CGT : Philippe Martinez est contré sur sa gauche mais il n’est pas menacé
Si le secrétaire général de la CGT est confronté à une offensive de la part de son extrême gauche, ses opposants font figure de « tigres de papier », estime le journaliste du « Monde » Michel Noblecourt.
Analyse. En 1956, Mao avait qualifié « l’impérialisme américain » de « tigre de papier ». Le président chinois voulait signifier que les Etats-Unis représentaient une puissance à la fois menaçante et inoffensive. A un peu plus de deux mois du 52e congrès confédéral de la CGT, du 13 au 17 mai à Dijon, Philippe Martinez pourrait utiliser la même métaphore.
Seul candidat déclaré à sa succession, le secrétaire général de la centrale de Montreuil, élu le 3 février 2015 et réélu au congrès de Marseille en 2016, grâce à l’appui des franges les plus radicales de la CGT, est confronté, depuis quelques mois, à une offensive de son extrême gauche. Mais s’il est contesté, il n’est en rien menacé. Ses opposants font figure de « tigres de papier » et l’ancien technicien de Renault peut afficher sa sérénité. Son leadership n’est pas en péril.
Amplification de la crise
Durant son second mandat, M. Martinez a imprimé une ligne radicale qui n’a pas permis au syndicat de sortir de la crise née de la succession ratée de Bernard Thibault en 2013. Une crise qui s’était amplifiée lorsque en janvier 2015, Thierry Lepaon, successeur par défaut de l’ancien patron des cheminots cégétistes, avait dû démissionner à la suite d’affaires concernant son train de vie.
En 2018, « annus horribilis », la CGT a été détrônée de sa première place sur l’échiquier syndical par la CFDT. Et la chute de ses effectifs s’est poursuivie. Selon Les Echos du 4 février, avec 650 000 adhérents en 2017, elle a perdu environ 14 000 adhérents par rapport à 2016. Un résultat qui montre l’échec de la stratégie impulsée par M. Martinez qui a consisté à multiplier les journées nationales d’action, parfois en solitaire, sans réussir, la plupart du temps, à mobiliser au-delà du cercle militant.
Une ligne contestataire qui n’empêche pas M. Martinez d’être remis en cause par des plus radicaux que lui. En septembre 2018, il a suffi que le secrétaire général de la CGT adresse au patronat un courrier commun avec les numéros un de la CFDT, de FO, de la CFE-CGC et de la CFTC, demandant l’ouverture de négociations pour déclencher les foudres de son extrême gauche. Avec ce courrier, écrivait Olivier Mateu, secrétaire général « rouge vif » de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône, « un cap est franchi, tant le fond que la forme amènent à l’effacement voire à la négation de l’antagonisme existant entre exploiteurs et exploités ». Il dénonçait cette « union contre-nature » qui « tend à dédouaner le patronat de ses responsabilités en donnant à penser que nous aurions, eux et nous, des intérêts communs à défendre contre un gouvernement qui n’a de cesse d’agir dans les intérêts du patronat et de la finance ».
La Fédération de la chimie, restée membre de la Fédération syndicale mondiale (FSM), l’internationale syndicale communiste que la CGT a quittée en 1995, embrayait en dénonçant « la stratégie du syndicalisme unitaire » qui « conduit, depuis vingt ans, au mieux, à ralentir les reculs par des aménagements à la marge, de la planification patronale de régression, au pire, à l’échec ».
« Une organisation révolutionnaire ! »
Une nouvelle étape a été franchie, en décembre 2018, avec une démarche inédite : des opposants d’extrême gauche, s’appuyant sur le mouvement des « gilets jaunes » qui « vient de réhabiliter le rapport de force comme unique voie de transformation sociale », ont déposé, en vue du congrès de Dijon, un contre-texte d’orientation.
Elaboré par « plusieurs dizaines de syndicats » – avec en tête Goodyear mais aussi Jeumont Electric, Vallourec, Info’Com-CGT et plusieurs centres hospitaliers universitaires –, le document se présente comme « un engagement massif en faveur de la lutte des classes » et une « alternative » à la direction. « La CGT,proclame-t-il, est une organisation révolutionnaire » qui « s’engage à combattre le capitalisme en vue d’abolir le patronat comme le salariat ». Ces syndicats estiment que la centrale est divisée entre les défenseurs de la Charte d’Amiens (1906), dont ils se réclament sur une base révolutionnaire, et ceux qui pratiquent un « dialogue dit “social” » qui « ne requiert pas nécessairement un rapport de force ». Ils préconisent la grève jusqu’au « blocage de l’économie » et « le contrôle total des moyens de production ».
« Je suis toujours le “dur” de quelqu’un et le “mou” d’un autre à la CGT. Mais les orientations votées ne sont pas contestées », déclarait Philippe Martinez dans « Politis » le 30 janvier
Tous ces opposants s’en prennent au « syndicalisme rassemblé », avec lequel M. Martinez a pris ses distances, et à la CFDT que le secrétaire général a plutôt ménagée sans parvenir à la moindre unité d’action avec elle. A l’approche du congrès, il a durci ses attaques contre Laurent Berger, allant jusqu’à contester la candidature du secrétaire général de la CFDT à la présidence de la Confédération européenne des syndicats (CES), cible privilégiée de ses opposants.
Pour autant, M. Martinez reste zen. « Nous ne sommes pas débordés sur notre gauche », a-t-il confié dans une interview à Politisle 30 janvier. « Il y a toujours des débats lors de nos congrès, a-t-il ajouté. Je n’ai pas peur de la démocratie, il faut que tout le monde puisse s’exprimer ». Une opposition plus radicale ? « Je suis toujours le “dur” de quelqu’un et le “mou” d’un autre à la CGT, balaye-t-il. Mais les orientations votées ne sont pas contestées. »
Pour son troisième – et probablement ultime – mandat, M. Martinez mise sur la stabilité de ses instances. Dans la future commission exécutive – où on compte 93 postulants pour 57 postes –, neuf des dix membres du bureau confédéral sortant sont candidats. Seule Marie Saavedra ne se représente pas. Et Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération des services publics, la première de la CGT, va faire son entrée. Alors que les réformistes de la CGT sont aux abonnés absents, M. Martinez s’efforcera de camper au centre. Mais pour conforter son autorité, il lui faudra aussi donner des gages à ses « tigres de papier ».
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