Il y a un abcès, il faut que le pus soit complètement vidé. " Dans un entretien au Parisien, dimanche 30 septembre, l'archevêque de Paris, Michel Aupetit, médecin de formation, ne rejette pas l'idée qu'une commission d'enquête parlementaire se penche sur la question des violences sexuelles sur mineurs commises dans l'Eglise catholique et sur leur dissimulation.
Une telle demande avait été formulée la veille par l'hebdomadaire
Témoignage chrétien (
TC).
" Pourquoi pas, bien sûr !, répond le prélat.
Si la société juge que c'est important pour davantage de clarté, si la situation montre qu'on a besoin d'une intervention extérieure à l'Eglise pour aller au bout des choses, je ne vois pas d'entorse à la laïcité " dans cette proposition. L'archevêque de Paris n'a pas une prééminence hiérarchique sur les autres évêques, mais une autorité particulière s'est toujours attachée à la parole du titulaire de l'archidiocèse de la capitale.
Cette initiative pourrait être un pas décisif pour faire la lumière sur la façon dont la hiérarchie catholique a traité ces affaires dans les dernières décennies. Elle vient de la rédaction de
TC qui, comme d'autres médias catholiques, se fait l'écho du désarroi de nombreux fidèles face aux révélations en cascade. L'Eglise, expose l'appel,
" doit, et ce de façon urgente, rendre des comptes. Elle doit le faire devant la justice, mais aussi devant la représentation nationale, car ce ne sont pas seulement des responsabilités individuelles qui sont en cause, mais aussi, comme l'a clairement indiqué le pape François, tout un système ".
" Silence assourdissant "Cet appel à la constitution d'une commission d'enquête intervient alors que l'Eglise catholique française, comme celles d'autres pays occidentaux, est placée sous pression par un flux constant de révélations sur des abus commis dans les dernières décennies. En seulement deux mois, un rapport a été publié sur les actes pédophiles commis par des clercs en Allemagne, un autre sur les violences commises dans six des huit diocèses de Pennsylvanie aux Etats-Unis. Ils succèdent aux rapports concernant l'Irlande, la région de Boston, l'Australie et le Chili.
" Il nous importe non pas de faire éclater des scandales mais d'en faire cesser un, immense, celui du silence assourdissant de la hiérarchie catholique devant des souffrances qu'elle a, pour l'essentiel, sciemment ignorées ou même cachées pendant trop longtemps. Le retour de la crédibilité est à ce prix ", affirme le texte, accompagné d'une pétition.
" Lorsque, au mois d'août, le pape François a appelé tous les baptisés à prendre leur part contre la pédophilie, explique Christine Pedotti, directrice de la rédaction de
Témoignage chrétien, nous nous sommes
dit que cela entrait dans l'ADN de TC, celui d'un engagement à la fois spirituel et social. Nous avons examiné la question d'un point de vue juridique, et avons consulté des conseillers d'Etat. " Aux yeux de la journaliste, cette crise plonge aujourd'hui l'Eglise dans une situation très difficile qui appelle une réaction à la hauteur de l'urgence :
" Il y a des choses qui sortent tous les jours. Cela devient usant. Le poison du soupçon est effroyable pour les prêtres, et il est en train de passer dans tout le corps. Quelque chose de grave est en train de se produire. "
" Archives diocésaines "Quelques parlementaires ont été parmi les premiers signataires de la pétition, tels Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice (PS) de Paris, et Jacques Maire, député (LRM) des Hauts-de-Seine. C'est aussi le cas de Laurence Rossignol, ancienne ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. Aujourd'hui sénatrice socialiste de l'Oise, elle attend d'une éventuelle commission d'enquête qu'elle puisse avoir accès
" aux archives diocésaines " mais aussi
" amener des victimes pour lesquelles les faits sont prescrits à témoigner ". Elle voit une difficulté pour les faits qui font aujourd'hui l'objet de procédures judiciaires, une commission d'enquête parlementaire ne pouvant empiéter sur le terrain de la justice.
Une commission d'enquête sur les abus sexuels doit-elle se limiter à l'Eglise catholique ou, comme la commission royale australienne, se pencher sur toutes les institutions ? C'est ce que défend François Devaux, le président de l'association La Parole libérée, fondée en décembre 2015 par des victimes du prêtre lyonnais Bernard Preynat. Il est aussi l'un des signataires de la pétition. Mais, à ses yeux, le champ d'action d'une commission d'enquête parlementaire sur la pédophilie devrait être plus large que la seule Eglise catholique.
" Pour nous, dit-il,
il faut une enquête globale pour pouvoir comparer ce qui s'est fait dans l'Eglise et dans d'autres institutions. Le système de protection nous semble très propre à l'Eglise. Cela permettrait aussi de mieux connaître l'étendue du phénomène. On n'en est aujourd'hui qu'aux prémices, aussi incroyable que ça puisse paraître au pays de Françoise Dolto. Mais au moins, cet appel contraint les parlementaires, et peut-être le gouvernement, à répondre et à prendre leurs responsabilités. "
Mais cette initiative ne fait pas l'unanimité dans la sphère catholique. Dans un éditorial du quotidien
La Croix, lundi matin, Isabelle de Gaulmyn se dit en désaccord avec l'idée d'une commission d'enquête parlementaire,
" nécessairement politique ", et appelle les évêques à prendre une initiative visant à permettre "
un travail d'enquête indépendant ".
La crise déclenchée par les violences sexuelles commises par des prêtres et des religieux dépasse largement la France. Elle touche directement la tête de l'Eglise catholique, le pape François étant accusé par un archevêque émérite, Carlo Maria Vigano, d'avoir lui-même fermé les yeux sur les agressions commises contre des séminaristes par l'ancien archevêque de Washington, Theodore McCarrick, finalement contraint de donner sa démission en juillet du collège des cardinaux.
Samedi, le pontife argentin a invité les fidèles du monde entier à prier chaque jour d'octobre le rosaire afin de
" protéger l'Eglise contre le diable " et de
" la rendre toujours plus consciente des coups, des erreurs et des abus commis aujourd'hui et dans le passé ", a indiqué le Vatican dans un communiqué. Sa référence au
" malin, le grand accusateur " qui
" cherche toujours à nous séparer " pourrait viser Mgr Vigano, ancien nonce à Washington, qui avait écrit une nouvelle lettre accusatrice contre le pape dans les jours précédents.
Cécile Chambraud
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire