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Au CHU de Grenoble, des essais cliniques pour lutter contre le coronavirus
Au CHU Grenoble Alpes, on soigne les malades… mais pas seulement. Près de 1 500 projets de recherche clinique étaient ainsi ouverts en ce début 2020. Et désormais, plusieurs sont liés à la Covid-19…
Par - Hier à 20:51 | mis à jour à 20:56
Dans le service réanimation du Chuga, hier mardi 31 mars. Photo Direction de la communication - Chuga.
a recherche clinique au Chuga, ce sont « 200 personnels dédiés au quotidien, plus évidemment les médecins », précise Camille Ducki, responsable de la Délégation à la recherche clinique et à l’innovation. 200 personnels qui ont vu leur travail évoluer, puisque sur les 400 projets de recherche initiés par le Chuga (les 1 100 autres le sont par des promoteurs extérieurs), 300 sont aujourd’hui suspendus. « La consigne était de ne conserver que les projets pour lesquels le traitement est indispensable aux patients. La plupart sont ainsi liés à la cancérologie ».
Très strictement encadrés, les essais cliniques sont une part importante de l’activité du Chuga. « C’est notre quotidien », résume le professeur Olivier Épaulard, infectiologue. « Avoir des idées, c’est notre quotidien. On voit régulièrement des situations qui nous interpellent. Et en tant que soignants, nous proposons des essais, afin de mieux connaître une maladie, ou un traitement ». Chaque année, des centaines de propositions émanent donc des praticiens du Chuga. Et la moitié d’entre elles est validée par la direction, qui les accompagne dans la recherche de financements. La concrétisation passe ensuite par une validation du CPP (Comité de protection des personnes, qui se penche sur l’aspect éthique) et l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).
Et la chloroquine ?
Aujourd’hui, l’épidémie de Covid-19 a changé la donne. Les propositions d’essais sont toutes liées au virus (lire ci-dessous). Camille Ducki constate que « beaucoup d’idées surgissent. On réfléchit tous ensemble pour les coordonner, un comité se réunit chaque semaine à ce sujet ». Alors qu’une véritable polémique est née sur l’usage de la chloroquine (d’ailleurs utilisée dans l’un des essais du Chuga), les hospitaliers isérois aimeraient raison garder : « Comme tout médicament, il faut un essai de qualité pour cette molécule », estime ainsi Nicolas Terzi, réanimateur. « Il faut être humble par rapport à la pathologie. De vrais essais donneront la seule réponse valable ». Ce que confirme son collègue Matthieu Roustit, pharmacologue. « Il faut garder son sang-froid. Plus il y aura de patients dans les essais, plus vite nous aurons la réponse sur l’efficacité de cette molécule ». Et sur d’autres, que teste également le Chuga…
Les essais en cours ou en projet
➤ Les premiers protocoles « ont débuté fin janvier » précise le Pr. Épaulard. « Une cohorte nationale a été créée par l’Inserm. Il existait déjà une surveillance des pathologies graves émergentes, et dans ce cadre, il a été décidé de collecter des données sur les personnes atteintes de Covid ».
Il ne s’agit pas là d’une cohorte bénéficiant de traitements spécifiques, mais de personnes chez qui des données sont collectées, « pour comprendre la maladie ». Actuellement, toutes les personnes entrant à l’hôpital pour le coronavirus sont donc intégrées à cette cohorte.
➤ Depuis la semaine dernière, le CHU participe à l’essai thérapeutique national Discovery. Il s’agit de « donner des molécules à efficacité anti-virale à des patients Covid en réanimation ou non ». Pour cette étude, un algorithme décide, pour chaque personne, le traitement qu’elle va recevoir. Différentes molécules sont ainsi comparées, dont le lopinavir, le remdesivir, et l’hydroxychloroquine… Plusieurs centaines de personnes participeront à cet essai en France (3 200 au niveau international). « À Grenoble, nous en avons rentré 10 en quatre jours » précise le Pr Épaulard.
➤ La filière biotech travaille, elle, sur des tests de dépistage rapides, à l’image des tests de grossesse.
➤ Un protocole est aussi lancé sur « la désinfection des masques, pour pouvoir les réutiliser » (décontamination par rayons, en lien avec le CEA).
➤ Une autre étude est lancée, recherchant « des marqueurs pour déterminer quels sont les patients risquant de faire une forme grave, et si un traitement pourrait être adapté ».
➤ Des observatoires spécifiques de patients admis en réanimation sont également mis en place, « afin d’identifier un certain nombre de facteurs associés à la gravité, la mortalité, la morbidité… », explique Nicolas Terzi.
➤ Le CHU initie aussi des essais pour « un typage de la réponse immunitaire, pour comprendre le meilleur traitement à donner ». Pour comprendre aussi « comment le corps fait des anticorps, et quel serait le meilleur vaccin ». ➤ Des essais sont également lancés sur le traitement préventif chez les soignants. « On mettra les soignants exposés sous traitement préventif, pour voir si cela les empêche d’être infectés », détaille le Pr Épaulard. « On a l’habitude de ça, cela existe par exemple pour le VIH. Mais il est évident que l’on ne va pas mettre 65 millions de personnes sous traitement préventif ! »
➤ Un autre projet se penche sur le suivi à domicile de la fonction respiratoire des gens malades, pour leur éviter l’hospitalisation (capteurs sur les doigts par exemple).
➤ Enfin, « il y aura des études qualitatives pour les patients à distance de l’infection, sur leur qualité de vie, le retentissement que cela a pu avoir sur la fonction respiratoire, sur le stress post-traumatique de l’hospitalisation… tout cela a été soumis à des appels d’offres », explique Nicolas Terzi.
En réanimation, face au Covid, « on se questionne »
Réanimateur, Nicolas Terzi ne se dit pas démuni, « car on connaît ce type d’insuffisance respiratoire. Elles font partie de nos pathologies quotidiennes, mais il est vrai que le Covid leur donne un caractère un peu différent de celles qu’on connaissait. On se pose des questions sur la caractérisation de cette atteinte respiratoire extrêmement sévère. On a des patients qui ne se comportent pas comme on avait totalement l’habitude de le voir. Ils sont potentiellement extrêmement graves très rapidement. Alors forcément, on s’interroge sur tout ça. Et on aura des réponses avec ces cohortes nationales sur la caractérisation des paramètres respiratoires des patients, puisqu’on les suit tous les jours, plusieurs fois par jour. On verra si l’impression que l’on peut avoir au quotidien se confirme ou pas, s’il y a une spécificité ou pas de cette pathologie ».
Attendre des résultats n’est-il pas frustrant ? « Non. Les données demandent à être confirmées. Pour le moment, aucun essai clinique thérapeutique ne permet de démontrer qu’un traitement est supérieur à un autre. On espère donner des réponses, mais pour cela, il faut des essais cliniques bien construits. Il ne faut pas se précipiter. En réa par exemple, on ne peut pas parler encore de taux de mortalité. On devra attendre la fin de la pandémie pour avoir des données fiables ».
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