Les " bruxellois ", habitués des négociations difficiles, n'auront probablement pas été outre mesure surpris par l'épisode chaotique de ce week-end. A la veille d'un sommet européen " spécial Brexit " crucial, qui s'ouvre le mercredi 17 octobre, les Vingt-Sept et le gouvernement britannique de Theresa May sont passés tout près d'un accord, ces derniers jours. Raté momentané ou vraie crise ?
Samedi 13 octobre au soir, à en croire des sources proches des discussions, un compromis sur les modalités du divorce entre l'Union européenne et Londres était quasiment trouvé. L'équipe du négociateur pour l'UE à 27, -Michel Barnier, opérait un dernier échange de textes avec les Britanniques. Le lendemain, jusqu'en début d'après-midi, l'atmosphère était encore clairement à l'optimisme.
Les Britanniques annonçaient la venue de Dominic Raab, leur négociateur en chef, pour une réunion inopinée avec M. Barnier. Vers 17 h 30, le site d'information européenne
Politico.eus'empressait d'annoncer un accord… démenti sèchement quelques minutes plus tard, sur Twitter, par de multiples sources diplomatiques et journalistiques.
La réunion des conseillers des dirigeants européens et la conférence de presse de M. Barnier prévues en cas d'accord, dès lundi 15 octobre, ont été annulées.
" Il n'y aura pas d'autres négociations avant le sommet européen, mercredi 17 octobre ", ont même prévenu deux sources diplomatiques. Celles-ci n'espèrent pas de nouvelle proposition britannique à temps, afin qu'un accord de divorce puisse enfin être partiellement scellé lors du sommet de mercredi.
Michel Barnier a évité toute dramatisation excessive dimanche soir, tweetant sobrement :
" En dépit d'efforts intenses, certaines questions clés restent ouvertes, notamment le “
filet de sécurité” irlandais, afin d'éviter une frontière dure - entre Irlande du Nord et République d'Irlande - .
" Les Britanniques constataient également l'échec des discussions, dimanche soir :
" Ces derniers jours, les négociateurs britanniques et les Européens ont réalisé de réels progrès sur un certain nombre de sujets-clés. Néanmoins, il reste des questions non résolues liées au filet de sécurité - " backstop " irlandais -
", indiquait un porte-parole du gouvernement. Et d'ajouter :
" Les Britanniques sont toujours engagés à faire des progrès pour le sommet d'octobre. "
Pour autant, à en croire le
Financial Times, dimanche soir, Theresa May aurait repoussé l'offre européenne, considérant qu'elle n'était
" pas envisageable " et qu'elle diviserait trop son gouvernement.
Ces derniers jours, la première ministre conservatrice avait fait d'ultimes concessions sur l'explosive question du statut de l'Irlande du Nord. Afin d'aller vers un Brexit le plus " doux " possible, celle-ci resterait intégrée dans le marché unique européen, le Royaume-Uni ne restant que dans l'union douanière, au moins de façon temporaire. Mais ce mouvement n'est du goût ni des partisans d'une rupture plus nette avec l'UE, ni du parti unioniste nord-irlandais, le DUP, dont les dix députés sont indispensables au gouvernement de Mme May pour garder la majorité absolue au Parlement. Ce serait une
" annexion permanente de l'Irlande du Nord, qui sortirait du Royaume-Uni, et nous laisserait pour toujours soumis à des règles écrites sans que nous ayons notre mot à dire ", a déploré sa dirigeante, Arlene Foster, dans une tribune publiée samedi par le
Belfast Telegraph. La formation préfère même prononcer l'échec des négociations.
Préserver les accords de paixC'est cette question qui a donc fait dérailler les discussions ce week-end. En décembre 2017, Michel Barnier avait proposé un
" backstop ", une
" clause de sauvegarde " pour empêcher le retour de la frontière entre l'Irlande du Nord et la république d'Irlande, quelle que soit la relation future entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept.
Le but est de préserver les accords de paix de 1998, qui mirent fin à trente ans de conflit armé -entre unionistes et nationalistes en Irlande du Nord. Selon ce
backstop, l'Irlande du Nord resterait dans le marché intérieur pour les biens. Les contrôles douaniers devenus nécessaires s'effectueraient, non en Irlande, mais entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni.
Londres considère cette solution comme une violation insupportable de son intégrité territoriale. Pour contourner le problème, Mme May avait proposé en juillet que l'ensemble du Royaume-Uni reste dans
" un arrangement douanier temporaire " avec l'Union. Cette option a été définitivement repoussée par les Vingt-Sept, qui insistent sur un
backstopgaranti dans le temps. Michel Barnier tente, depuis quelques semaines, une stratégie de
" dédramatisation " : les contrôles sont nécessaires en mer d'Irlande, mais ils pourraient être minimaux.
Mais côté britannique, on cherche à obtenir des garanties sémantiques que le
backstop ne s'appliquera jamais. Les brexiters durs bloquent par ailleurs sur la solution consistant à prolonger l'appartenance du Royaume-Uni à l'union douanière. Les unionistes nord-irlandais, partenaires de coalition de Mme May, continuent, eux, à refuser tout " filet de sécurité ".
En l'absence de nouvelle proposition britannique, les Vingt-Sept devraient profiter du conseil européen des 17 et 18 octobre à Bruxelles pour mettre en scène, comme à Salzbourg, leur soutien à Michel Barnier, seul et très apprécié négociateur pour l'Union. Ils devraient aussi insister sur leur unité – assez remarquable depuis le début des discussions avec Londres, même si les Britanniques continuent encore à parier sur leur désunion.
Très probablement, ils tireront aussi la sonnette d'alarme sur le risque de " no deal ", et souligneront la nécessité de s'y préparer désormais très activement. Coup de bluff destiné à mettre une pression maximale sur Mme May, en vue d'un atterrissage définitif des négociations lors d'un ultime sommet éventuellement convoqué en novembre ? Peut-être.
Cécile Ducourtieux
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire