Alors que chaque année nous battons des records de température, les transports représentent toujours un tiers des émissions de CO2. La voiture assure 80 % des kilomètres parcourus et l'Ile-de-France garde le record d'Europe de bouchons avec 400 km recensés quotidiennement. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les réflexions sur la gratuité des transports publics, au sein de la région capitale comme ailleurs. Rendre les transports en commun plus attrayants et diminuer le trafic routier, telle serait la finalité d'une telle mesure. Mais la gratuité des transports en commun n'est-elle pas un leurre ?
Aujourd'hui, le coût d'usage de la voiture est deux fois plus élevé pour l'usager que celui des transports en commun. Il est nécessaire de s'interroger sur l'impact réel d'une telle politique sur le trafic routier. On peut noter que cette mesure est l'apanage de petites villes et, à de rares exceptions près, de villes moyennes. Or, sur ces territoires, ce sont les entreprises qui l'ont financée : les Mutuelles à Niort, ArcelorMittal à Dunkerque. Les grandes villes qui ont expérimenté la gratuité (Portland, Austin, Denver) sont, elles, toutes revenues en arrière pour des raisons de financement des réseaux – indispensables en raison de la croissance urbaine –, de baisse de la qualité de service et d'augmentation d'usages non pertinents des transports publics sur de courtes distances jusqu'alors réalisées à pied ou à vélo.
Les Français seraient-ils vraiment accros à la voiture ? La réalité est tout autre. Mais les alternatives à l'usage de la voiture sont d'autant plus faibles que l'on s'éloigne du centre des agglomérations, qui concentrent les emplois et les services de mobilité. Les prix des logements dans les centres urbains ont aussi fortement augmenté depuis vingt ans, ce qui a contraint de nombreuses catégories sociales à s'éloigner des cœurs de ville avec un allongement très important des distances du domicile au travail. C'est ce phénomène qui provoque une augmentation de la circulation qui sature les réseaux routiers.
Cela explique que la part modale de la voiture est de 20 % dans Paris intra-muros pour les actifs, contre 50 % et 80 % en première et seconde couronnes. Tant que l'on ne développera pas une offre de mobilité efficace, alternative à l'usage de la voiture, il y a très peu de chances que le coût des transports en commun vienne modifier les comportements de manière forte. La question du financement de ces alternatives est clairement posée, suivant deux solutions : faire payer l'usager ou faire payer le contribuable. Le pendant de la gratuité, c'est en effet l'augmentation des impôts : 3,5 milliards d'euros par an en Ile-de-France.
" Pourquoi ne pas recourir aux entreprises ? ", suggèrent certains. Mais est-il raisonnable d'augmenter encore les taxes sur le travail alors que le versement transport pèse déjà près de sept points de marge pour les entreprises franciliennes ou lyonnaises ? Il s'agirait d'une mesure nuisible pour l'attractivité économique de ces régions. Mais la tentation est forte puisque, en France, les entreprises sont les vaches à lait de nos errements collectifs, comme le montre le rapport sur le financement du Grand Paris Express rendu par Gilles Carrez, vice-président de la nouvelle Métropole du Grand Paris.
Le problème est ailleurs : le coût d'usage de la voiture a été divisé par 4 en cinquante ans et le sera encore par 2 d'ici à 2020 avec la généralisation des hybrides rechargeables (voiture à 2 l/100 km). Il sera alors très proche de celui des transports en commun avec abonnement. Par conséquent, si rien n'est entrepris, l'usage de la voiture augmentera forcément.
Pour financer les alternatives et non punir les automobilistes, il est souhaitable de se tourner vers une tarification modérée (1 euro par jour par exemple) et large de l'usage de la voiture – le contraire du système élitiste du péage londonien, qui est de 13 euros sur une petite surface en hypercentre – et d'en exonérer les plus faibles revenus. Cette mesure est autrement plus juste et efficace que les interdictions des véhicules polluants, propriété des moins fortunés.
Un système multimodalCe dispositif innovant serait un donnant-donnant avec les usagers : une tarification minime de la voiture en échange de plus de services de mobilité et de temps de parcours améliorés grâce à un dispositif complet de mobilité : transports en commun renforcés, parcs relais, voies réservées, pistes cyclables, pass mobilité, vélos en libre-service, auto-partage et covoiturage… Ce système multimodal permettrait d'accéder de manière fiable, efficace et écologique aux zones d'emploi et de commerce des agglomérations – ce que pratiquent les villes norvégiennes et suédoises depuis vingt-cinq ans –, de diminuer considérablement le trafic automobile (de l'ordre de 20 à 30 % dans les villes qui l'ont mis en place), et, enfin, de générer des fonds destinés au financement des infrastructures et des services de mobilité.
Il a fallu dix ans pour que le principe de pollueur-payeur soit entériné par les accords de Kyoto, avec la taxe carbone. Plus personne ne le remet aujourd'hui en cause. Pourquoi en serait-il différemment avec le péage urbain, pour peu que nous fassions œuvre de pédagogie auprès de nos concitoyens ? Face à l'urgence climatique, avons-nous d'ailleurs vraiment le choix ?
Jean Coldefy
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