIC, les adhérents du MEDEF, etc. ». Et en l’application de ces principes la jurisprudence constante : les expressions vagues ou idiomatiques ne sont pas répréhensibles si aucune personne n’est identifiable. Donc avec « les politiques tous pourris, des voyous, des nantis » etc. etc., circulez il n’y a rien à voir, la jurisprudence a déjà tranché.

Donc, en bonne logique tout ceci ne devrait aller nulle part, et normalement Sophie de Menthon et son groupuscule doivent se faire renvoyer dans leurs buts.

Combattre cette multiplication des procédures bâillon

La recommandation de la commission européenne que nous avons invoquée plus haut, demande aux États de mettre en place des réglementations particulières pour protéger les participants au débat public démocratique. Il est évidemment exclu que le gang macroniste (expression garantie idiomatique générale) se saisisse du problème et mette en place des réglementations protectrices de la liberté d’expression. On peut être sûr qu’ils vont plutôt poursuivre leur stratégie visant à faire le contraire. Alors la jurisprudence étant une des sources du droit, la justice pourrait prendre ses responsabilités et sanctionner beaucoup moins restrictivement dénonciation calomnieuse (article 226-10 du Code pénal) très rarement sanctionnée. Il faut en effet démontrer la mauvaise foi du plaignant, c’est-à-dire qu’il savait en fait très bien, et dès le départ que sa procédure était fantaisiste et destinée à nuire. C’est rarissime en matière de procédures de presse car les procédures capotent souvent pour des motifs de forme. En l’occurrence dans cette affaire, du fait de la question de la recevabilité de la plainte, le fond ne sera même probablement pas abordé. Et l’on peut craindre que Sophie de Menthon n’ayant pas dénoncé un fait matériel faux, mais une qualification juridique erronée ou discutée (ce qui est le cas), la jurisprudence considère que l’on est pas en présence d’une dénonciation calomnieuse. Il n’est pourtant pas sérieux de prétendre que les rédacteurs de la plainte ignoraient les obstacles juridiques qui allaient se présenter sur la route de leur procédure et l’envoyer dans une impasse.

Pourtant, face à la dégradation des conditions du débat public, il est indispensable que la justice réagisse. Et sanctionne les usages répétés de procédures manifestement infondées, la claire conscience de l’inanité juridique de celles-ci, et l’instrumentalisation publiquement assumée des plaintes comme moyen de pression pour faire taire.

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