Translate

dimanche 3 juin 2018

Une représentativité plus politique que réelle Le patronat, combien de divisions ?.......


3 juin 2018
L'élection du président du Mouvement des entreprises de France le 3 juillet renvoie l'image d'un patronat plus fragmenté qu'il n'y paraît

Une représentativité plus politique que réelle Le patronat, combien de divisions ?

Le sociologue Michel Offerlé décrypte le poids des différentes organisations de chefs d'entreprise en 2018

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
En  2017, pour la première fois, l'audience des organisations patronales a été mesurée conformément à la loi du 5  mars 2014. Que disent ces chiffres de leur représentativité ? D'abord, ils rompent avec les -proclamations de nombreuses confédérations ; ensuite, ils laissent perplexes tant leur fabrique a été compliquée et cadrée politiquement. Car cette opération n'était certes pas une mesure scientifique, elle visait à légitimer la représentation patronale des partenaires sociaux, sans bouleverser les équilibres.
Depuis sa création en  1998, le Mouvement des entreprises de France (Medef) affichait entre 750 000  et 800 000 adhérents. Or, l'enquête ne le crédite plus que de 123 387 cotisants. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME, ex-CGPME) en annonçait 550 000, il ne lui en reste plus que 144 939. Quant à l'U2P (l'Union des entreprises de proximité, UPA + UNAPL), qui en revendiquait 350 000 (250 000 pour la première organisation et 100 000 pour la deuxième), elle compte 150 605 adhérents…
On peut reproduire le même constat pour les deux fédérations patronales les plus importantes en effectifs : les adhérents de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ont fondu de 80 000 membres déclarés à 30 000 constatés, et le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA, concessionnaires et garagistes) a " perdu " la moitié de ses affiliés, de 30 000  à 15 000. En ajoutant aux effectifs des trois grandes confédérations ceux de l'économie sociale et ceux des fédérations dites " autonomes ", le taux d'adhésion des (environ) 3  millions d'entreprises françaises à un syndicat patronal se situerait entre 15  % et 20  %.
Si, à la suite d'une enquête de représentativité concernant le nombre de leurs adhérents, la CFDT avait été créditée de 100 000 affiliés et la CGT de 107 000 (au lieu des 623 000  et 664 000  respectivement déclarés), cela aurait été considéré comme un événement politique majeur. Mais dans le cas des organisations patronales, les commentaires ont été curieusement rares.
Adhérent " au deuxième degré "Il est vrai que si de la représentativité en proportion du nombre d'entreprises, on passe à la représentativité en proportion du nombre de salariés qui y travaillent, celle-ci devient plus conséquente. Le Medef se retrouve alors " crédité " de 8 518 902 salariés, loin devant la CPME (3 010 875) et l'U2P (507 855). D'ailleurs, le Medef met ce chiffre en avant, car il a peu d'adhérents dans les fédérations, qui regroupent de très grandes entreprises. Ce qui n'en infirme pas moins sa prétention à représenter " toutes les entreprises de France ".
En croisant le nombre d'entreprises adhérentes et le nombre de salariés travaillant dans ces entreprises, on obtient, à partir d'une clé fixée par le -Medef et le pouvoir politique (prise en compte de 70  % pour le nombre de salariés et de 30  % pour le nombre d'entreprises), une représentativité de 58,37  % pour le Medef, de 27,89  % pour la CPME et de 13,74  % pour l'U2P. La place prépondérante du Medef se trouve ainsi confortée légalement.
La fabrique de chiffres aussi peu robustes statistiquement est complexe à expliquer. Ils sont le produit de compromis et de rapports de force entre le Medef et le ministère du travail, la CPME et l'U2P ayant été diversement associées à leur élaboration. Les compromis ont aussi été passés au sein de certaines fédérations. Car une fédération peut adhérer à plusieurs confédérations (ainsi la FFB et l'UIMM adhèrent à la fois au Medef et à la CPME). Elles sont tenues, lorsqu'elles adhérent à plusieurs confédérations, de déclarer – avec un minimum de 10  % – quel pourcentage d'adhérents elles attribuent à telle ou telle confédération.
Cette répartition est décidéede manière " politique " plutôt que sur la base des cotisations versées par la fédération au Medef ou à la CPME. Ainsi, alors que le bâtiment et la métallurgie cotisent dix fois plus au Medef qu'à la CPME, l'UIMM a " attribué " 15  % de ses adhérents à la CPME, quand le bâtiment a préféré conserver un quasi-équilibre entre ses deux bénéficiaires (40  %-60  %). Ces chiffres sont enfin le fruit d'opérations de comptage compliquées, qui n'ont pas fait l'objet de la même attention selon les organisations patronales.
L'opération de " mesure de l'audience " visait à certifier la représentativité d'organisations considérées comme porte-parole des entreprises auprès des pouvoirs publics, des syndicats de salariés et des médias. Mais il ne s'agissait pas de la mesurer sur le plan de la sociologie patronale. Le rapport rendu par le conseiller d'Etat Jean-Denis Combrexelle en  2015 était très clair sur ce point : " On ne va pas faire de la sociologie, voir ce que sont les adhérents, on va essayer de consolider la stabilité du partenariat patronal dans les branches et au plan national sans bouleverser les équilibres. "
Sur un plan sociologique, on peut souligner qu'il n'y a pas à proprement parler d'adhérents aux organisations patronales, si ce n'est localement lorsque des chefs d'entreprise, en petit nombre, adhèrent individuellement à leur -Medef territorial ou à leur CPME locale. Les autres adhérents sont soit des fédérations, soit des adhérents qui s'ignorent, puisque, dans la plupart des cas, un adhérent à une fédération ignore que sa fédération adhère à une confédération et qu'il est donc adhérent " au deuxième degré " à une confédération…
De plus, les adhésions sont, pour les plus importantes fédérations, des adhésions d'abord consuméristes fondées sur l'assurance que la cotisation donne accès à un ensemble de services. Si, en règle générale, on connaît à peu près les orientations d'un cégétiste ou d'un -cédétiste, on ignore en revanche ce que pense un " médéfien " ou un " cépémien ".
La mesure de l'audience réalisée en  2017 a donc à la fois écorné l'image des organisations patronales en contestant leurs prétentions à représenter numériquement l'ensemble des chefs d'entreprise… et légitimé le paysage patronal français. On pourrait toutefois se demander si le Medef, dans sa composition actuelle, représente bien le tissu économique français et si ses dirigeants incarnent la diversité des chefs d'entreprise. Des candidats à la présidence du Medef sont d'ailleurs conscients de cette question et ont mis à leur agenda la réforme de l'organisation et la production d'un autre affectio societatis.
Ceci impliquerait une profonde refondation de la principale organisation patronale pour contrer la petite musique qui renaît, dans les médias et chez nombre de chefs d'entreprise depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée : " A quoi sert le Medef ? "
Michel Offerlé
© Le Monde


3 juin 2018

De l'idéologie, mais aussi avant tout du pragmatisme

Traversées par différents courants de pensée, les organisations patronales ont toujours fait passer au premier plan la défense de leurs intérêts immédiats, analyse l'historienne Danièle Fraboulet

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
La multiplicité des candidatures à la présidence du Medef, avant l'élection qui doit se tenir le 3  juillet, est symbolique de la diversité historique du monde patronal en France. Loin de l'image d'un groupe social embrassant unanimement la position libérale d'une défense tous azimuts de la liberté d'entreprendre en luttant contre tous les empiétements, qu'ils viennent de l'Etat, des syndicats ou d'autres acteurs de la société, celui-ci a été souvent divisé. De fait, les organisations patronales ont le plus souvent adapté de manière pragmatique leur action et leur positionnement idéologique en fonction de leur perception des multiples visages de l'Etat : concurrent, oppresseur (sur le plan fiscal), -producteur de normes et d'informations, mais aussi client, formateur de main-d'œuvre qualifiée, garant de la souveraineté nationale…
Dans la métallurgie, les premières chambres syndicales apparaissent dans la première partie du XIXe  siècle. Les -premières unions professionnelles voient le jour dans les métiers du bâtiment et de l'alimentation. Des comités de maîtres de forges apparaissent dès 1828 pour défendre les intérêts généraux de leur branche, notamment à propos des questions douanières.
A partir du Second Empire, les chambres syndicales se multiplient, mais les premières tentatives d'association sont souvent vouées à l'échec, car les regrou-pements sont hétérogènes, et les patrons restent très individualistes. Les lois de 1884 et de 1901 sur les associations -donnent corps aux chambres syndicales nationales ou régionales, qui intègrent les entreprises, et qui sont rassemblées dans des unions ou fédérations. Sans position idéologique particulière, ces dernières tentent de résoudre des -problèmes économiques et sociaux précis et conjoncturels.
En  1901, la création d'une organisation plus combative, l'Union des industries métallurgiques et minières (UIMM), est la réponse du patronat à la mise en place des conseils de travail imposés par Alexandre Millerand, socialiste modéré du gouvernement de " défense républicaine " de Waldeck-Rousseau. En  1919, l'UIMM s'oppose à la création de la Confédération -générale de la production française (CGPF), voulue par le ministre Etienne Clémentel pour organiser le regroupement des producteurs nationaux, dans le prolongement des liens noués entre l'administration et l'industrie pendant la première guerre mondiale. Elle s'y rallie ensuite pour tenter d'y jouer un rôle de premier plan et se faire le porte-parole de l'ensemble du monde patronal.
Des relations variables avec l'EtatPrincipal interlocuteur des différents gouvernements durant la première partie du XXe  siècle, l'UIMM est à l'origine des négociations de juin  1936 à Matignon. La difficulté d'accepter la législation nouvelle et la contestation dans leurs rangs conduisent l'UIMM et la CGPF à donner plus de place aux dirigeants des PME : la CGPF est rebaptisée Confédération générale du patronat français en  1936, jusqu'à sa dissolution en  1940, puis Conseil national du -patronat français en  1945, enfin Mouvement des entreprises de France (Medef) en  1998. Cela n'empêche pas la création en  1944 par Léon Gingembre d'une structure concurrente, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, devenue Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) en janvier  2017.
Si la cohésion à l'échelle nationale est une nécessité ressentie dans l'ensemble du patronat, les points de vue divergent souvent, d'autant que les groupements patronaux sont animés de courants de pensées divers et successifs. Certes, la défense des valeurs établies, comme l'autorité ou la propriété, est commune à tous. Mais les nuances sont fortes sur le plan théorique entre le réformisme de Robert Pinot (1862-1926), délégué général de l'UIMM entre autres et partisan des théories de Frédéric Le Play, apôtre de la réforme sociale alliant conservatisme et -paternalisme, le catholicisme social de Joseph Zamanski (1874-1962), ou le planisme d'Auguste Detœuf (1883-1947),fondateur de la société Alsthom et du Syndicat -général de la construction électrique en  1928, membre du Redressement français et du groupe de hauts fonctionnaires X-Crise, dont les membres sont influencés par Keynes, à la manœuvre lors du premier gouvernement Blum, mais aussi dans le régime de Vichy…
En résumé, les relations avec l'Etat et la société varient selon la conjoncture politique et les rapports de force. Les organisations patronales sont partagées entre l'intérêt possible d'une législation imposée et les dangers pour la liberté de l'activité. Les courants rénovateurs qui proposent de transformer les relations dans les entreprises et d'établir avec l'Etat une " économie concertée " restent encore très minoritaires au sein du patronat.
La préparation de la deuxième guerre mondiale, en mettant l'accent sur l'intérêt stratégique du secteur de la métallurgie, conduit à un rapprochement avec l'Etat. Lors de l'instauration du régime de Vichy, la disparition de certains organismes -patronaux (mais pas de l'UIMM !) n'empêche pas l'influence patronale de se renforcer, notamment à la direction des comités d'organisation créés en août  1940 pour, dans les faits, gérer la pénurie. Reste que la révolution nationale apporte aux industriels une approche des relations pro-fessionnelles qui leur convient. Dans la réalité, les relations ne sont pas transformées, en raison de l'orientation trop corporatiste du régime.
A la Libération, la politique contractuelle est de nouveau à l'ordre du jour. Le patronat doit s'engager dans une voie plus moderniste, mais c'est l'UIMM qui assure toujours la représentation des intérêts patronaux. Jusqu'à l'élection de Laurence Parisot en  2005, ce sont en effet des métallurgistes, Georges Villiers le premier, qui assument la présidence du nouveau CNPF.
La combinaison entre une économie en croissance forte, le retour de l'inflation, le nouveau régime de protection sociale et l'entrée de la sidérurgie dans un espace concurrentiel européen bousculent la résistance patronale aux réformes sociales. Les conditions de travail, la prise en charge de la santé et de la retraite continuent de lui échapper. L'entreprise doit accepter ces intrusions extérieures.
Un monde toujours aussi diviséMais le pragmatisme prévaut, que ce soit dans les négociations paritaires ou dans le nouveau modèle de négociation sociale mis en place à partir de 1945. L'UIMM, qui dans un premier temps était hostile au paritarisme, préfère conserver ce type de rapports, qui implique son existence comme partenaire des négociations. L'évolution socio-économique du pays conduit à une perte de puissance de l'industrie au profit des services.
Or, un certain nombre de patrons – en particulier dans la banque et l'assurance – souhaitent se libérer du système paritaire qu'ils jugent archaïque, et préconisent le transfert de la protection collective aux mutuelles et assurances privées. Mais cette orientation ultralibérale, portée en particulier par Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) de 1990 à 1997 (et 1998-2002) et vice-président exécutif du Medef de 1998 à 2002, ne peut cacher la réalité d'un monde patronal toujours aussi divisé. Les débats sur le thème de la modernisation de l'entreprise dans les années 1960 sont portés par le Centre des jeunes dirigeants ; la " Charte " libérale de janvier  1965 prône la diminution des interventions publiques et la valorisation de l'économie de marché. De nouveaux groupements apparaissent comme l'Association française des entreprises privées (AFEP), en  1982, réunissant les grandes entreprises cotées sur une ligne plus libérale que le CNPF de l'époque. Les entreprises multinationales ne voient pas l'utilité d'adhérer à une organisation nationale, les prises de décision se faisant à Bruxelles ou ailleurs. Les PME sont ainsi devenues les principales adhérentes des diverses -organisations. Or, nombre de patrons de PME restent attachés aux réformes de 1945 et à la Sécurité sociale.
Danièle Fraboulet
© Le Monde


3 juin 2018

Sus aux corps intermédiaires

Ancien candidat à la présidence du Medef , Jean-Charles Simon, qui soutient désormais Geoffroy Roux de Bézieux,  défend un projet libéral radical

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
La France a tendance à se méfier des libertés. L'Etat a chez nous une longue tradition de toute-puissance et se veut souvent le seul garant de l'intérêt général et le régulateur de toute chose. Mais cela ne suffit pas toujours, et l'on veut encore ajouter à la loi publique d'autres contraintes sur les individus et les entreprises. C'est alors qu'on fait appel aux " corps intermédiaires ", censés les réguler en complément de la puissance publique. Cette tradition d'Ancien Régime a notamment vu l'autorité royale prolongée autrefois par les règles des corporations et autres jurandes. Pour freiner la liberté d'entreprise et la libre concurrence, -l'autorité du corps intermédiaire vient s'imposer aux récalcitrants comme une forme d'auxiliaire de la puissance publique et son interlocuteur.
Avec la Révolution, le décret d'Allarde et la loi Le Chapelier va s'ouvrir une période de près d'un siècle de libertés individuelles effaçant ces structures de contraintes et de régulations – et une période de formidable expansion économique. Mais le démon corporatiste va refaire son chemin à partir de la fin du XIXe  siècle, soutenu par des courants aussi divers que le paternalisme patronal, le catholicisme social ou le mouvement ouvrier communiste. La crise de 1929 va exacerber cette défiance à l'égard de l'individu, de l'entreprise et de leurs libertés, pour les enrégimenter toujours plus dans des ligues, des syndicats, des partis, des unions. Elle prendra sa forme la plus extrême avec les corporations et la charte du travail du régime de Vichy, régulant entre producteurs les prix, les salaires et les quantités. Mais, paradoxalement, on en retrouve aussi des succédanés à la sortie de la guerre, avec les conventions -collectives et le paritarisme.
Depuis les années 1980 et le grand souffle de liberté venu de la mondialisation des échanges, du développement des -marchés financiers et des technologies de l'information, tout cet échafaudage -défensif français s'effrite peu à peu. D'autant que les systèmes sociaux publics croulent sous la hausse des dépenses et des prélèvements, et accumulent bien souvent les déficits.
Les entreprises s'émancipent ainsi de la tutelle de leurs branches professionnelles, auxquelles l'appartenance est d'ailleurs de moins en moins claire. Surtout, elles -aspirent à construire leur propre identité, y compris en matière sociale. De plus en plus, comme l'attestent la désaffection aux élections consulaires ou aux défuntes élections prud'homales, ainsi que la faible adhésion pourtant indirecte aux organisations interprofessionnelles, elles ne se reconnaissent pas dans une représentation figée sur les prérogatives du paritarisme.
Le contraste est encore plus saisissant chez les syndicats de salariés : seulement 8  % d'adhérents dans le secteur privé. Et la deuxième mesure de la représen-tativité de ces syndicats auprès des quelque 5  millions de salariés de très petites entreprises (TPE) a fait encore pire que la première, avec seulement 7  % de taux de participation !
Contre-pouvoirs autoproclamésMalgré ou à cause de ce désaveu, on met en garde contre le contournement ou le mépris de ces " corps intermédiaires "… en fait abandonnés par ceux qu'ils devaient représenter. Et on réclame le maintien dans ces organisations d'une kyrielle de responsabilités qu'elles n'ont plus la capacité ou la légitimité d'assumer. C'est vrai de l'assurance-chômage, où elles ont accumulé une dette représentant une année entière de cotisations. Mais aussi de la formation, qu'elles ont complexifiée à leur profit de telle façon que le sentiment de gâchis est général. Ou des retraites complémentaires, qui font peser une charge sur le coût du travail comme dans aucun autre pays. Ou encore avec les prud'hommes, juridiction très lente et peu performante, avec des taux d'appels et de réformations en appel impressionnants.
Le pouvoir politique continue de régenter à sa guise ces contre-pouvoirs auto-proclamés, en leur concédant des financements publics ou paritaires directs, en fermant les yeux sur leurs ressources indirectes, et surtout en leur attribuant quantité de colifichets divers et variés dans de nombreuses instances. C'est le cas par exemple des caisses de Sécurité sociale, où les partenaires sociaux ont des mandats dénués de tout pouvoir réel. Le summum est atteint avec le Conseil économique -social et environnemental (CESE), la fantomatique " troisième chambre de la République ", où l'on se bouscule pour entrer… afin de récupérer quelques émoluments, une carte de visite et un espoir de nomination ou promotion dans telle ou telle -décoration de la République. La redénomination du CESE en future " Chambre de la société civile " est symptomatique de cette vision jacobine où la société civile est un gentil toutou domestiqué et enfermé dans une Chambre.
Dès lors, pleurnicher sur le mépris des corps intermédiaires ou leur affaiblissement est une supercherie. Loin d'être de véritables forces autonomes, ils sont depuis bien longtemps les vassaux d'un système féodal où on leur concède des droits sur leurs " gens " ainsi que des finan-cements. Ce système est le contraire d'une société moderne, où les libertés individuelles doivent être suffisamment fortes et garanties pour assurer l'autonomie de destin de chacun dans le respect de l'ordre public, ainsi que la contestation de tous les pouvoirs et leur alternance par des voies pacifiques.
Ces corps intermédiaires sont des -ralentisseurs et des verrous du changement, obsédés par la perpétuation de leurs rentes comme le clergé ou la noblesse d'autrefois. Au temps du numérique et de l'expression instantanée de chacun, le sujet n'est plus du tout celui de l'" intermédiation " des volontés, mais bien de -l'affinitaire d'un groupe, des services qu'il peut vouloir mutualiser, au nombre -desquels son influence.
Pour mettre fin à ce mauvais penchant français, il faudrait refonder les organi-sations qui prétendent représenter des forces vives de la nation, en les arrachant à toute dépendance financière et struc-turelle à la puissance publique. Quitte à en passer par une phase de relatif affaiblissement apparent, car c'est la condition pour regagner l'intérêt et la confiance de leurs adhérents potentiels. Elles retrouveront alors une réelle indépendance matérielle et spirituelle. Elles pourront enfin prétendre être l'expression de forces réelles et authentiques, et non un simulacre de représentation.
Jean-Charles Simon
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire