Voilà des mois que la raffinerie de La Mède mobilise des défenseurs de l'environnement et inquiète des responsables syndicaux. Néanmoins, le préfet des Bouches-du-Rhônea signé, mercredi 16 mai,l'arrêté autorisant Total à exploiter cette " première bioraffinerie française de taille mondiale ", l'une des plus importantes d'Europe selon le groupe pétrolier. La production de biodiesel – dont la France importe 500 000 tonnes par an – doit démarrer cet été, dernière étape de la reconversion de l'ancienne raffinerie, ouverte en 1935 à Châteauneuf-les-Martigues, au bord de l'étang de Berre.
Fin 2016, Total y a cessé toute opération de raffinage de pétrole brut, alléguant une perte annuelle de 100 millions d'euros. Selon un plan de conversion (2015-2022) qui verra les effectifs passer de 430 à 250 salariés, le site a été transformé pour accueillir un dépôt pétrolier, une ferme solaire de 8 MW, un centre de formation, une unité de fabrication d'un additif pour les moteurs des poids lourds.
Mais son activité phare, au prix d'un investissement de 275 millions d'euros, est l'installation d'une unité de raffinage d'huiles surtout végétales, à même de produire par an 500 000 tonnes de diesel de type HVO (hydrotraitement des huiles végétales), un biocarburant censé réduire l'émission des gaz à effet de serre.
Problème du point de vue de l'environnement : ce choix industriel nécessite un apport massif d'huiles végétales brutes – jusqu'à 450 000 tonnes, dont au moins 300 000 d'huile de palme. Or, la bataille des agrocarburants se livre en fait bien loin de La Mède. Elle a lieu en Indonésie et en Malaisie, livrées à la monoculture des palmiers à huile, ou dans les contrées d'Argentine dévastées par le soja. Ces parcelles gigantesques, gavées de pesticides, se développent au mépris de la biodiversité, concurrencent les cultures alimentaires et aggravent les émissions de gaz à effet de serre.
Les Amis de la Terre et Greenpeace voient, dans cette bioraffinerie qui va
" ouvrir en grand les vannes de l'huile de palme " et faire bondir les importations françaises, une
" incohérence totale du gouvernement, incompatible avec les engagements climatiques de la France ".
" Si Emmanuel Macron entend être un véritable leader de la lutte contre le changement climatique, analyse Clément Sénéchal, chargé de campagne Forêts à Greenpeace France,
il est grand temps que l'Etat cesse de soutenir les agrocarburants de première génération - issus de cultures vivrières et fourragères -
, tant sur les plans législatif et fiscal que diplomatique. "
Mercredi, le ministère de la transition écologique a indiqué que Nicolas Hulot
– qui souhaite lutter contre
" la déforestation importée " – était intervenu pour
" encadrer "l'approvisionnement de Total en huile de palme. L'arrêté du 16 mai demande que son plan intègre au moins un quart d'huiles recyclées ou usagées et qu'il se plie à une
" mise à jour, tous les deux ans, visant à diminuer la part des huiles végétales brutes aussi bas que possible ".
Total a fait savoir que, dans le
" cadre d'un dialogue positif avec le ministère de la transition écologique et solidaire " et afin de
" marquer sa sensibilité aux enjeux de la déforestation ", il avait limité son approvisionnement en huile de palme à 50 % du total. Les ONG y voient, elles, le résultat de leurs pressions et appellent l'Etat à se montrer plus exigeant.
" Elimination progressive "Le Parlement européen a aussi mis l'huile de palme à son menu. Le 17 janvier, les eurodéputés ont voté pour son
" élimination progressive " des transports d'ici à 2021. Les Etats et la Commission européenne ne se sont pas encore prononcés. Une directive européenne fixe à 7 % la part maximum des agrocarburants dans ce secteur.
Patrick Pouyanné, le PDG de Total, a néanmoins réaffirmé en février que le projet de La Mède
" est soutenu par l'Etat français au plus haut niveau "." Notre unité est flexible et peut traiter des huiles de palme, de colza, de soja, de tournesol, de maïs ", affirme François Bourrasse, le directeur de la plate-forme industrielle. Tandis que les producteurs français d'oléagineux ont exprimé leur colère face à l'autorisation délivrée à la bioraffinerie gourmande en huiles exotiques.
A La Mède, la CGT s'interroge sur la pérennité du site.
" Faire des carburants avec de la nourriture, déjà on est contre, assure Fabien Cros, secrétaire CGT du comité d'entreprise,
mais nous redoutons surtout que dans cinq ans, avec une éventuelle interdiction des huiles de palme, la décision soit prise de fermer la raffinerie. " Cette affaire a rapproché la CGT et les militants écologistes. Sylvain -Angerand, coordinateur des campagnes pour Les Amis de la Terre, espère que cette convergence permettra
" une transition juste socialement et écologiquement soutenable " de la raffinerie.
Les alignements de palmiers à perte de vue qui provoquent la destruction des puits de carbone et des habitats des orangs-outans et des tigres,
" tout cela était loin de nos préoccupations, confesse Fabien Cros,
mais nos contacts avec Les Amis de la Terre que nous avions croisés dans des manifestations contre Total nous ont fait prendre conscience de ces enjeux environnementaux, et nous nous sommes enrichis mutuellement ". La prise de conscience des menaces qui pèsent sur la biodiversité dépasse les vieux clivages.
Luc Leroux, et Martine Valo
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