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dimanche 3 juin 2018

La difficile équation de Laurent Berger à la CFDT


3 juin 2018

La difficile équation de Laurent Berger à la CFDT

Alors que s'ouvre, lundi, son 49e congrès, la centrale réformiste n'est plus le partenaire privilégié du pouvoir

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Les murs lambrissés de bois des salons privés de la brasserie parisienne Chez Jenny résonnent des rires des journalistes présents, jeudi 31  mai, aux rencontres de l'AJIS (Association des journalistes de l'information sociale). Laurent Berger vient de lâcher une petite plaisanterie bien sentie sur les relations qu'il entretient en ce moment avec le gouvernement. " Je ne suis pas draguable ", a lancé le secrétaire général de la CFDT. Voilà pour ceux qui se demandent si un réchauffement est en cours entre la majorité et le dirigeant du premier syndicat dans le privé, qui vient de rencontrer en l'espace de quelques jours le président de la République puis les députés de La République en marche (LRM).
Car, le moins que l'on puisse dire, c'est que le patron de la CFDT, qui s'apprête à rempiler pour un troisième mandat à la tête de la confédération, n'est pas courtisé par le nouveau pouvoir. Loin de là. Depuis l'arrivée aux manettes d'Emmanuel Macron, la centrale de Belleville, à Paris, parvient tout juste à limiter les dégâts sans réussir à marquer des points. Chouchoutée sous l'ère Hollande, elle a perdu sa -position de partenaire privilégié avec un chef de l'Etat qui avait -annoncé la couleur dès la campagne présidentielle : pour lui, la place des syndicats est dans -l'entreprise et pas sur la scène -politique nationale.
A la veille du 49e congrès de la CFDT, qui se tient du 4 au 8  juin à Rennes, Laurent Berger ne cache plus son mécontentement. Depuis quelques semaines, le numéro un de la confédération multiplie les mises en garde dans les médias. Que ce soit sur la méthode ou sur le fond, pour lui, le compte n'y est pas. Au point de confier récemment  à un proche : " La confiance est rompue. "
Ses critiques publiques sont toutefois savamment dosées. Car basculer dans une opposition franche comme son nouvel homologue de Force ouvrière, Pascal Pavageau, ou Philippe Martinez, de la CGT, Laurent Berger ne le veut surtout pas. Un chemin de crête de plus en plus périlleux pour le syndicaliste réformiste. D'un côté, un gouvernement qui ne l'écoute pas mais avec lequel il ne peut pas rompre, et de l'autre des militants cédétistes perplexes devant une politique économique et sociale jugée de plus en plus libérale. " On vit une période difficile pour notre type de syndicalisme avec une négation des corps intermédiaires d'un côté et une montée des radicalités de l'autre, souligne M. Berger auprès du Monde. On est encore écoutés car on est craints, mais si on fait de “l'anti-Macron”, nous n'aurons plus les moyens de peser. "
Mauvaises nouvellesPourtant les sujets de tensions ne manquent pas, qui pourraient compliquer encore les rapports entre MM.  Berger et Macron. Il y a d'abord eu les ordonnances sur le droit du travail, bien sûr. Favorable à nombre de mesures, la CFDT, qui avait soutenu la loi -travail de François Hollande en  2016, a été contrariée, un an plus tard, de découvrir à la dernière minute des dispositifs auxquels elle était hostile comme la rupture conventionnelle collective. Réduction des contrats aidés, suppression de l'ISF, baisse des APL… les mauvaises nouvelles n'ont cessé de s'accumuler depuis. La réforme en cours de la formation professionnelle, de l'apprentissage et de l'assurance-chômage n'arrange rien, surtout quand Muriel Pénicaud critique vertement l'accord trouvé par les partenaires sociaux, quelques heures à peine après sa signature. Plus récemment, ce sont les sorties de plusieurs ministres sur une possible remise en cause des aides sociales qui ont énervé M. Berger, qui se dit " très préoccupé ". D'autant que les propositions chères à la CFDT, comme la place des administrateurs salariés dans les conseils d'administration, tardent à être reprises par le gouvernement.
Côté exécutif, d'aucuns font remonter la fracture à l'époque où M. Macron était ministre de l'économie. Désireux d'introduire le plafonnement des indemnités prud'homales dans la loi El Khomri, l'ancien inspecteur des finances aurait moyennement goûté que cette disposition disparaisse du projet de loi après intervention de la CFDT. Plus récemment, c'est une interview de Laurent Berger dansL'Obs qui aurait, selon un proche, " crispé " le président de la République. Dans l'hebdomadaire, qui -présentait en couverture Emmanuel Macron derrière des barbelés, le leader syndical critiquait -ouvertement la politique migratoire mise en œuvre. Quelques jours plus tard, il réitérait, en -cosignant une tribune sur le même sujet dans Le Monde.
Des militants remontés" Il y a eu un raidissement des deux côtés à ce moment-là ", analyse un proche du chef de l'Etat. Une source au sein du gouvernement juge, pour sa part, " qu'il faut apaiser le dialogue avec -Laurent Berger, le débat public a besoin de la CFDT.  Pour autant, ça fait des années que nous sommes dans une logique de cogestion et ce n'est plus possible, ça ne fait pas avancer les choses ". En clair, l'exécutif, qui souhaite réformer rapidement, estime qu'il n'a plus besoin de ce partenaire pour mener à bien ses grands chantiers sociaux. Une stratégie risquée, pour l'ancien premier ministre Manuel Valls :" Qu'ils veuillent -aller vite, ça s'entend, mais ça se deale aussi avec les partenaires sociaux. Sinon, ils risquent de se retrouver seuls face au peuple ", estime le député de l'Essonne.
A Matignon, on nuance : " La CFDT est un interlocuteur que nous respectons, qui est réformiste de longue date, mais ça ne veut pas dire que nous sommes d'accord sur tout. Pour autant, à chaque fois que nous en avons l'occasion, nous prenons en compte leurs propositions. " C'est d'ailleurs ainsi qu'au sommet de l'Etat, on espère sortir la CFDT du conflit à la SNCF – sujet sur lequel M. Berger a été -particulièrement virulent.
" Berger est dans l'impasse, analyse un bon connaisseur du syndicat. Toute sa stratégie repose sur ceux qui veulent bien l'écouter, que ce soit du côté du gouvernement ou du patronat. Or il ne se passe rien. A peu de frais, l'exécutif pourrait leur laisser des portes ouvertes. " Difficulté supplémentaire pour le patron de la confédération : le changement de stratégie qui a accompagné le changement de tête à Force ouvrière. " La bascule de FO ne va pas lui simplifier la tâche, reconnaît l'ancien dirigeant du syndicat Jean-Claude Mailly. Quand on est deux à dire des choses, c'est plus efficace. S'il se retrouve seul, ça pose problème. "
Même si la CFDT est une maison bien tenue, Laurent Berger devra assumer à Rennes ce positionnement compliqué devant des militants remontés. " Au congrès, ça ne nous fera pas dévier de notre ligne réformiste même s'il faut aller au débat, tranche-t-il. Si on bouge de notre ligne, on est morts. "
Sarah Belouezzane et Raphaëlle Besse Desmoulières
© Le Monde


3 juin 2018

Un congrès pour " incarner le syndicalisme du XXIe siècle "

A l'issue de la réunion de Rennes, du 4 au 8 juin, Laurent Berger sera réélu pour un troisième mandat de secrétaire général

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LE CONTEXTE
Adhésions
La CFDT a procédé à une " opération vérité " en affichant un nombre d'adhérents inférieur à celui qu'elle annonçait -jusqu'alors. En 2017, elle -comptait 623 802 membres et non 860 243. Rompant avec une pratique qui consistait à diviser par huit le nombre de cotisations, elle a fait certifier ces nouveaux chiffres par des commissaires aux comptes. En 2017, plus de 83 % des -adhérents ont versé douze -cotisations, soit une érosion de – 0,9 %, avec 67 000 départs et 60 000 arrivées. 49,5 % des adhérents sont des femmes, deux tiers sont issus du secteur privé et un tiers du public. L'âge moyen est de 50 ans.
Laurent Berger a placé la barre haut. Pour le deuxième congrès qu'il anime en tant que secrétaire -général depuis son élection en -novembre  2012, il a fixé l'objectif d'" incarner le syndicalisme du XXIe  siècle " pour être " demain l'organisation syndicale incontournable, toutes catégories -confondues ". Dans le projet de -résolution, qui pour la première fois a été élaboré avec le concours de militants à travers une plate-forme en ligne et sera débattu à Rennes du 4 au 8  juin, l'ambition de la centrale réformiste est d'augmenter le nombre d'adhérents de 20  % en quatre ans, soit 120 000 de plus.
Depuis le précédent congrès, à Marseille, en  2014, M.  Berger pourra faire valoir que la CFDT est devenue, en  2017, la première organisation syndicale du secteur privé, ravissant le haut du podium à la CGT. La prochaine étape, avec le scrutin dans les fonctions publiques en décembre, est d'être " le premier syndicat français dans les secteurs privé et public ". Le secrétaire général ne cesse de répéter que le syndicalisme est " mortel ". Il " peut décliner, lit-on dans le projet de résolution. De façon lente, certes, mais aussi inexorable que celle des partis ouvriers et -désormais des partis traditionnels. (…) Ce risque nous impose de continuer à nous réinventer. (…) De -continuer à nous positionner dans l'intérêt général, principe qui -garantit notre cohérence ". La révolution numérique, les mutations du travail, le chamboulement des règles du dialogue social – à la suite de la réforme du code du travail engagée par -Emmanuel Macron – imposent d'" accélérer le changement ".
Exercice obligéAvant de débattre de la feuille de route des quatre ans à venir, M.  Berger devra satisfaire, lundi 4  juin, à un exercice obligé, celui de défendre son bilan à travers son rapport d'activité. Comme à l'accoutumée, les critiques ne manqueront pas et les débats seront animés, notamment sur la séquence des ordonnances, une minorité de syndicats ayant déploré une absence de combativité. Mais, dans une centrale aujourd'hui -politiquement très homogène depuis le départ des opposants les plus à gauche, le " patron " ne court pas grand risque. La seule -interrogation est de savoir s'il -retrouvera sur le quitus les 85,88  % du 48e congrès, à Marseille.
Sous le quinquennat de -François Hollande, la CFDT, qui adhérait à la méthode d'un président attaché à la démocratie sociale, a -signé tous les accords interprofessionnels, prenant le risque de -cautionner les réformes d'un pouvoir impopulaire. En  2014, elle avait toutefois pris ses distances avec le pacte de responsabilité, -jugeant que les engagements de création d'emplois pris par le -patronat en échange des aides -publiques aux entreprises ressemblaient à l'Arlésienne. On en parlait beaucoup, mais on ne la voyait pas. Traumatisée en  2015 par l'épisode de la déchéance de nationalité, qui avait violemment heurté ses convictions humanistes – alors qu'une majorité de ses sympathisants avait voté Hollande à la présidentielle de 2012 –, elle avait dénoncé, en  2016, la première version de la loi El Khomri, réformant la négociation sur le temps de travail, avant de la soutenir, une fois amendée.
M.  Berger va dresser un bilan globalement positif de son action depuis 2014. " La CFDT, note le rapport d'activité, a su tenir son cap, garder sa cohérence, et faire avancer son projet. " Elle a " fait de la démocratie sociale la condition de la réussite pour mener les réformes et sécuriser les salariés confrontés aux mutations ". Pour le secrétaire général, la CFDT, en -obtenant de nouveaux droits, en engrangeant des " acquis ", a fait la démonstration que le syndicalisme d'" engagement " est utile puisqu'il répond à sa première mission : obtenir des résultats.
Un pôle réformiste effritéIl y a toutefois une ombre au tableau. La CFDT veut être " moteur dans le renforcement " d'un pôle syndical réformiste, basé à l'origine sur une alliance avec la CFTC, la CFE-CGC et l'UNSA. Or ce pôle s'est effrité. Depuis la mesure de représentativité de 2017, où la CFDT a conquis, avec 26,37  %, sa première place, le bloc réformiste ne réunit plus que 41,21  % des voix des salariés. Un affaiblissement dû à la défection de la CFE-CGC, qui se définit désormais comme " non alignée ". Le rapport d'activité évoque " un paysage social et syndical bousculé ", avec une centrale des cadres " passée d'une stratégie catégorielle à une stratégie contestataire ". Avec FO, les relations ont été " très tendues " au moment de la loi El Khomri avant de se réchauffer lors des ordonnances Macron, mais l'arrivée de Pascal Pavageau annonce des lendemains pour le moins incertains.
Entre la CFDT et la CGT, la période a été marquée par une glaciation. Le fossé s'est élargi entre la " réformiste " et la " contestataire ", même si M. Berger entretient de bonnes relations personnelles avec Philippe Martinez. Le rapport d'activité décrit une CGT qui s'est stabiliséeaprès de " nombreuses secousses ", mais " au prix d'une radicalisation de ses positions et desespratiques ". Ce 49e congrès verra aussi l'entrée de trois nouveaux membres à la commission exécutive – le gouvernement de la centrale – et -Marylise Léon remplacera Véronique Descacq au poste de secrétaire générale adjointe. Cela ne présage en rien de la succession de M. Berger, qui aura juste 50 ans le 27  octobre. Il sera réélu pour un troisième mandat et devrait rempiler en  2022, quitte à ne pas aller jusqu'au bout.
Michel Noblecourt
© Le Monde

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