Libérez Macron ! Lâchez président ! " Une quarantaine de badauds martiniquais patientent sous les averses tropicales, devant l'ancien théâtre de Saint-Pierre, ville rasée en 1902 par une éruption de la montagne Pelée. A peine sorti du bâtiment, Emmanuel Macron tombe la veste et part en courant rejoindre l'attroupement de l'autre côté de la rue. Le chef de l'Etat ne veut plus faire attendre ceux qui le réclament.
Cela fait des heures que le président ronge son frein, obligé depuis la veille d'adapter son programme à cause de la tempête Kirk, qui a entraîné la fermeture des écoles et -l'interdiction des rassemblements en public.
" Je suis venu pour être au contact et pour -répondre de manière très directe aux questions ", justifie Emmanuel Macron, main sur la tête des enfants hilares. Et d'ajouter, comme si cela n'allait pas de soi :
" Je suis bien avec mes concitoyens. "
Fini le chef d'Etat " jupitérien ", place au président du " quotidien ". Mis sur le reculoir par les mauvais sondages et l'absence de -résultats de sa politique, critiqué pour sa supposée arrogance et sa trop grande distance, Emmanuel Macron a profité de son séjour aux Antilles du 26 au 30 septembre (il a visité la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy) pour tenter de retisser le fil avec les Français. Avec une stratégie : puisque les effets de ses réformes tardent à venir,
" il faut que les gens voient des changements dans leur quotidien, des petits signaux qui leur permettent de se dire qu'avec Macron, leur vie change malgré tout ", résumait un proche conseiller.
" Trop de connivence "A peine arrivé en Guadeloupe, vendredi, le chef de l'Etat s'est ainsi rendu au domicile d'une famille touchée par les coupures d'eau potable, un problème récurrent sur l'île.
" Je veux que dans notre pays, sur tous les territoires, l'accès à l'eau courante de qualité soit une réalité. Aujourd'hui, cela n'est pas le cas et ce n'est pas tolérable ! "
Il n'y aura plus de
" tours d'eau ", c'est-à-dire de coupures de l'alimentation,
" dans les deux ans ", a-t-il promis.
" L'Etat sera au rendez-vous. (…)
Nos concitoyens l'attendent et nous leur devons ! " Tant pis si cette -responsabilité ne relève pas de l'Etat mais des collectivités locales.
" On va mettre la pression sur les élus ", assurait un -conseiller de la délégation.
A Saint-Martin, île ravagée par l'ouragan Irma il y a un an et où il avait promis de revenir pour surveiller l'avancement de la reconstruction, Emmanuel Macron s'en est pris aux élus locaux, accusés de ne pas faire assez et trop lentement.
" Il y a eu trop de connivence, trop d'ententes, parfois même de la corruption, il faut que cela cesse ", s'est-il plaint lors d'une visite de près de quatre heures à Quartier d'Orléans, ville parmi les plus pauvres du territoire, où il s'est dit
" en colère " devant les fenêtres -toujours brisées des HLM et les toitures pas encore remplacées.
" Dans un an, il y aura des toits dans ce quartier ", a promis le président de la République aux habitants, qui l'ont littéralement pris par la main pour lui faire visiter leurs logements, malgré les réticences des officiers de sécurité de l'Elysée et du protocole, qui lui avait balisé un parcours sur des trottoirs repeints à neuf et dégagés des débris qui les jonchaient il y a encore quelques semaines.
" On va mettre plus de contrôles parce que je ne peux pas accepter ce que j'ai vu aujourd'hui ", a cinglé le chef de l'Etat. La -collectivité territoriale de Saint-Martin dispose d'un statut d'autonomie depuis 2007, qui lui octroie des compétences supplémentaires. Emmanuel Macron a quand même promis d'envoyer des brigades d'inspecteurs pour accélérer les choses.
Même engagement pour les sargasses, ces algues brunes dont la prolifération est devenue un fléau dans les Antilles et une menace tant pour la santé des habitants des zones côtières que pour le tourisme.
" Nul ne -découvre le sujet depuis un an. Mais on avait aussi un peu tardé à régler le problème, comme souvent ", s'est ému le chef de l'Etat, rappelant qu'il n'était pas comptable des errements de ses prédécesseurs.
Désireux d'apporter une réponse -concrète, il s'est engagé à ce que ces algues soient évacuées au maximum deux jours après leur arrivée sur les plages, c'est-à-dire avant qu'elles se décomposent et dégagent des gaz nauséabonds (hydrogène sulfuré et ammoniac), responsables de maux de tête et de vomissements.
" L'Etat participera au fonctionnement des barges de collecte en voie d'acquisition par la région Guadeloupe à hauteur de 500 000 euros par an pendant trois ans ", a promis Emmanuel Macron.
" Ce n'est plus Jupiter, c'est le président des réunions de quartier ", commentait un membre de la délégation.
" Simplifier sans abêtir "L'hôte de l'Elysée n'a pas réellement le choix.
" Il faut qu'on retrouve l'esprit des cars -Macron, plaide un proche, en référence à la libéralisation du marché du transport par autocars lancée en août 2015 par Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'éco-nomie.
Cette mesure n'a permis de créer que quelques milliers d'emplois, mais elle a changé le quotidien des Français, tous s'en souviennent. C'est ce libéralisme de gauche, qui libère et protège en même temps, qu'on doit retrouver. "
Signe de cette implication, Emmanuel -Macron n'a laissé aucun des cinq ministres qui l'accompagnaient prendre la parole lors des différentes étapes de son périple antillais, se réservant à chaque fois les annonces et les réponses aux questions posées.
Côté communication, mot d'ordre avait été aussi passé de se montrer plus accessible. Tout au long de son voyage, le président de la République a évité les grands discours qu'il affectionne – l'Elysée a calculé qu'il en avait prononcé 250 la première année du mandat –, pour privilégier les échanges directs, notamment avec les journalistes.
" Il faut qu'on simplifie notre discours, notre expression, notre rapport aux médias, reconnaissait un conseiller.
Le mot émancipation, par exemple, ne parle pas aux gens, il faut l'illustrer, simplifier sans abêtir. "
Mais cette stratégie de proximité comporte aussi des risques. Lors de sa visite à Quartier d'Orléans, Emmanuel Macron a été invité par deux jeunes, dont un ex-braqueur sorti de prison, à visiter l'appartement de leur mère.
Sur un selfie avec le président de la République, posté sur les réseaux sociaux, on voit l'un d'eux, torse nu, faire un doigt d'honneur.
" On ne trouve même plus de mots pour exprimer notre indignation. La France ne -mérite certainement pas cela. C'est impardonnable ", a immédiatement réagi Marine Le Pen sur Twitter.
" Je vais au contact des gens, ce n'est pas préparé ", s'est défendu le chef de l'Etat depuis Saint-Martin, avant d'ajouter :
" Il faut arrêter de penser que notre jeunesse, parce qu'elle est d'une certaine couleur, parce qu'à un moment elle a fait des bêtises, il n'y a rien à en tirer, c'est l'inverse. (…)
Marine Le Pen, c'est l'extrême droite, et l'extrême droite ce n'est pas le -peuple. Je suis président de la République et je ne laisserai à personne le peuple. "
" J'essaie d'être juste "Séduisante sur la forme, la stratégie concoctée par l'Elysée ne s'accompagnera d'aucun changement de fond. Emmanuel Macron le répète, il n'a pas l'intention de changer de politique.
" Je veux qu'on aille encore plus vite, encore plus fort ", a-t-il répondu à des habitants du bourg martiniquais de Saint-Pierre.
La preuve, s'il regrette d'avoir été mal compris après avoir conseillé à un jeune horticulteur de
" traverser la rue " pour trouver du travail dans l'hôtellerie-restauration, une phrase
" sortie de son contexte " selon lui, Emmanuel Macron a assumé le fond de son propos.
A un jeune de Goyave (Guadeloupe) qui l'interpellait sur ce sujet, le chef de l'Etat a répondu qu'il attendait que chacun
" prenne ses responsabilités (…).
Et donc, quand il y a des offres d'emploi qui existent, même si ce n'est pas exactement ce que l'on veut, peut-être au début accepter pendant quelques mois pour se mettre le pied à l'étrier ".
Même chose sur l'immigration et la supposée inhumanité de la politique du gouvernement face aux drames à répétition de l'
Aquarius, le navire humanitaire qui se porte au secours des migrants en Méditerranée. Interpellé par une Martiniquaise qui évoquait le sort d'une famille déboutée du droit d'asile, Emmanuel Macron a assumé de distinguer réfugiés politiques et migrants économiques.
" Je pense que c'est le seul équilibre qui évite que notre nation ne bascule dans la xénophobie, a-t-il plaidé.
Regardez autour de nous ce qu'il se passe. Je parais trop dur aux uns, parfois trop tendre aux autres. J'essaie d'être juste. Croyez-moi. J'essaie d'être juste. " Du Alain Juppé droit dans ses bottes, diront ses détracteurs. Une inflexibilité que le chef de l'Etat tente désormais de mâtiner en affichant l'attitude chaleureuse d'un Jacques Chirac.
Cédric Pietralunga
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