Une réforme de l'audiovisuel public est annoncée. Elle est indispensable pour au moins trois raisons. D'abord, ses missions sont devenues floues, et ses programmes se rapprochent parfois avec facilité de l'offre des télévisions privées. Ensuite, son organisation d'entreprise est obsolète, datant de trois décennies, malgré des tentatives de modernisation méritoires mais insuffisantes. Enfin, parce que les habitudes de consommation des médias sont en train de changer si profondément qu'il faut progressivement construire un système nouveau de mise à disposition de l'offre publique. Car ce qui compte avant tout, c'est la qualité du programme.
Prenons garde ! Réformer n'est pas un but en soi et n'a de sens que si les missions qu'impose la perception d'une redevance conduisent à une offre différente, complète, diversifiée et moderne. A quoi bon payer une redevance si l'effort d'originalité n'est pas soutenu : les télés privées y suffisent ! Contrairement à Radio France, qui a toujours su se distinguer de ses concurrentes privées, France 2 et parfois même France 3 y arrivent beaucoup moins bien. L'exécutif et le législateur doivent définir clairement les missions de l'audiovisuel public. Une fois l'exigence des missions posée, il convient d'en tirer les conséquences afin d'en obtenir une bonne application. Pour cela, il faut résoudre trois instabilités qui, depuis toujours, caractérisent le système français. Et il faut avoir le courage de trancher ces questions, car cette réforme conditionnera le fonctionnement de l'audiovisuel public sans doute pour une bonne vingtaine d'années.
La première instabilité est institutionnelle. On a proposé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de nommer les présidents des télévisions et radios publiques, mais on lui demande aussi de contrôler le fonctionnement de ces entreprises, comme d'ailleurs de régir le secteur privé. Qui nomme ne peut plus être un bon contrôleur. C'est pourquoi il faut revoir les attributions du CSA, conforter son rôle de gendarme de l'audiovisuel, et étendre sa responsabilité. Soit par fusion avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), soit en y ajoutant la surveillance des libertés et contenus numériques. Dès lors, qui va nommer les dirigeants ? Les conseils d'administration sont légitimes pour désigner leurs candidats, répondant ainsi à la logique simple des entreprises. Attention à la tentation de partialité : c'est pourquoi il faut limiter à deux (Agence des participations de l'Etat, ministère de la culture) le nombre des représentants de l'Etat dans les conseils. Mais il faut aller plus loin : comme dans les grandes démocraties, pour les hautes fonctions, il est indispensable que ces désignations soient confirmées par les commissions culturelles des deux Chambres du Parlement à hauteur des 3/5 afin de garantir non seulement une neutralité politique (puisque majorité et opposition auront à se prononcer consensuellement), mais aussi un bon fonctionnement financier.
Pas de fusions à marche forcéeCar c'est la deuxième instabilité qu'il faut abolir : depuis de longues décennies, l'Allemagne et la Grande-Bretagne votent les budgets de l'audiovisuel public avec une perspective de quatre ou cinq ans. Une sorte de loi-cadre est nécessaire. On ne peut pas exiger des dirigeants qu'ils se comportent en chefs d'entreprise, et " tutelliser " annuellement leurs budgets, ce qui enlève toute perspective d'investissement à moyen terme, mais aussi tout effort d'économies. Voilà bien une des raisons qui a empêché un développement moderne du numérique. Je propose même d'aller plus loin : qui tient les finances est le vrai patron. C'est pourquoi il faut dépolitiser la prévision budgétaire en faisant analyser les propositions des dirigeants d'entreprise par une " commission économique audiovisuelle " neutre, chargée d'analyser avec rigueur les souhaits des présidents d'entreprise, de les rendre cohérents avec le projet stratégique de chacune d'elles, avant de transmettre les recommandations solennelles au Parlement. Celui-ci doit en effet demeurer l'instance finale de perception de l'impôt. J'ai créé ou dirigé, pendant une vingtaine d'années, plusieurs entreprises publiques et j'ai toujours trouvé scandaleux que les responsables de ces chaînes prennent, à la clôture de l'examen du budget de la nation, connaissance de celui dont elles disposeront quinze jours plus tard. Cette pratique infantilisante minore et décourage l'ambition stratégique, c'est pour moi une explication du retard dans le -développement numérique.
La troisième instabilité ? Si le mode de nomination des dirigeants, si l'instance de contrôle des missions, si les perspectives financières sont plus claires, alors on peut s'attaquer à la modernisation de l'offre, et réfléchir aux économies que je juge tout à fait possibles dans un audiovisuel public qui emploie 17 000 salariés, dont près de 2 600 journalistes, qui dispose (redevance et publicité) d'un budget global de 3,8 milliards d'euros, et qui contribue massivement à faire vivre un secteur de production qui souffre, alors qu'il est le grand pourvoyeur d'idées. La -distribution moderne de la radio et de la télévision comporte une vétusté : aujourd'hui, les entreprises publicitaires connaissent leur cible avec une finesse inégalée. Les outils numériques leur ont fait faire des progrès extraordinaires pour identifier, au service de leurs annonceurs, les catégories de citoyens qu'ils doivent viser. La fonction de marketing des chaînes est sous-financée, sous-outillée, et cela doit changer. Ce qui conduit à faire du diffuseur un donneur d'ordre aux fonctions de production, qu'elles soient internes ou externes.
Reste la question du périmètre de l'audiovisuel public. Il est clair que des rapprochements doivent s'opérer entre les chaînes de télévision, et des coopérations doivent fonctionner entre la radio et la télévision publiques, comme c'est déjà frileusement le cas. Mais attention : pas de fusions à marche forcée car elles sont coûteuses et n'économisent rien. Il faut respecter les professionnels parce que leur rythme de travail à la radio n'a rien à voir avec celui de la télé. Au Parlement européen, où je suis spécialisé dans les questions soulevées par les médias classiques, le numérique, et la valorisation des contenus, j'ai pu observer que plusieurs grands groupes publics à travers le monde avaient opéré de profondes réformes parfois sur plusieurs années : le Canada, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, et même la Belgique, en cours de transformation. Il faut une volonté politique claire, un respect des entreprises, et une vision sur l'avenir. C'est ce que j'attends de cette réforme.
Jean-Marie Cavada
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