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samedi 6 octobre 2018

Le combat des " prisonniers politiques " catalans


2 octobre 2018

Le combat des " prisonniers politiques " catalans

Rencontre en prison avec le dirigeant nationaliste Raül Romeva, qui attend son procès pour rébellion, un an après le référendum du 1er octobre

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Nous vous voulons libres ", " Honte à l'Europe ", " Ce sont des gens pacifiques ", ou encore " Sans désobéissance, il n'y a pas d'indépendance ". A 70 kilomètres au nord de Barcelone, à l'intérieur des terres, la petite route à travers champs qui mène au centre pénitentiaire Lledoners est couverte de messages peints au sol et décorée de rubans jaunes. Imprimés au pochoir sur le bitume ou bouts de plastique accrochés aux arbres et aux barrières, ces slogans symbolisent le soutien aux " prisonniers politiques ".
C'est ici, sur la petite commune de Sant Joan de Vilatorrada, que sept des neufs dirigeants indépendantistes, accusés de rébellion après la tentative de sécession d'octobre  2017, se trouvent incarcérés, placés en prison préventive dans l'attente du procès qui se tiendra cet hiver. Certains, depuis presque un an.
Trois médias européens, dont Le Monde, ont eu accès à la prison, dimanche 30  septembre, pour discuter avec Raül Romeva, l'ancien " ministre " catalan des affaires extérieures. A l'entrée, il faut laisser dans un casier téléphone, stylo et cahier. Après un passage par un sas de sécurité, il faut encore franchir le contrôle des visiteurs.
Dans la grande salle d'attente aux murs jaunâtres, une femme élégante, robe crème et hauts talons, habituée des plateaux de télévision, porte dans ses bras un petit garçon de 18 mois. Il s'agit de Txell Bonet, la compagne de Jordi Cuixart, l'ancien président de l'association indépendantiste Omnium Cultural. Leur fils n'avait que 6 mois lorsque, le 16  octobre 2017, l'Audience nationalea placé M. Cuixart en prison préventive, avec Jordi Sanchez, ex-président de l'association indépendantiste Assemblée nationale catalane (ANC). " Nous avons droit à un appel par jour de huit minutes et à une visite hebdomadaire de quarante minutes au parloir, auxquels s'ajoutent deux visites familiales et un vis-à-vis intime par mois ", détaille-t-elle.
Avec la demeure de Waterloo, en Belgique, où s'est installé l'ancien président catalan Carles Puigdemont, la prison de Lledoners est devenue, un an après le référendum du 1er  octobre sur l'indépendance, un des lieux insolites où réside une partie du pouvoir politique réel de la Catalogne.
" L'exilé " Puigdemont a désigné lui-même Quim Torra pour lui succéder à la tête du gouvernement de la Généralité et participe presque quotidiennement à des réunions par vidéoconférence depuis Waterloo. Interrogé sur la télévision publique flamande VRT quant aux raisons de sa fuite, il a simplement répondu, le 26  septembre : " Si j'étais en prison, je ne pourrais pas être dans ce studio. Je ne crois pas aux martyrs… "
" J'ai défendu la démocratie "De son côté, le président de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), Oriol Junqueras, n'en définit pas moins depuis sa cellule, loin de la pression de la rue et du bruit des réseaux sociaux, la stratégie politique de sa formation : mettre en pause la voie de la désobéissance, rétablir le fonctionnement normal des institutions catalanes et travailler pour augmenter la base indépendantiste en attirant de nouveaux électeurs grâce à des politiques sociales.
En prison préventive depuis onze mois, il intervient régulièrement dans le débat public par le biais de tribunes d'opinion dans la presse, et vient d'annoncer par courrier son souhait d'être tête de liste de son parti aux prochaines élections européennes, " afin de dénoncer le recul démocratique et la répression de l'Etat espagnol ", dit-il. Les sondages situent actuellement ERC comme la première force politique en Catalogne.
A 15 h 20, les portes s'ouvrent. Au fond d'un couloir en U, Josep Rull, Jordi Cuixart et Raül Romeva sont là, chacun dans un parloir, souriant et levant les bras pour saluer la presse. M.  Romeva pose sa main sur la vitre en guise de poignée de main. Puis il s'assoit. Il a déjà le téléphone sur l'oreille et sa voix sort du haut-parleur. Il parle avec la même fougue que l'an dernier.
" La prison pouvait faire partie de notre lutte, et nous le savions ", dit l'ancien ministre catalan des affaires extérieures, en prison préventive depuis le 25  mars." On ne peut pas nous accuser, nous qui sommes en prison, d'être des traîtres. Nous avons fait tout ce que nous avions promis : nous avons organisé le vote, fait la déclaration d'indépendance, tout ce qui dépendait de nous, nous l'avons fait ", dit-il avec véhémence.
L'arrivée au pouvoir du socialiste Pedro Sanchez à Madrid a changé les choses, " sur la forme " et avec la " reprise des réunions bilatérales ". Mais Raül Romeva estime qu'il doit maintenant ouvrir un processus de " négociation, sur un référendum, et préciser s'il a une proposition concrète à mettre sur la table ".
Ces dernières semaines, le gouvernement espagnol a multiplié les déclarations de bonnes intentions en direction des prisonniers indépendantistes. Tout en insistant sur son " respect total enversle pouvoir judiciaire et la séparation des pouvoirs ", le 22  septembre, la déléguée du gouvernement en Catalogne, Teresa Cunillera, s'est dite " favorable " à une grâce du gouvernement si les dirigeants indépendantistes sont condamnés tout en soulignant que, pour cela, " il faut qu'il y ait une condamnation ferme, qu'ils l'acceptent et qu'ils la demandent ".
Et le 23  septembre, la vice-présidente du gouvernement, Carmen Calvo, a estimé que " si le procès tarde encore beaucoup, il ne serait pas logique de prolonger la prison préventive ". D'autant que, comme l'a déclaré le chef de file des socialistes catalans, Miquel Iceta, " le principal facteur de cohésion de l'indépendantisme est l'emprisonnement de ses dirigeants ".
Mais pour Raül Romeva, par question de demander une grâce. " Je ne reconnaîtrais pas une condamnation. J'ai défendu la démocratie. Organiser un référendum n'est pas un délit ", dit-il. Une sonnerie retentit dans la prison. Il a le temps de raconter qu'enfermé dans sa cellule seize  heures par jour, il lit beaucoup. La biographie de Nelson Mandela, 21 leçons pour le XXIe  siècle, de Yuval Noah Harari, ou Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes, de Srdja Popovic, cite-t-il. Le micro est coupé. Sa main appuyée contre la vitre, M.  Romeva dit au revoir.
Sandrine Morel
© Le Monde

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