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dimanche 3 juin 2018

Guantanamo, un récit en images

 
3 juin 2018

Guantanamo, un récit en images

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C'est en  2010 à N'Djamena, au Tchad, que le journaliste Jérôme Tubiana a rencontré pour la première fois Mohammed El-Gorani. Le jeune homme lui a raconté le périple kafkaïen qui l'a envoyé croupir, au lendemain du 11  septembre 2001, alors qu'il n'avait pas 14 ans, dans les geôles de Guantanamo, cette opaque prison construite dans l'enclave américaine de Cuba pour y accueillir les présumés djihadistes. Il y restera huit ans, avant d'être innocenté et renvoyé chez lui. Enfin pas vraiment chez lui. C'est que Mohammed El-Gorani a grandi en Arabie saoudite, né de parents tchadiens. Autant dire des non-citoyens. Pour se construire une vie, il avait décidé d'aller étudier l'informatique au Pakistan. Pour rejoindre seul ce pays, il avait dû tricher sur son âge. Profondément pieux, il sera pris dans une rafle après les attentats de New York. A partir de là, c'est une longue errance de prisons en brimades qu'il raconte.
Livré par la police pakistanaise aux forces américaines. Guantanamo. Renvoyé ensuite par les Etats-Unis au Tchad, pays qu'il ne connaît pas, bien qu'il en soitcitoyen de droit. Malade, cherchant de l'aide auprès d'amis au Soudan en traversant le Darfour en guerre, de nouveau la prison, retour au Tchad. Puis le Ghana, où la vie semble lui sourire, jusqu'au changement de régime. Prison. Coups de nouveau. Retour au Tchad. Dont il réussit à s'enfuir pour se réfugier au Nigeria.
Héros et auteurC'est tout cela que raconte le roman graphique de Jérôme Tubiana et du dessinateur Alexandre Franc. A commencer par Guantanamo, justement, prison dont on sait si peu. L'originalité de Guantanamo Kid, c'est que son héros en est aussi l'un des auteurs – il touche un tiers des droits d'auteur sur ce livre publié en partenariat avec Amnesty international. Devenu son ami, le journaliste Jérôme Tubiana, qui passe une partie de sa vie à parcourir l'Afrique subsaharienne pour des reportages ou des recherches avec diverses ONG ou think tanks, est retourné le voir en  2017, pour vérifier et amender informations et dessins. " Mohammed nous a donné moult précisions. Détails sur la prison, les décors, des lieux dont aucune photo n'est disponible, le type ou la position des menottes pendant les déplacements… ", raconte le journaliste.
Quand on demande à celui-ci pourquoi cette longue postface qui clôt le livre, il répond : " Parce que c'est une histoire qui n'est pas terminée. La vie n'est pas aussi simple que les histoires dessinées. La BD s'arrête en  2010, au moment où je rencontre Mohammed. Mais, par souci de vérité, je ne pouvais faire abstraction de ce qui s'est passé ensuite, des stigmates de Guantanamo qui vont continuer de peser sur sa vie. Aujourd'hui, Mohammed est au Nigeria, où il aimerait ouvrir un restaurant, avec l'aide des droits d'auteur et d'une campagne de crowdfunding que j'espère lancer… Mais demain ? "
Laurent Carpentier
© Le Monde


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