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samedi 6 octobre 2018

René Pétillon tourne définitivement la page


2 octobre 2018

René Pétillon tourne définitivement la page

Pilier du " Canard enchaîné ", le créateur du détective Jack Palmer s'est éteint à Paris, à l'âge de 72 ans

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Depuis l'attentat à Charlie Hebdo, le 7  janvier 2015, et la mort brutale de Cabu et de Wolinski, il était l'un des derniers monstres sacrés du dessin de presse. René Pétillon n'évoquait que très rarement en public cette tragédie qui avait décimé les rangs de sa profession, emportant également Charb, Honoré et Tignous. Il avait lui-même participé à la reparution de l'hebdomadaire satirique, quelques semaines plus tard.
Le dessinateur s'est éteint, -dimanche 30  septembre, à Paris, à l'âge de 72  ans, des suites d'une longue maladie. Il laisse derrière lui une œuvre marquée par l'humour corrosif, le non-sens mais aussi la dualité : comme Cabu et Wolinski, il excella, en effet, autant dans le dessin politique que dans la bande dessinée, ces deux disciplines cousines n'ayant pas forcément à voir l'une avec l'autre.
Né le 12  décembre 1945 à Lesneven (Finistère) au sein d'une -famille de boulangers-pâtissiers, René Pétillon fut, comme beaucoup de dessinateurs de sa génération, un pur autodidacte.
Appétit pour l'absurdeIl a 22  ans quand, après un service militaire en Allemagne et diverses expériences professionnelles à Paris (magasinier, livreur, coursier…), paraissent ses premiers crobards, dans la revue Planète, l'organe du mouvement du réalisme fantastique. Il va alors collaborer à d'autres publications, -témoignant d'un éclectisme qui ne le quittera jamais – Plexus, -L'Enragé, Week-End, 20  ans, Penthouse… –, avant de mettre sa carrière de dessinateur de presse -entre parenthèses pour s'essayer à la bande dessinée, au moment où elle s'apprête à  vivre une révolution fracassante avec le lancement de plusieurs magazines de BD pour adultes (L'Echo des savanes, Métal hurlant, Fluide glacial).
Comme avec tant d'autres, René Goscinny va lui laisser sa chance en  1972, en lui ouvrant les pages de Pilote, dont il est le -rédacteur en chef. Pétillon y -publie un récit de six pages intitulé Voir Naples et mourir.
Son personnage fétiche, Jack Palmer, naîtra deux ans plus tard au sein du magazine. Avec son imperméable trop grand pour lui et son sac Tati à la main, Palmer – le plus empoté et le plus incompétent des détectives privés – va combler l'appétit pour l'absurde et le grotesque que Pétillon cultive depuis son enfance et sa découverte des films des Marx Brothers et de la -revue américaine de BD Mad.
Jack Palmer va connaître un destin éditorial un peu agité, puisque ses aventures seront publiées tour à tour, par la suite, dans L'Echo des savanes, B.D., de nouveau Pilote, puis Télérama, encore Pilote, -Charlie, VSD, à nouveau L'Echo des savanes… Sans oublier " son " journal de prédilection, LeCanard -enchaîné, où il entre en  1993 et dans les pages duquel paraît en avant-première une Enquête au paradis (fiscal, s'entend), en  2009. C'est avec Palmer – qui naviguera aussi entre deux maisons d'édition pour ses albums (Albin -Michel et Dargaud) – que Pétillon connaîtra son plus grand succès : L'Enquête corse (2000).
L'art du commentaire politiqueCe concentré ironique de tous les clichés qui accompagnent l'île de Beauté et ses habitants vaudra à son auteur d'être traduit en corse, d'être adapté au cinéma (par Alain Berberian en  2004, avec Christian Clavier et Jean Reno) et de devenir citoyen d'honneur de la ville de Bastia. Près de vingt après sa sortie, l'album continue de figurer en bonne place dans les boutiques de souvenirs de l'île, au côté d'un autre grand classique, Astérix en Corse. Le président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, a salué la mémoire du dessinateur, dimanche, en écrivant : " Riposa in pace ". L'Enquête corse recevra également le prix du meilleur album au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême. A Angoulême, où Pétillon aura été célébré auparavant, en  1989, pour l'ensemble de son œuvre, en se voyant décerner le grand prix, succédant à Philippe Druillet, un autre " enfant " de Pilote.
C'est que Palmer ne sera pas sa seule création dans le domaine du 9e art. En tant que scénariste, il lança, en  1976, avec le dessinateur Yves Got, LeBaron noir, une satire sociétale dénonçant la vanité et la démagogie des mœurs de l'époque, incarnée par un vautour prédateur et tout une ménagerie.
Au début des années 2000, Pétillon publiera également des albums avec Jean-Marc Rochette (Panique à Londres, Scandale à New York, Triomphe à Hollywood) et Florence Cestac (Super Catho), tout en menant, de front, une -carrière dans le dessin de presse, relancée quelques années plus tôt alors qu'il publiait chaque semaine une page dans VSD. -Contacté par le Canard enchaîné, Pétillon acceptera de rejoindre l'équipe de dessinateurs, voyant que Cabu en faisait partie. Il y multipliera les dessins et les strips, se révélant un redoutable commentateur de l'actualité politique.
L'un des plus caustiques également, avec ce dessin tout en rondeur, exécuté au pinceau, lettrage compris, évoquant la BD franco-belge dite à " gros nez ". Le satiriste n'avait pas son pareil pour démasquer les petits jeux et les compromissions de la vie politique, sans jamais verser dans le jeu de mots facile ni la méchanceté gratuite.
Frédéric Potet
© Le Monde

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