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Nous ajoutons qu'il est même le produit de la mondialisation
Les grands médias affirment de manière simplificatrice que la chute généralisée des bourses de valeur est provoquée par le coronavirus. Or, ce n’est pas l’épidémie qui constitue la cause de la crise ; elle n’en est qu’un élément détonateur. Tous les facteurs d’une nouvelle crise financière sont réunis depuis plusieurs années, au moins depuis 2017-2018. Dans cette atmosphère saturée de matières inflammables, une étincelle pouvait à tout moment provoquer une explosion financière.
La chute des cours boursiers était prévue bien avant que le coronavirus fasse son apparition. Le cours des actions et le prix des titres de la dette (appelés aussi obligations) ont augmenté d’une manière totalement exagérée par rapport à l’évolution de la production au cours des dix dernières années, avec une accélération au cours des deux ou trois dernières années. La richesse du 1 % le plus riche a aussi fortement crû car elle est largement basée sur la croissance des actifs financiers.
La chute des cours boursiers intervient suite à une revente massive des actions. Les grands actionnaires ont préféré être les premiers à vendre afin d’obtenir le meilleur prix possible avant que le cours des actions ne baisse très fortement. De grandes sociétés d’investissements, de grandes banques, de grandes entreprises industrielles et des milliardaires ont donné l’ordre à des traders de vendre une partie des actions ou des titres de dettes privées (c’est-à-dire des obligations) qu’ils possèdent afin d’empocher les 15 % ou 20 % de hausse des dernières années. Peu importe si cela entraîne un effet moutonnier de vente : l’important, à leurs yeux, est de vendre avant les autres. Cela peut provoquer un effet domino et dégénérer en une crise généralisée – une éventualité que les actionnaires ont à l’esprit, et dont ils pensent se tirer sans trop de dommages, comme cela s’est passé pour un grand nombre d’entre eux en 2007-2009. C’est le cas, aux États-Unis, des deux principaux fonds d’investissement et de gestion d’actifs BlackRock et Vanguard, qui ont parfaitement supporté la crise financière , de même que Goldman Sachs, Bank of America, Citigroup ou les GAFAM, etc.
Un autre élément important est à souligner : la vente des actions concerne aussi celles des entreprises privées, ce qui provoque une chute de leur cours et entraîne la chute des bourses. Or dans le même temps, les actionnaires achètent des titres de la dette publique considérés comme des valeurs sûres. C’est notamment le cas aux États-Unis où le prix des titres du trésor états-unien a augmenté suite à une demande très forte. À noter qu’une augmentation du prix des titres du trésor qui se vendent sur le marché secondaire a pour conséquence la baisse du rendement de ces titres. Les acheteurs de ces titres du Trésor sont disposés à un faible rendement, car ce qu’ils cherchent, c’est la sécurité à un moment où le cours des actions des entreprises est en baisse. En conséquence, il faut souligner qu’une fois de plus, ce sont bien les titres des États qui sont considérés comme les plus sûrs – malgré la rengaine médiatique bien connue concernant la supposée crainte des marchés à l’égard des titres publics.
LE CORONAVIRUS N’EST PAS LA CAUSE DE LA CRISE FINANCIÈRE MAIS SON ÉLÉMENT DÉTONATEUR
Les grands médias affirment de manière simplificatrice que la chute généralisée des bourses de valeur est provoquée par le coronavirus. Or, ce n’est pas l’épidémie qui constitue la cause de la crise ; elle n’en est qu’un élément détonateur. Tous les facteurs d’une nouvelle crise financière sont réunis depuis plusieurs années, au moins depuis 2017-2018. Dans cette atmosphère saturée de matières inflammables, une étincelle pouvait à tout moment provoquer une explosion financière.
La chute des cours boursiers était prévue bien avant que le coronavirus fasse son apparition. Le cours des actions et le prix des titres de la dette (appelés aussi obligations) ont augmenté d’une manière totalement exagérée par rapport à l’évolution de la production au cours des dix dernières années, avec une accélération au cours des deux ou trois dernières années. La richesse du 1 % le plus riche a aussi fortement crû car elle est largement basée sur la croissance des actifs financiers.
La chute des cours boursiers intervient suite à une revente massive des actions. Les grands actionnaires ont préféré être les premiers à vendre afin d’obtenir le meilleur prix possible avant que le cours des actions ne baisse très fortement. De grandes sociétés d’investissements, de grandes banques, de grandes entreprises industrielles et des milliardaires ont donné l’ordre à des traders de vendre une partie des actions ou des titres de dettes privées (c’est-à-dire des obligations) qu’ils possèdent afin d’empocher les 15 % ou 20 % de hausse des dernières années. Peu importe si cela entraîne un effet moutonnier de vente : l’important, à leurs yeux, est de vendre avant les autres. Cela peut provoquer un effet domino et dégénérer en une crise généralisée – une éventualité que les actionnaires ont à l’esprit, et dont ils pensent se tirer sans trop de dommages, comme cela s’est passé pour un grand nombre d’entre eux en 2007-2009. C’est le cas, aux États-Unis, des deux principaux fonds d’investissement et de gestion d’actifs BlackRock et Vanguard, qui ont parfaitement supporté la crise financière , de même que Goldman Sachs, Bank of America, Citigroup ou les GAFAM, etc.
Un autre élément important est à souligner : la vente des actions concerne aussi celles des entreprises privées, ce qui provoque une chute de leur cours et entraîne la chute des bourses. Or dans le même temps, les actionnaires achètent des titres de la dette publique considérés comme des valeurs sûres. C’est notamment le cas aux États-Unis où le prix des titres du trésor états-unien a augmenté suite à une demande très forte. À noter qu’une augmentation du prix des titres du trésor qui se vendent sur le marché secondaire a pour conséquence la baisse du rendement de ces titres. Les acheteurs de ces titres du Trésor sont disposés à un faible rendement, car ce qu’ils cherchent, c’est la sécurité à un moment où le cours des actions des entreprises est en baisse. En conséquence, il faut souligner qu’une fois de plus, ce sont bien les titres des États qui sont considérés comme les plus sûrs – malgré la rengaine médiatique bien connue concernant la supposée crainte des marchés à l’égard des titres publics.
Depuis un peu plus d’une trentaine d’années, c’est-à-dire depuis l’approfondissement de l’offensive néolibérale et de la grande déréglementation des marchés financiers [1], les actionnaires réduisent la part qu’ils investissent dans la production et augmentent la part qu’ils mettent en circulation dans la sphère financière (y compris dans le cas d’une firme « industrielle » emblématique comme Apple). C’est ce qui s’est produit au cours des années 1980, débouchant sur la crise du marché obligataire de 1987. C’est ce qui s’est produit une nouvelle fois à la fin des années 1990, débouchant sur la crise des dot-com et d’Enron en 2001. C’est ce qui s’est encore produit entre 2004 et 2007, débouchant sur la crise des subprimes, des produits structurés et une série de faillites retentissantes dont celle de Lehman Brothers en 2008. Cette fois-ci, les actionnaires ont principalement spéculé à la hausse sur le prix des actions en bourse et sur le prix des titres de la dette sur le marché obligataire (c’est-à-dire le marché où se vendent les actions des entreprises privées et les titres de dettes émis par les États et d’autres pouvoirs publics). Parmi les facteurs qui ont entraîné la montée extravagante des prix des actifs financiers (actions en bourses et titres des dettes privées et publiques), il faut prendre en compte l’action des grandes banques centrales depuis la crise financière et économique de 2007-2009 [voir cet article à ce sujet].
Ce phénomène ne date donc pas du lendemain de la crise de 2008-2009 : il est récurrent dans le cadre de la financiarisation de l’économie. Le système capitaliste avait aussi connu des phases importantes de financiarisation tant au 19e siècle que dans les années 1920, ce qui avait abouti à la grande crise boursière de 1929 et la période prolongée de récession des années 1930. Puis le phénomène de financiarisation et de déréglementation a été en partie muselé pendant 40 ans suite à la grande dépression des années 1930, à la Seconde Guerre mondiale et à la radicalisation des luttes sociales qui s’en est suivie. Jusqu’à la fin des années 1970, le monde n’a pas connu de grande crise bancaire ou boursière. Elles ont fait leur réapparition quand les gouvernements ont fait sauter les réglementations qu’ils imposaient aux actionnaires.
Ceux-ci, considérant que le taux de rentabilité qu’ils tirent de la production n’est pas suffisant, développent des activités financières qui ne sont pas directement liées à la production. Cela ne veut nullement dire qu’ils abandonnent la production, mais qu’ils développent proportionnellement davantage leurs placements dans la sphère financière que leurs investissements dans la sphère productive. Ce développement de la sphère financière augmente le recours à l’endettement massif des grandes entreprises.
Le capital fictif est une forme du capital qui se développe exclusivement dans la sphère financière sans véritable lien avec la production [voir l’encadré ci-dessous]. Il est fictif au sens où il ne repose pas directement sur la production matérielle.
Qu’est-ce que le capital fictif ?
« Le capital fictif est une forme de capital (des titres de la dette publique, des actions, des créances) qui circule alors que les revenus de la production auxquels il donne droit ne sont que des promesses, dont le dénouement est par définition incertain ». Entretien avec Cédric Durand réalisé par Florian Gulli, « Le capital fictif, Cédric Durand », La Revue du projet.
Selon Michel Husson, « le cadre théorique de Marx lui permet l’analyse du « capital fictif », qui peut être défini comme l’ensemble des actifs financiers dont la valeur repose sur la capitalisation d’un flux de revenus futurs : « On appelle capitalisation la constitution du capital fictif » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Si une action procure un revenu annuel de 100 £ et que le taux d’intérêt est de 5 %, sa valeur capitalisée sera de 2000 £. Mais ce capital est fictif, dans la mesure où « il ne reste absolument plus trace d’un rapport quelconque avec le procès réel de mise en valeur du capital » [Karl Marx, Le Capital, Livre III]. Michel Husson, « Marx et la finance : une approche actuelle », À l’Encontre, décembre 2011.
Pour Jean-Marie Harribey : « Les bulles éclatent quand le décalage entre valeur réalisée et valeur promise devient trop grand et que certains spéculateurs comprennent que les promesses de liquidation profitable ne pourront être honorées pour tous, en d’autres termes, quand les plus-values financières ne pourront jamais être réalisées faute de plus-value suffisante dans la production. » Jean-Marie Harribey, « La baudruche du capital fictif, lecture du Capital fictif de Cédric Durand », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015.
Lire également François Chesnais, « Capital fictif, dictature des actionnaires et des créanciers : enjeux du moment présent », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015.
Pour Cédric Durand, enfin : « Une des conséquences politiques majeures de cette analyse est que la gauche sociale et politique doit prendre conscience du contenu de classe de la notion de stabilité financière. Préserver la stabilité financière, c’est faire en sorte que les prétentions du capital fictif se réalisent. Pour libérer nos économies de l’emprise du capital fictif, il nous faut engager une désaccumulation financière. Concrètement, cela renvoie bien sûr à la question de l’annulation des dettes publiques et de la dette privée des ménages modestes, mais aussi à la diminution des rendements actionnariaux, ce qui se traduit mécaniquement par une diminution de la capitalisation boursière. Ne nous y trompons pas, de tels objectifs sont très ambitieux : ils impliquent inéluctablement de socialiser le système financier et de rompre avec la liberté de circulation du capital. Mais ils permettent de saisir précisément certaines conditions indispensables pour tourner la page du néolibéralisme. » Cédric Durand, « Sur le capital fictif, Réponse à Jean-Marie Harribey », Les Possibles, N° 6 – Printemps 2015 : https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-6-printemps-2015/debats/article/sur-le-capital-fictif
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Le capital fictif souhaite capter une partie de la richesse issue de la production sans « mettre les mains dans le cambouis », c’est-à-dire sans passer par des investissements directs dans la production (sous la forme d’achat de machines, de matières premières, de paiement de la force de travail humaine sous la forme de salaires, etc.). Le capital fictif constitue une action dont le possesseur attend qu’elle donne un dividende. Il achètera une action Renault si celle-ci promet un bon dividende mais il pourra aussi revendre cette action pour acheter une action General Electric ou Glaxo Smith Kline ou Nestlé ou Google si celle-ci promet un meilleur dividende. Le capital fictif est aussi une obligation de dette émise par une entreprise ou un titre de la dette publique. C’est également un dérivé, un produit structuré… Le capital fictif peut donner l’illusion qu’il génère par lui-même des profits tout en s’étant détaché de la production. Les traders, les brokers ou les dirigeants des grandes entreprises sont ainsi convaincus qu’ils « produisent »… jusqu’à ce qu’une crise brutale éclate et une masse de capitaux fictifs reparte en fumée (chute des cours boursiers, chute des prix sur le marché obligataire, chute des prix de l’immobilier…).
Lorsqu’une crise éclate, il faut effectuer une distinction entre l’élément détonateur d’une part (aujourd’hui, la pandémie du coronavirus peut constituer le détonateur), et les causes profondes d’autre part.
Ces deux dernières années ont vu un ralentissement très important de la production matérielle. Dans plusieurs grandes économies comme celles de l’Allemagne, du Japon (dernier trimestre 2019), de la France (dernier trimestre 2019) et de l’Italie, la production industrielle a reculé ou a fortement ralenti (Chine et États-Unis). Certains secteurs industriels qui avaient connu un redémarrage après la crise de 2007-2009 comme l’industrie de l’automobile sont rentrés dans une très forte crise au cours des années 2018-2019 avec une chute très importante des ventes et de la production. La production en Allemagne, le principal constructeur automobile mondial, a baissé de 14 % entre octobre 2018 et octobre 2019 [2]. La production automobile aux États-Unis et en Chine a également chuté en 2019, de même en Inde. La production automobile chute fortement en France en 2020. La production d’un autre fleuron de l’économie allemande, le secteur qui produit les machines et les équipements, a baissé de 4,4 % rien qu’au mois d’octobre 2019. C’est le cas également du secteur de la production des machines-outils et d’autres équipements industriels. Le commerce international a stagné. Sur une période plus longue, le taux de profit a baissé ou a stagné dans la production matérielle, les gains de productivité ont aussi baissé.
En 2018-2019, ces différents phénomènes de crise économique dans la production se sont manifestés très clairement, mais comme la sphère financière continuait de fonctionner à plein régime, l’illusion demeuraient intacte : la situation restait globalement positive, et ceux qui annonçaient une prochaine grande crise financière s’ajoutant au ralentissement marqué dans la production, n’étaient rien d’autre que des oiseaux de malheur.
Malgré le fait que la production réelle a cessé en 2019 de croître de manière significative ou a commencé à stagner ou à baisser, la sphère financière a continué son expansion : les cours en bourse ont continué d’augmenter, ils ont même atteint des sommets, le prix des titres des dettes privées et publiques a continué sa progression vers le haut, le prix de l’immobilier a recommencé à croître dans une série d’économies, etc.
Dans le même temps, les gouvernements prolongeaient une politique d’austérité qui entraînait une réduction des dépenses publiques et des investissements. La conjonction de la chute du pouvoir d’achat de la majorité de la population et la baisse des dépenses publiques a entraîné une chute de la demande globale : en conséquence, une partie de la production ne trouvait pas de débouchés suffisants, ce qui a entraîné en retour une baisse de l’activité économique [3].
La crise du système mondial est multidimensionnelle : crise économique, crise commerciale, crise écologique, crise de plusieurs institutions internationales essentielles au maintien de l’ordre global dominant (OMC, OTAN, G7, crise dans la Fed – la banque centrale des États-Unis –, crise dans la Banque centrale européenne), crise politique dans des pays importants (notamment aux États-Unis entre les deux grands partis de l’oligarchie), crise de santé publique, crises militaires…
L’abolition des dettes illégitimes, cette forme de capital fictif, doit s’inscrire dans un programme beaucoup plus large de refonte du système dominant.
Notes :
[1] Voir Éric Toussaint, Bancocratie, 2014, chapitre 3 « De la financiarisation/dérèglementation des années 1980 à la crise de 2007-2008 ».
[2] L’industrie automobile allemande emploie 830 000 travailleurs et 2 000 000 d’emplois connexes en dépendent directement (Source : Financial Times, « German industrial output hit by downturn », 7-8 décembre 2019).
[3] Concernant l’explication des crises, parmi les économistes marxistes, « deux grandes « écoles » se font face : celle qui explique les crises par la sous-consommation des masses (la surproduction de biens de consommation) ; et celle qui les explique par la « suraccumulation » (l’insuffisance du profit pour poursuivre l’expansion de la production des biens d’équipement). Cette querelle n’est qu’une variante du vieux débat entre les partisans de l’explication des crises par « l’insuffisance de la demande globale » et ceux de l’explication par la « disproportionnalité ». » Ernest Mandel. La crise 1974-1982. Les faits. Leur interprétation marxiste, 1982, Paris, Flammarion, 302 p. À la suite d’Ernest Mandel, je considère que l’explication de la crise actuelle doit prendre en compte plusieurs facteurs qu’on ne peut pas la réduire à une crise produite par la surproduction de biens de consommation (et donc une insuffisance de la demande) ou bien par la suraccumulation de capitaux (et donc l’insuffisance du profit).
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