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C’était censé être des vacances
La fin de semaine aura vu 5600 manifestants pour tout le pays selon Castaner. Un coup de poker menteur comme un autre. Il finit de ridiculiser son auteur et les médias qui colportent un chiffre aussi stupidement manipulé. La vérité est que vient encore de s’accroître la férocité de la répression, les jugements à la chaîne, les insultes au véritable ordre républicains par ceux qui sont censés l’incarner. Le pays a pris en profondeur une pente vers l’autoritarisme d’État. Mais il y a aussi l’autre versant de la réalité. Dorénavant la preuve va être faite que le mouvement va tenir au-delà de la date de clôture du prétendu « grand débat ».
Donc le rendez-vous du 16 mars va être un temps central de la séquence. Il va combiner dans les rues du pays une présence populaire dont le sens a une profonde portée contre les dominants de notre temps, ceux qui épuisent, sans vergogne ni conscience de l’intérêt général, la nature et les êtres humains. Bien sûr, nous pouvons être fiers, nous les insoumis, d’avoir mis à l’ordre du jour de l’Assemblée la proposition de loi sur le RIC. Mais je crois aussi que la contribution la plus efficace au mouvement qui aura été faite en ce moment est la diffusion du film de François Ruffin et Gilles Peret. On peut dire qu’on ressort de la salle avec l’envie de participer au combat plus forte et plus ancrée en soi. Je recommande à tous d’aller voir ce film. Non seulement pour son message politique mais aussi pour la part de beauté humaine qu’il contient. Perret et Ruffin ont produit un vrai chef d’œuvre d’art populaire qui se présente comme protagoniste du moment et pas seulement comme un témoignage ou un documentaire. Dans la salle on rit, on pleure, on hue Macron. C’est un visionnage participatif d’un genre nouveau. Ne manquez pas ce moment : c’est de l’histoire de l’art autant qu’un évènement politique.
Je ne clos pas ce court billet introductif sans un mot pour l’Algérie en mouvement. Les hommes et les femmes qui se mobilisent engagent un processus d’insurrection citoyenne dont je reconnais les traits pour la part d’universalité qu’ils montrent. Leur revendication de dignité s’applique aussi bien aux personnes qui se mobilisent pour avoir le droit à une représentation digne et consentie de la Nation qu’à la personne dont elles mettent en cause la candidature. Un homme malade et muet ne mérite-t-il pas au moins la compassion des siens pour lui éviter une comédie aussi offensante pour l’histoire qui a été la sienne autrefois ? Quant au peuple algérien, il nous coupe le souffle d’admiration. Sa détermination, son calme, sa bienveillance et sa victoire maîtrisée sur la peur devraient nous servir de leçon.
Que ne sommes-nous aussi courageux de ce côté-ci de la mer commune ! Nous autres Français, sommes unis aux Algériens par l’histoire tragique dont on se souvient. Mais dans le présent nous le sommes d’une tout autre manière, ô combien plus forte et intime, par les millions de binationaux qui composent nos deux peuples. Il y a dans les générations de cette époque sur les deux rives un intérêt commun dans le futur qui s’avance. Un écosystème commun en péril, bien sûr, avec la Méditerranée. On le sait. Mais surtout une mixité culturelle au sens le plus large, si avancée et telle que rien n’arrive à l’un sans que l’autre puisse en être indemne. On devine que pour des gens comme moi, mais combien d’autres aussi, chaque heure qui passe, chaque image qui nous parvient, chaque témoignage qui nous arrive est reçu ardemment, le cœur gonflé d’espoir.
Yannick Jadot retourne officiellement à ses convictions libérales bien connues des adhérents d’EELV et surtout de ceux qui ont quitté cette formation à cause de cela, comme notre candidat aux européennes, l’ex député EELV Sergio Coronado. L’épisode de soutien à Hamon et les simagrées de compétition à gauche avec les Insoumis, c’était de la comédie. Les grandes protestations des dirigeants d’EELV en faveur de l’unité de la gauche, c’était du pipeau. En effet, dans un entretien donné au « Point » le 1er mars, Jadot annonce que les élus de sa liste EELV pourraient rejoindre la grande coalition qui commande en Europe depuis toujours. En effet, systématiquement, après les élections européennes, les socialistes et la droite européenne, s’entendent pour choisir le président de la Commission et se répartissent les postes au Parlement. C’est ce qui a conduit les socialistes à voter la dernière fois pour Jean-Claude Juncker, l’homme qu’ils avaient pourtant vilipendé pendant toute la campagne. De cette façon, l’Europe libérale est verrouillée d’une élection à l’autre.
Jusqu’ici, les Verts n’étaient pas invités dans cette combine. Mais la tête de liste d’Europe Ecologie/ les Verts veut désormais être de la partie. Au journaliste qui lui demande « dans le futur Parlement européen, les Verts feront-ils partie de la majorité quadripartite avec le PPE, les libéraux et les sociaux-démocrates ? », il répond sans détours. « Si on nous propose un programme qui améliore substantiellement le fonctionnement de l’Union et les politiques européennes, alors, EELV y apporteront leur soutien ». On peine à y croire : trois mois avant les élections, il annonce que les élus EELV feront une alliance avec le parti de Merkel et Orban, le parti de Macron et la social-démocratie en déroute. C’est d’autant plus étonnant que, dans la même interview, il critique, à raison, les accords de libre-échange signés tous azimuts par l’Union européenne. Mais la coalition qu’il se propose de rejoindre est précisément celle qui promeut depuis des années le grand déménagement du monde, vote ces accords et, quand c’est possible, s’arrange pour que les parlements nationaux n’aient pas leur mot à dire.
Yannick Jadot va plus loin encore vers les libéraux. Probablement pour montrer patte blanche auprès de ses futurs alliés, il propose un président de la Commission européenne bien éloigné de l’écologie. Il s’agit de Michel Barnier : « Tout le monde pense à Michel Barnier. Il a démontré sa compétence. Il est droit. ». Aujourd’hui négociateur en chef des négociations sur le Brexit, c’est un vieux routier de la droite française. Il a été plusieurs fois membre de gouvernements et même ministre de l’agriculture pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il était alors plus proche de la puissante organisation productiviste FNSEA que de la transition vers l’agriculture biologique dont on pensait qu’elle était pourtant centrale dans le programme politique des Verts. Et il a été le rédacteur de l’Union bancaire européenne ainsi que des directives six packs et two packs qui codifient l’application de la règle d’or et autres carcans austéritaires. Bon appétit les électeurs d’EELV !
À la lumière de ce spectaculaire revirement, on regarde d’un autre œil un évènement survenu le 16 janvier dernier au Parlement européen. Ce jour-là, le député insoumis Younous Omarjee avait déposé un amendement à un rapport co-écrit entre les Verts et la droite sur les pesticides pour interdire le glyphosate. Cet amendement était la clef du vote car, pour le reste, le rapport en question ne contenait que des considérations générales sans traduction législative. Pourtant, le groupe européen Verts avait choisi de voter contre l’interdiction du glyphosate pour préserver l’accord qu’ils avaient avec la droite pour voter en commun leur rapport creux et verbeux. Certes, cette fois, les EELV français avaient voté avec nous. Mais Yannick Jadot est prévenu. Voilà à quel genre de compromis pourris l’amènera l’alliance qu’il veut.
Cette position étrange de la part des EELV traduit en fait une profonde erreur d’analyse. Yannick Jadot semble vouloir concilier écologie et libéralisme. Il se dit favorable « à la libre entreprise et à l’économie de marché ». Dans son interview pour l’hebdo « Le Point », il déclare « bien entendu, les écologistes sont pour le commerce, la libre-entreprise et l’innovation ». Il va à l’encontre de la prise de conscience générale du lien entre le modèle économique actuel et la destruction de notre écosystème. Il le fait avec l’objectif électoraliste de récupérer une partie des électeurs de Macron de la présidentielle. Cela sonne comme un signe de ralliement au dogme de la « concurrence libre et non faussée » qui domine la construction juridique de l’Union européenne.
Il n’y a pas de politique écologique ambitieuse possible dans le cadre des traités européens. Pour changer nos modes de production, de consommation et d’échanges, il faut que la puissance publique réalise d’importants investissements que le secteur privé ne fait pas. Or, elle ne le peut pas, précisément à cause des règles budgétaires imposées par les traités européens qui nous condamnent à l’austérité à perpétuité. Ainsi, chaque année nous prenons un retard de 30 milliards d’euros sur les sommes que nous devrions dépenser pour respecter nos engagements pris dans le cadre des accords de Paris. Depuis 2016, le retard accumulé représente 90 milliards d’euros. Pour réaliser la transition écologique, il faut désobéir à la règle des 3%. Nicolas Hulot, qui l’avait compris, citait la contrainte de ces traités au nombre des raisons qui l’ont conduit à démissionner du gouvernement. Rejoindre la grande coalition, c’est rejoindre le cercle des défenseurs des traités. C’est s’allier avec ceux qui pensent, comme monsieur Juncker qu’il « n’y a pas de choix démocratique possible en dehors des traités ». Au final, c’est un choix qui conduirait EELV à abandonner la logique de rupture avec le modèle économique dominant qui conduit à la catastrophe climatique et à l’extinction accélérée de la biodiversité.
Le mercredi 27 février, Emmanuel Macron recevait Angela Merkel à l’Élysée. Les deux dirigeants doivent notamment discuter de la mise en œuvre du Traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 22 janvier dernier. Ceci alors même que les députés et sénateurs français n’ont toujours pas eu l’occasion de débattre dudit traité. J’ai déjà écrit sur ce blog les raisons de mon opposition à ce texte. Il nous lie au dogme ordolibéral du gouvernement allemand et nous empêche ainsi d’ouvrir le combat dans l’Union européenne pour mettre à bas les politiques d’austérité. Il attaque le caractère égalitaire de la loi républicaine en permettant que celle-ci soit différente dans les régions frontalières avec l’Allemagne. Sur les sujets internationaux et militaires, il fait la promotion de l’Europe de la défense, un concept absurde destiné à masquer une soumission encore plus grande à l’OTAN.
Le traité d’Aix-la-Chapelle ajoute un chapitre très discutable à la coopération entre nos deux pays pour les industries d’armement. C’est une voie bien naïve pour notre pays. Car ces dernières années, l’Allemagne nous a fait faux-bond plus d’une fois dans ce domaine, en dépit de tous les discours à l’eau de rose sur le « couple franco-allemand ». En juillet 2017, la France et l’Allemagne signaient un accord pour développer la prochaine génération de missiles air-sol. Pourtant, quelques mois plus tard, le gouvernement allemand choisissait d’adopter le missile israélien malgré l’existence d’un équivalent européen. En novembre 2017, l’Allemagne a encore trahi sa parole en matière d’équipement spatial en passant commande à un constructeur allemand pour des satellites d’observation optique. Les accords de Schwerin signés avec la France en 2002 auraient dû la conduire à passer par une production française.
Mais le traité d’Aix-la-Chapelle va manifestement plus loin que ce que l’on croyait. Le journal allemand Der Spiegel a écrit dans un article publié le 15 février qu’il comportait une clause secrète sur les exportations d’armes produites en commun. Le porte-parole du gouvernement allemand a commenté en affirmant qu’il s’agissait d’un « accord politique préalable ». En théorie, le sujet est déjà traité par l’accord Debré-Schmidt de 1972. Celui-ci dispose qu’aucun des deux gouvernements ne peut empêcher l’exportation par l’autre de matériel produit en commun. Sauf que l’Allemagne viole cet accord de plus en plus fréquemment. En 2012 puis en 2014, l’Allemagne a bloqué l’exécution de contrats sur des missiles anti-char, interdit à ses constructeurs automobiles de livrer des pièces indispensables pour des projets militaires franco-allemands afin d’empêcher des exportations françaises. Inutile de dire que ce n’est pas par amour de la paix car, sinon, pourquoi ces armes seraient-elles produites par les deux pays d’un commun accord ? D’où la volonté allemande de réviser les accords de 1972. Le Spiegel fait état de l’instauration d’un droit de regard mutuel sur l’exportation d’armes construites en commun.
Dans un article publié le 18 février, le journal français L’Opinion va plus loin. Il affirme qu’un seuil de 20% serait en discussion. Pour un matériel contenant au moins 20% de composants allemands, la France devrait obtenir l’autorisation du gouvernement allemand pour exporter. Ce seuil concernerait par exemple le char d’assaut et l’avion de combat que les gouvernants français avaient décidé de développer avec l’Allemagne. Si cette information est exacte, c’est une limitation sérieuse de notre souveraineté dont on ne comprend pas la légitimité ni même la motivation. Nous ne pouvons pas accepter qu’une partie aussi importante de politique internationale soit décidée à Berlin. On imagine quel jeu malsain pourraient jouer les États-Unis pour faire pression sur le gouvernement allemand afin qu’il empêche la France d’exporter des armes à tel ou tel pays.
Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a rien à redire à la politique d’exportation d’armes pratiquée actuellement par le gouvernement français. La présence d’armes françaises dans les massacres perpétués par l’Arabie Saoudite au Yémen est une honte pour notre pays. Mais le contrôle des exportations d’armes doit se faire souverainement. Le député insoumis Bastien Lachaud a, par exemple, proposé au nom de notre groupe à l’Assemblée nationale des amendements pour interdire les exportations vers des pays impliqués dans des interventions militaires extérieures sans mandat de l’ONU. Ou bien d’accroître le rôle des parlementaires dans la régulation des exportations de matériels militaires. Mais là, il s’agit de l’indépendance stratégique de la France.
Indépendance et souveraineté sont des principes dont nous pensons qu’ils devraient guider notre politique étrangère. Macron et Merkel doivent lever le secret. Existe-t-il réellement une clause secrète sur les exportations d’armes dans le traité d’Aix-la-Chapelle ? Si oui, quel est son contenu ? Ce sont des décisions qui nous concernent tous et le destin du pays. Elles ne peuvent pas être simplement le fait du prince. Nous avons le droit d’en débattre publiquement. Et nous avons le devoir de voter contre ce traité dérisoire sur tant de points et désastreux sur tant d’autres.
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