Prometteuse salve que celle tirée par l'Ecole de guerre cet automne. La pépinière des officiers supérieurs français publie les douze premiers livres d'une collection complète consacrée à la réflexion militaire et stratégique. Simplement nommées, les Editions de l'Ecole de guerre sont officiellement lancées le 18 octobre. Elles s'appuient sur un partenariat avec deux maisons, Cent mille milliards pour le travail de préparation et Hachette pour l'impression et la distribution – les exemplaires sont fabriqués dès que les lecteurs, ou des libraires, passeront commande sur Internet.
Les combats des futurs généraux français
" ne se mènent plus entre les palissades d'un terrain clos " et ils
" ne concernent pas seulement les militaires dévoués à leur pays ". Parole d'amiral, Loïc Finaz, le directeur de l'Ecole estime que
" l'étude et la réflexion ne peuvent être le seul fait d'officiers développant leur pensée dans ce quadrilatère hors du temps que serait l'Ecole militaire si elle ne s'ouvrait au monde ". Il assure que cette initiative éditoriale ne visera pas la diffusion de la
" doxa officielle, qui a pour s'exprimer d'autres organes ".
Les ouvrages, d'une forme sobre et plutôt élégante, composent quatre collections en une : " Champs de bataille ", sur l'histoire et la stratégie ; " Ligne de front ", sur la pensée militaire ; " Feux croisés ", sur les domaines connexes tels que l'autorité ou l'action ; et, en langue anglaise, " Honni soit qui mal y pense ", pour les textes porteurs d'une pensée française. Dans cette catégorie, la première production consacrée à la guerre de l'information a déjà été présentée par les stagiaires officiers au cours de l'été à Washington. Ouvrage collectif,
Going Beyond Information présente notamment une analyse des communications respectives des présidents Trump et Macron. Dans les deux cas, elles ont conduit à un certain silence dans les rangs, constatent les auteurs –
" aux Etats-Unis pour éviter une opposition incohérente, en France pour respecter le chef des armées ".
Balayer les poncifsUn bon exemple d'originalité est apporté par le livre du lieutenant-colonel Jean-Gaël Le Flem et du chef de bataillon Bertrand Oliva,
Un sentiment d'inachevé. Leur réflexion sur l'efficacité des opérations militaires est d'autant plus intéressante qu'elle balaie tous les poncifs actuels,
" l'approche globale " rêvée, la vertueuse
" coalition ", ou l'incontournable
" ciblage antiterroriste ". Les deux jeunes officiers ont combattu en Afghanistan et en Afrique. Leur réflexion se lit à cette aune. Aujourd'hui, notent-ils, un sentiment d'inefficacité gagne tous les acteurs des guerres françaises, qu'ils soient politiques, militaires, citoyens, ou les populations des pays concernés. Les auteurs soulignent
" l'héroïsation des présidents en chefs de guerre ",
" la tentation du politique de s'immiscer au niveau tactique pour être certain que le rythme des opérations reste subordonné à l'agenda de politique intérieure ", la
" frustration " des soldats dans les phases promises mais inaccessibles de
" stabilisation ".
Au sujet des campagnes de frappes chirurgicales menées depuis quinze ans contre les groupes armés djihadistes, ils assurent :
" Il semble que notre frénésie à couper des têtes n'a que deux véritables conséquences, faire fonctionner l'ascenseur social djihadiste et donner aux groupes terroristes l'opportunité de se fédérer contre un ennemi commun. " La moitié du livre est consacrée à des propositions stimulantes. Il fallait oser suggérer une totale révision de l'opération " Barkhane " au Sahel, pour laquelle la France ne garderait que des troupes prépositionnées hors de la zone, réinjecterait des officiers dans les armées locales, ou enverrait ses militaires dans les pays d'Europe de l'Est pour se familiariser aux équipements soviétiques de leurs partenaires africains.
" Il faut écrire, avait lancé en début d'année à ses troupes le nouveau chef d'état-major des armées, François Lecointre.
Il n'y a pas d'autre chemin que l'écriture pour structurer ses réflexions, forger ses propres convictions, et mettre de la cohérence dans sa pensée à fin d'action. " Le général citait Basil Henry Liddell Hart (1895-1970), un officier-historien britannique qui fut un auteur aussi prolifique que controversé :
" Une armée et une société succombent plus rapidement à une paralysie du cerveau qu'à toute autre crise. " Cette injonction à un réarmement intellectuel apparaît comme une réponse à ceux qui sont tentés de cantonner les militaires français dans un rôle de techniciens de la guerre. Elle s'adresse autant à des élites civiles éloignées des sujets militaires.
" L'écriture éveille la conscience et le métier des armées ne peut être exercé sans conscience ; pas plus d'ailleurs que le recours aux armées ", assure le général.
En 1975, en pleine guerre froide et dans le climat pesant des purges qui avaient suivi le putsch des généraux d'Alger, le colonel Guy Brossollet avait suscité un grand espoir dans les rangs par son audace. Dans son
Essai sur la non-bataille (Belin), publié après son passage à l'Ecole de guerre, en désaccord avec sa hiérarchie, il considérait que le dispositif militaire français était trop rigide et devait être réorganisé face à la menace soviétique. Il s'opposait aussi à l'usage des armes nucléaires tactiques, ce qui lui a valu le reproche excessif de mettre en cause la dissuasion française. Mort en 2015, cet ancien d'Algérie, sinologue, traducteur des poèmes de Mao, avait vu sa carrière barrée. Les officiers qui disent franchement ce qu'ils pensent prennent toujours des risques. Et ceux qui pensent de façon trop iconoclaste atteignent rarement les échelons les plus hauts.
Nathalie Guibert
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