Francfort se serait bien passée d'une telle polémique. Au début du mois de juin, à peine arrivés au pouvoir en Italie, les populistes de la Ligue et surtout du Mouvement 5 étoiles ont accusé la Banque centrale européenne (BCE) de se mêler de politique.
Selon eux, elle aurait réduit ses rachats de dette italienne en mai, exactement au moment où les deux partis s'entendaient pour former un gouvernement eurosceptique. Et ce, afin d'accentuer la hausse des taux d'emprunt italiens et la pression des marchés.
Piquée au vif, l'institution s'en est défendue, démontrant, chiffres à l'appui, que cette baisse tenait seulement à des contraintes techniques temporaires, comme il s'en produit tous les mois. Non, assure-t-elle, la politique n'a rien à voir dans l'affaire…
Nul doute que Mario Draghi, le président de la BCE, sera questionné sur le sujet, jeudi 14 juin, à l'issue de la réunion du Conseil des gouverneurs, exceptionnellement délocalisée à Riga, la capitale lettone. Ce jour-là, ils devraient débattre de la fin à venir de l'assouplissement quantitatif, leur programme de rachats de dettes publiques et privées (le
Quantitative Easing en anglais, ou QE).
Depuis le lancement du QE, en mars 2015, l'institut de Francfort a racheté pour près de 2 500 milliards d'euros de dettes, afin de soutenir la croissance et les prix. De 80 milliards au départ, les rachats sont aujourd'hui de 30 milliards d'euros par mois.
" Ils devraient baisser encore en septembre, avant de s'interrompre en décembre. La BCE communique clairement sur ce calendrier depuis trois mois, et il est peu probable qu'il change ", résume Louis Harreau, spécialiste de la politique monétaire au Crédit agricole CIB.
Dès lors, la Banque centrale ne rachèterait plus de nouvelles dettes en 2019, mais elle continuerait de renouveler les obligations arrivant à échéance parmi celles qu'elle détient. Si bien que son bilan, qui dépasse aujourd'hui les 4 560 milliards d'euros, conserverait la même taille.
Le véritable enjeu de la réunion du 14 juin est donc le suivant : la BCE confirmera-t-elle ce jour-là que le volume du QE diminuera encore en septembre, ou attendra-t-elle la réunion du 26 juillet pour le faire ? Les observateurs sont divisés. Certains sont persuadés qu'elle n'a aucune raison de repousser l'annonce. D'autres, au contraire, jugent que le -contexte délicat pourrait l'inciter à attendre le mois prochain
.
Car, aux doutes sur le programme du nouveau gouvernement italien, qui pourrait faire gonfler l'endettement déjà élevé du pays (130 % du produit intérieur brut), s'ajoutent les incertitudes liées à la géopolitique et aux visées protectionnistes de Donald Trump, susceptibles de peser sur la croissance mondiale.
Or la reprise européenne, vigoureuse fin 2017, donne déjà des signes de faiblesse. Au premier trimestre, le PIB de la zone euro a progressé de seulement 0,4 %, loin du 0,7 % enregistré
sur les trois trimestres précédents. Ce coup de mou est-il temporaire ou va-t-il durer, ce qui plaiderait en faveur du maintien du QE au-delà du calendrier initial ? La BCE, qui devrait revoir un peu à la baisse ses prévisions de croissance, publiées lors de la réunion, semble pour l'instant s'en tenir à la première option.
Prudence et patienceMais un autre élément pourrait peser sur la conjoncture : l'inflation. En mai, elle est ressortie à 1,9 % en zone euro, sous l'effet du rebond des prix de l'énergie (+ 6,1 %). Au risque que cela fragilise le pouvoir d'achat des ménages et, partant, l'activité. Paradoxalement, cela devrait plutôt servir les intérêts de la BCE, qui ne manquera pas de souligner que l'inflation se rapproche doucement de sa cible de 2 %.
" Elle est déterminée à normaliser sa politique, consciente de l'importance de se reconstituer des marges de manœuvre ", estime Jean-François Robin, stratégiste obligataire chez Natixis.
Dans tous les cas, le " Dottore " Draghi devrait rappeler une nouvelle fois le leitmotiv de l'institution : prudence, patience, persévérance et confiance.
" Confiance dans son scénario, selon lequel les salaires vont repartir progressivement en zone euro, soutenant une reprise saine de l'inflation et des prix ", précise Thibault Mercier, spécialiste de l'économie européenne chez BNP Paribas.
Pour preuve, même Peter Praet, l'économiste en chef de la BCE, qui est considéré comme l'un des plus précautionneux, paraît certain que le QE a porté ses fruits.
" Il y a de plus en plus de signes établissant que les tensions sur le marché du travail se traduisent par une accélération de la hausse des salaires ", a-t-il déclaré, le 6 juin à Berlin, à la faveur d'un discours très remarqué par les analystes.
Et si les doutes sur le projet du gouvernement italien ravivaient les tensions sur les marchés ? L'équipe du chef du gouvernement, Giuseppe Conte, affirme ne pas envisager une sortie de l'euro, mais sa volonté de renégocier les traités européens soulève des inquiétudes.
" Dans tous les cas, le retrait du QE ne tombe pas à un très bon moment pour l'Italie ", note Ferdinando Giugliano, économiste pour Bloomberg, à Rome.
En cas de nouvelle flambée spéculative sur les dettes, la BCE pourrait toujours réviser son calendrier et augmenter à nouveau ses achats d'obligations, afin de freiner la hausse des taux.
" Mais elle ne le ferait que si le risque de contagion menaçant la zone euro était majeur, ce qui est aujourd'hui peu probable, juge un fin connaisseur de l'institution.
En revanche, si la hausse des taux concerne uniquement l'Italie en raison de la stratégie de son gouvernement, elle ne fera rien. Le rôle de la BCE n'est pas de dédouaner les leaders politiques de leurs choix. " Peut-être. Les populistes, cependant, ne manqueraient pas de l'interpréter comme une mesure de plus à leur encontre…
Marie Charrel
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