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samedi 3 novembre 2018

Les salariés à l'assaut des conseils d'administration...le 17.10.2018


17 octobre 2018

Les salariés à l'assaut des conseils d'administration

Le nombre de représentants du personnel dans les conseils a presque triplé depuis 2013, et la loi Pacte va encore renforcer leur poids

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C'est une révolution douce, presque invisible. Le mouvement n'en est pas moins marquant : dans un capitalisme français où tout a longtemps paru se jouer entre amis, les salariés commencent à se frayer un chemin jusqu'au saint des saints : les conseils d'administration des grands groupes. Et à y faire entendre une autre voix. C'est ce que montrent les chiffres publiés mardi 16 octobre par l'Institut français des administrateurs (IFA).
Pas moins de 111 administrateurs représentant les salariés en tant que tels siègent désormais dans les conseils des 120 premiers groupes cotés en Bourse (SBF 120), selon les pointages de l'IFA. Leur nombre a bondi de 29  % en un an, et quasiment triplé depuis 2013.
Les salariés occupent ainsi 7,5  % des sièges aux conseils des grandes entreprises cotées, et même un peu plus de 9  % en incluant les salariés désignés en tant qu'actionnaires. Leur présence se révèle donc de moins en moins marginale. Un effet direct des lois Sapin de 2013 et Rebsamen de 2015, qui ont imposé la présence d'administrateurs salariés dans les grands groupes privés.
" C'est important que la parole du personnel soit portée jusqu'au conseil, juge Stéphane Sauvage, un élu FO récemment nommé chez Getlink, l'ex-Eurotunnel. Cela aide à ce que les autres administrateurs gardent à l'esprit que, derrière les chiffres, l'entreprise est composée de femmes et d'hommes. " Eric Personne, qui siège chez Renault, confirme : " Avant, les administrateurs discutaient de salaire, de licenciement, dans une forme d'entre-soi. Notre seule présence modifie un peu la donne. " Un troisième administrateur prend l'exemple d'un conseil récent. Les salariés ont voté contre un projet de la direction. " Bien sûr, nos voix n'ont pas suffi à tout bloquer. Mais nous avons des convictions, nous les défendons et, parfois, cela amène le conseil à réfléchir davantage avant une décision. "
Ce n'est peut-être qu'un début. Le projet de loi Pacte, qui doit être bientôt examiné au Sénat après avoir été adopté à l'Assemblée nationale, prévoit de renforcer à nouveau le poids des administrateurs salariés. Selon la mouture actuelle du texte, les conseils réunissant plus de huit membres devront compter deux représentants du personnel, au lieu d'un. Les administrateurs salariés bénéficieront en outre de deux fois plus d'heures de formation qu'actuellement.
" Après la loi Rebsamen, le projet Pacte marque une avancée majeure ", se réjouit Agnès Touraine, la présidente de l'IFA. " C'est un rendez-vous manqué ", regrette, au contraire, l'association Oxfam. Lors des débats, le gouvernement s'est en effet opposé à ce que les conseils de plus de douze membres soient obligés de compter au moins trois salariés, ce qui était pourtant une recommandation du rapport que lui avaient remis en mars Nicole Notat et Jean-Dominique Senard. Résultat : " La mesure adoptée reste symbolique ", selon Oxfam.
" Quantitativement, la loi Pacte ne va pas bouleverser les équilibres, confirme Bénédicte Hautefort, l'éditrice de L'Hebdo des AGDans le SBF 120, seuls douze nouveaux administrateurs salariés devraient être nommés. En moyenne, leur poids dans les conseils d'administration devrait passer de 7  % à 8  %. C'est loin de l'objectif de 30  % qui avait été évoqué en  1983 et repris par le rapport Gallois en  2012. " Et encore plus éloigné du taux observé outre-Rhin : dans les 110 principaux groupes allemands, 38  % des sièges sont réservés aux salariés.
Réticences toujours présentesEn outre, nombre d'entreprises françaises risquent de rester à l'écart de la vague. Aujourd'hui, " les salariés demeurent absents des organes de gouvernance dans la moitié des 120 premières entreprises cotées ", selon L'Hebdo des AG. LVMH et Airbus, par exemple, n'ont toujours pas ouvert les portes de leurs conseils aux salariés, en s'appuyant sur des dérogations légales.
" Symboliquement, pourtant, la loi Pacte est essentielle, parce qu'elle place le sujet au-dessus des querelles politiques ", ajoute Mme Hautefort. Longtemps portée par la gauche, la CFDT et quelques PDG séduits par l'efficacité de la cogestion allemande, la cause des administrateurs salariés est dorénavant soutenue aussi par une bonne partie de la droite et du patronat classique, du moins tant que les nouveaux venus ne prennent pas trop de place au conseil…
Un changement notable par rapport aux multiples critiques dont les administrateurs salariés ont longtemps été la cible. De nombreux patrons y voyaient l'amorce d'une prise de pouvoir par les syndicats. Symétriquement, certains syndicalistes se refusaient à toute compromission, toute " collaboration de classe ". Quant aux investisseurs, ils regardaient avec scepticisme l'arrivée d'administrateurs désignés par le personnel ou les syndicats, sans forcément passer par l'assemblée générale.
Ces réticences n'ont pas disparu. Cependant, à l'expérience, " ça se passe plutôt bien ", constate Mme Touraine, qui siège elle-même dans plusieurs conseils. Il arrive certes que les administrateurs salariés soient tiraillés, notamment lorsqu'ils doivent valider une décision jugée bonne pour l'entreprise, mais difficile pour certains de leurs collègues. Ou bien lorsque la confidentialité leur interdit de prévenir le personnel d'un " mauvais coup " à venir. " Mais déjà, on peut parler, faire remonter au conseil des informations que nous seuls pouvons avoir, parce que nous connaissons l'entreprise de l'intérieur, note Christian Lafaye, délégué FO chez PSA, entré au conseil en juillet. Pour les autres administrateurs, cela a beaucoup de valeur. "
Denis Cosnard
© Le Monde

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